La malédiction d'Arwen

A peine réveillée, Arwen bondit de son lit et se précipita à sa fenêtre, pleine d'espoir. Voyant le soleil se lever en ce qui promettait d'être une magnifique journée, elle soupira, attristée. Éprise de la chaleur et de la clarté sublime de l'astre, elle attendait pourtant chaque jour que celui-ci fasse place aux nuages, espérant un temps suffisamment sombre pour ne pas craindre les douleurs que le soleil provoquait à la jeune femme sans ombre...

Depuis sa récente malédiction, Arwen bénéficiait de la protection de son maître d'arme, dont la maîtrise des ombres lui permettait de sortir au soleil en toute sécurité... à défaut de liberté. L'apprentie était reconnaissante au chevalier, mais sa dépendance l'horrifiait, et son obligation de suivre avec lui un emploi du temps qu'elle jugeait le plus souvent ennuyeux la frustrait. De toute évidence, le maître d'arme et son apprentie ne s'intéressaient pas aux mêmes distractions...

Elle recula pour se protéger dans l'ombre de la chambre et serra les poings, fulminant intérieurement de la bêtise qu'elle avait commise de tuer sans états d'âme sa propre défense au soleil. Ses colères intérieures l'inspirèrent, et elle sortit de la chambre en trombe, pénétrant tout aussi rapidement dans celle de Néo, sans même frapper au préalable. Elle arriva le sabre brandi, défiant silencieusement le chevalier comme à chaque fois qu'elle avait besoin de s'entretenir avec lui. C'était presque devenue une façon quotidienne de le saluer.

Arwen s'étonna à la vue de l'étrange marque qui s'étendait sur le torse de Néo, mais se contenta de l'observer sans un mot. Habitué à ses attaques aussi soudaines que régulières, celui-ci la salua. Elle inclina la tête, le sabre patiemment maintenu vers le chevalier, prêt à attaquer.

- Bonjour, Néo.

Elle sourit, amusée de la provocation de son maître d'arme.

- Je ne me fatiguerai jamais de vous défier, maître Néo, faites-vous donc à cette idée.

Et le sabre serpent s'abattit vers le jeune homme, rapide et précis, pour néanmoins frapper le vide, esquivé. Arwen enchaina les attaques, suffisamment calme en cette heure matinale pour tempérer ses humeurs et ainsi éviter de s'épuiser en vaines frappes impulsives. Dissimulant ses efforts derrière une expression enjouée, elle reprit, sans cesser de répliquer par le sabre au chevalier :

- Je vous suis reconnaissante de tolérer ma compagnie quotidiennement pour me protéger de ma malédiction. Mais...

Elle tenta un coup frontal qui échoua, et poursuivit :

- ... Mon indépendance et ma liberté me manquent, tout agréable que me soit votre accompagnement. Je voudrais tenter de convaincre l'Esper Magister du Mana de lever ma malédiction.

Elle se tut un instant pour se concentrer sur son duel, et lorsqu'elle eut assez de souffle, expliqua :

- Vous saviez qu'Alucard était le mage de sang. Cela signifie-t-il que vous connaissez également celui du mana et sauriez me guider jusqu'à lui ?

Étrangement distraite, Arwen sentit que malgré la maitrise de son humeur, ses enchainements n'étaient pas satisfaisants, ce que confirma la main du maître d'arme sur son front. Elle eut toutefois du mal à se concentrer.

- La région me suffira, je chercherai le temps qu'il faudra mais il me faut un début d'indication.

Les questions de Néo embêtèrent la jeune femme, qui ne voulait pas seulement se contenter de lever sa malédiction et espérait apprendre du mage un sortilège de plus, d'où son choix pour l'esper dont elle partageait l'élément. Elle répondit prudemment :

- Le mana est la magie non élémentale, je la pense moins restreinte et donc plus capable que toute autre à combler la perte de mon ombre. Si l'Esper Magister du mana ne peut rien pour moi, alors personne d'autre ne saura m'aider. Pour ce qui est de mes arguments afin de le convaincre... Je n'en ai pas, mais je suis prête à des sacrifices et m'enquerrai des dons ou services qui pourraient le persuader, si cela est nécessaire. Vous savez à quel point je peux être bornée...

La remarque de Néo sur son second maître l'agaça, bien qu'elle soit assez justifiée. Toutefois, le chevalier semblait encore ignorer sa formation auprès du mage de sang, ce qui la rassura. Son nouveau sort pourrait encore surprendre, en cas d'affrontement sérieux. Elle élança vivement Gekido vers le chevalier, se souciant peu de l'absence de protection de ce dernier. Contrairement à lui, l'idée de blesser son adversaire ne la perturbait pas outre mesure, à l'inverse, elle la tentait plutôt...

- "Ce vampire" est manipulateur, mais on peut toutefois se fier à lui jusqu'à un certain point. Je n'ai jamais eu à craindre qu'il ne tente de s'abreuver de mon sang...

Elle afficha un air impassible, défendant le plus calmement possible son professeur en magie du sang. Puis, elle changea de sujet, déterminée à convaincre Néo de la mener vers l'Esper Magister de la magie neutre.

- Néo, plus tôt vous me conduirez au mage, plus tôt vous serez débarrassé de ma compagnie quotidienne...

Elle écarta de son esprit les doutes qu'elle avait quant à l'aide incertaine du mage inconnu, ne voulant pas penser à un refus éventuel.

Arwen suivit les directives de son maître d'arme et rangea le sabre serpent dans son... Ah. Le fourreau était resté dans sa chambre, la demoiselle s'étant précipitée vers la chambre de Néo dans sa tenue de nuit et donc sans la ceinture qui permettait le port du katana contre sa hanche. Elle alla donc s'asseoir Gekido à la main, qu'elle posa ensuite doucement sur ses genoux.

Elle attendit que le jeune homme s'habille complètement, le regard impudique.

- Je fréquente trop peu de calyptiens et connais encore l'empire depuis trop peu de temps pour qu'Alucard ait à gagner de ma confiance.

Elle avait parlé d'une voix assurée, aussi franche que de coutume. Mais aussitôt qu'elle eut fini sa phrase, elle songea à son étrange manie de trahir malgré elle des informations gardées secrètes, dont elle n'avait pas même conscience, avant de les prononcer, de leur existence. Le vampire la fixait toujours dans une expression avide, lorsque sa faculté anormale se manifestait. Elle décida de garder ces réflexions de côté pour plus tard et s'intéressa de nouveau au chevalier.

La réplique de ce dernier surprit désagréablement la jeune femme, dont les joues se colorèrent d'un rouge éclatant. Elle se releva, évitant soigneusement son regard. Avait-il remarqué son regard distrait lors de leur affrontement précédent ou bien n'était-ce qu'une remarque en rapport à la déclaration qu'elle lui avait faite la nuit de leur pari ? Préférant une réponse qui l'embarrasserait à une incertitude tout aussi gênante, elle demanda au chevalier du Sahoc, l'air faussement étonné :

- Pourquoi cette réflexion, Néo, ma conduite a-t-elle jamais trahi la moindre gêne de ma part en votre présence ?

Lorsqu'ils sortirent de la chambre, elle se retourna de nouveau vers le maître d'arme.

- Je dois m'habiller aussi, pouvez-vous m'attendre un instant ? Je n'en aurai pas pour longtemps...

Elle n'attendit pas sa réponse et traversa le couloir d'un pas rapide, pressée de fuir la compagnie du chevalier que son humour avait rendu gênante. Elle n'eut besoin que de quelques minutes pour se changer et sortit tout aussi rapidement de la chambre de Shin, entièrement vêtue de blanc, comme à son habitude, et désormais munie du fourreau de Gekido soigneusement rapproché contre sa hanche.

Agacée par la recommandation tardive du chevalier quant à la tenue appropriée à leur voyage, Arwen afficha un air renfrogné. Ne pouvait-il pas préciser ce genre de détail avant qu'elle ne se prépare ?

- Je l'étais, jusqu'à ce que vous ne vous décidiez à m'informer de la tenue à éviter...

Tournant les talons, elle repartit dans la chambre de Shin, échangeant ses habits immaculés pour une tunique et un pantalon noirs. Elle ne prit cependant pas le temps de manger, trop pressée de partir à la recherche de la sorcière des marais, et impatiente à l'idée de s'y aventurer en compagnie de Néo. Elle espérait avoir l'occasion de le voir combattre en affrontement réel, et surtout, d'y prendre part également.

Elle retrouva le chevalier noir qu'elle devança ensuite, jugeant son allure trop lente à son goût. La jeune femme avança dans les rues calyptiennes sans tenir compte de son sens de l'orientation exécrable et très vite, elle dut, comme à son habitude, attendre que le chevalier la rejoigne pour le laisser guider la marche. Tandis qu'ils se dirigeaient vers les écuries, elle songea à la marque qu'elle avait aperçu sur le corps du maître d'arme et se décida à l'en questionner, baissant le ton pour ne pas être entendue des passants alentours :

- Maitre Néo... D'où provient cette marque que vous avez au torse ?

Elle le dévisagea, tentant d'analyser son expression. Le jeune homme parlait peu de son passé, aussi s'attendait-elle à un nouveau silence en guise de réponse. Mais si les mots lui manquaient, peut-être son visage saurait-il trahir suffisamment d'émotion pour laisser deviner à sa disciple les sentiments que ce souvenir évoquaient en lui...

Arwen tenta de ne rien montrer de l'horreur qui la saisit en apprenant la malédiction qui condamnait son maître d'arme. Seul son regard trahissait sa peine, aussi fixa-t-elle l'horizon lorsqu'elle lui demanda dans un murmure :

- Combien de temps pensez vous qu'il vous reste avant que cette marque ne vous recouvre complètement ?

Elle renonça ensuite à l'interroger davantage sur son passé, soucieuse de l'humeur dans laquelle le mettait son évocation. Le chevalier n'avait pas paru moins serein qu'à son habitude, mais la jeune femme se souvenait encore du regard attristé qu'il avait eu la première fois qu'il lui avait parlé de son "erreur" et le savait bien plus habile qu'elle à cacher ses émotions. Elle laissa s'écouler quelques secondes avant d'orienter le sujet vers une discussion moins sérieuse, s'efforçant de sourire à Néo :

- J'ose espérer que vous combattrez cette malédiction le plus longtemps possible, changer de maître d'arme m'ennuierait véritablement, Néo. D'une part, il existe peu de professeur que je sois capable de supporter et d'écouter. D'autre part, il en existe encore moins qui sauraient me rendre la pareille...

Tandis qu'elle se demandait avec angoisse si la sorcière des marais accepterait de lui enseigner un sort capable de défaire sa malédiction aussi bien que celle de son chevalier, elle parvint sans même s'en rendre compte aux écuries. Lorsqu'elle releva les yeux et reconnut la place familière, elle devança à nouveau son accompagnateur pour passer devant le palefrenier sans un regard pour ce dernier et commença à sceller le cheval blanc qu'elle avait prit l'habitude de monter lors de ses fréquents allers-retours à la plaine des duels. Accoutumé au mépris de la jeune femme, l'homme l'observa d'un air revêche ressortir de l'écurie aussi rapidement qu'elle y était entrée.

Lorsque le chevalier noir la rejoignit, Arwen fit avancer son destrier blanc, et se perdit dans ses réflexions intérieures, inquiète à l'éventualité de ne pas trouver l'Esper Magister. Non, elle y passerait le temps qu'il faudra, mais elle ne partirait pas sans avoir rencontré la mage et avoir su la convaincre de lui donner l'enseignement dont elle avait besoin. Elle tenta de se rassurer en repensant à la formation qu'elle recevait du mage de sang, qu'elle avait su persuader de la prendre pour disciple. Puis, elle se souvint de la façon dont elle avait été testée avant d'obtenir son accord, et le souvenir désagréable de la créature qu'il lui avait envoyée la fit grimacer.

Elle songea alors au pouvoir impressionnant dont jouissait le mage sur sa plaine, et se surprit à redouter la façon dont la sorcière utiliserait le sien sur son territoire. En s'aventurant vers son temple, elle se livrait pour ainsi dire sans défense au mage du mana, dont elle ignorait tout du caractère et des principes. Elle croisa alors le regard de Néo, et ses inquiétudes s'intensifièrent. L'idée que celui-ci encoure les mêmes dangers qu'elle, et ce alors que ce voyage n'était entrepris qu'à cause de sa propre bêtise la tourmentait. Elle se tourna vers le chevalier sombre et prétexta :

- Maître Néo, l'endroit vers lequel je pourrai trouver la sorcière est-il suffisamment obscur pour que je puisse m'y aventurer seule ? Si c'est le cas, vous pourrez me laisser à ses abords et repartir, j'ai déjà bien assez abusé de votre temps. Je quitterai le temple au crépuscule s'il en est besoin pour éviter les dangers du soleil sans requérir votre aide.

D'abord embêtée par la volonté du chevalier à l'accompagner jusqu'au bout de sa destination, Arwen s'intéressa ensuite aux "quelques petites choses" qui pourraient prétendument lui être utiles. Intriguée, elle se tourna vers Néo et lui sourit d'un air faussement hautain :

- Tiens, il existe donc, outre quelques lacunes en duel, des connaissances utiles qui me feraient défaut ?

Elle croisa les bras, le menton levé pour ajouter à ses airs supérieurs puis, redoutant les sarcasmes de son professeur, intervint avant qu'il ne réponde :

- C'était une question rhétorique, inutile d'y répondre. En revanche, vous avez réellement attisé ma curiosité. Dites-moi, qu'ai-je encore de si important à apprendre de vous, maître Néo, en dehors du maniement de mon arme ? Quels enseignements vous motivent donc à rester en ma compagnie quand vous pourriez enfin vous en libérer ?

Le sujet qui lui était venu spontanément tempéra sa bonne humeur. Elle détourna le regard pour fixer l'horizon. Elle s'en voulait d'avoir, par son impulsivité irréfléchie, provoqué sa propre malédiction et ainsi lié ses déplacements à ceux du chevalier, à qui elle regrettait d'imposer sa compagnie. Et ce d'autant plus qu'elle se savait égoïste de le punir aussi de son erreur, alors qu'elle aurait pu simplement renoncer au jour pour s'éviter les dangers du soleil...

Mais elle appréciait trop la clarté du jour et la chaleur de ses rayons solaires pour accepter ce sacrifice, préférant les remords dont sa compagnie forcée auprès du maître d'arme l'accablait. Toutefois, consciente de son caractère difficile, qu'elle n'essayait même pas de modérer, elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter du ressenti de Néo quant à cet accompagnement quotidien.

- N'êtes-vous pas lassé de devoir avec moi subir quotidiennement la conséquence de mon erreur ?

Elle s'était exprimée d'une voix si douce que celle-ci s'était presque réduite à un murmure et, contrairement à ses habitudes, la jeune femme avait évité le regard du chevalier.

Arwen lança un regard étonné à son maître d'arme. Elle s'était déjà plus ou moins accoutumée à l'indifférence naturelle du maître d'arme quant à ses fréquentes provocations et ses réactions démesurées, mais ne l'avait pas pensé si insensible à son caractère difficile. Leur dispute le soir de leur pari revint à l'esprit de la jeune femme, qui restait elle-même impressionnée par son aptitude à irriter son entourage, allant jusqu'à s'attirer les foudres du chevalier pourtant reconnu pour son calme inébranlable. L'air sérieux, elle répondit :

- Je ne vois aucune raison valable pour laquelle vous pourriez avoir envie de m'aider... Comme vous l'avez si bien décrit, je n'ai "pas fait que des bonnes choses depuis mon arrivée", et je ne me souviens pas avoir jamais agis de façon à mériter votre soutien.

Arwen avait parlé en toute franchise, comme toujours, et dévisageait impudemment son guide, se demandant si elle devait la protection ténébreuse qu'il lui offrait à sa bonté impersonnelle ou à une compassion particulière pour sa disciple.

Après que Néo répondit finalement à son apprentie, le voyage se poursuivit silencieusement, le chevalier noir n'étant pas de nature bavarde et son élève se perdant trop dans ses propres songeries pour tenter de le faire parler. Au bout d'un moment, elle s'ennuya suffisamment pour oser lui poser une question qui la perturbait depuis quelques minutes déjà :

- Par simple curiosité... Je peux savoir de quel meuble vous m'avez attribué l'ombre ?

La jeune femme se demandait avec amusement à quel genre de meuble le chevalier noir l'avait assimilée, et s'il y aurait là raison à se vexer.

Arwen retînt un soupir d'agacement. Le maître d'arme avait cette très pénible manie d'éluder ses questions, bien qu'il sut parfaitement, elle en était sûre, que sa façon de détourner un sujet l'irritait particulièrement.

- Si vous trouvez à redire de mon entrainement, maître Néo, pourquoi ne pas y travailler plus souvent en cours particulier ?

La jeune femme préférait de loin les leçons personnelles que lui donnait le chevalier que les programmes qu'elle devait suivre en compagnie d'Alec et Milly. Par intérêt pour un entrainement plus particulier, bien sûr, mais également pour des raisons plus personnelles... Arwen se tourna vers Néo pour lui sourire, et s'étonna du regard distrait de celui-ci. Elle leva les yeux au ciel et découvrit la silhouette impressionnante qui retenait l'attention de son guide.

Elle fronça les sourcils, méfiante, et approcha lentement la main de Gekido, avant de se rassurer de l'attitude posée du jeune homme. Confiante, elle abaissa la main et se contenta de regarder passivement la silhouette se rapprocher. Lorsque celle-ci fut suffisamment proche pour qu'elle put la distinguer nettement, elle écarquilla les yeux d'admiration. Elle sourit à l'approche du dragon, qui fit virevolter autour d'elle sa chevelure blonde sous un vent agité.

La créature captiva tellement le regard émerveillé de la kendoka que celle-ci ne se rendit compte de la présence du dragonnier que lorsqu'elle l'entendit interroger Néo quant à sa compagnie.

- Que... ?! "Nouvelle copine" ?

Surprise, elle se retourna vivement vers le chevalier d'un air effaré. Comment cela, "nouvelle copine" ? Elle n'avait connu au chevalier aucune relation dont elle aurait eu à se méfier, mais commençait à douter de son jugement et passa donc mentalement en revue ses connaissances féminines, troublée. Le maître d'arme la sortit de ses inquiétudes d'une main sur son épaule, avant de lui présenter le dragonnier et sa dragonne. Elle leva les yeux vers le jeune homme dont elle appréciait le nom japonais, et lui sourit en se rappelant l'avoir déjà entendu à son arrivée sur Calypta. C'était donc lui, l'élève de Néo au sabre frère au sien et à qui elle avait emprunté la chambre.

- Shin-Senpai, enchantée.

Elle hocha la tête à l'adresse du jeune homme, puis contempla de nouveau la dragonne, dont elle mémorisa le nom. Son senpai paraissait bien plus intéressant que les deux premiers élèves qui lui avaient été présentés, et elle lui accorda une attention qu'elle prêtait rarement à ses nouvelles rencontres. Elle n'aurait pas besoin des réprimandes de Néo pour se montrer chaleureuse avec Shin, et son respect naturel envers lui décontracta la jeune femme habituellement tendue en présence de tiers.

Arwen ne suivit pas Néo qui fit de nouveau avancer Destiny et préféra s'approcher de Shin. Jugeant plus prudent de taire sa quête de la sorcière des marais, elle mentit naturellement.

- Simple promenade de santé.

Elle bondit alors de son cheval, et libéra d'un geste vif le sabre serpent, un sourire enjoué aux lèvres.

- Mais je ne serais pas contre une petite pause... Shin-Senpai, je serais curieuse de voir l'aboutissement des enseignements de Néo. Que diriez-vous de m'en instruire en duel ?

Surprise du refus de Shin à l'affronter, Arwen fronça les sourcils dans une expression à la fois désappointée et agacée. Ne cachant rien de sa mauvaise humeur, elle resta un petit moment à regarder les deux jeunes hommes s'éloigner, foudroyant du regard le dragonnier, avant de se décider à ranger Gekido dans son fourreau pour remonter à cheval.

Intriguée par le sujet de discussion dont elle entendit plus loin des bribes, elle talonna le destrier blanc pour rejoindre Shin, écoutant attentivement les quelques informations qu'il donna du "cours de survie". Malheureusement, le peu qu'il en révéla ne permit pas à la jeune femme d'en deviner plus que ce elle savait déjà. Autrement dis, rien. Elle sourit toutefois, appréciant d'avance la prochaine formation de Néo, qui promettait apparemment d'être plus redoutable encore que ses enseignements aux armes. Rien n'enthousiasmait autant la disciple du chevalier qu'un nouveau défi en perspective.

Le dragonnier s'invita ensuite à leur "promenade de santé", que le chevalier lui avait traitreusement avoué, au grand agacement d'Arwen. Son irritation se dissipa toutefois aussitôt que la dragonne proposa de les emmener. Les yeux azurés de la jeune femme s'illuminèrent d'un éclat d'avidité. L'idée de pouvoir chevaucher une créature aussi noble et somptueuse la ravissait, et ce d'autant plus que cela lui permettrait d'atteindre plus vite le temple du mana. D'autre part, la compagnie de Shin semblait ennuyer son maître d'arme, ce qui amusait la kendoka, qui n'avait pas souvent l'occasion de voir le chevalier dans cette humeur, et pour si peu.

Malgré son impatience, Arwen n'osa pas rejoindre Shin sur la dragonne, attendant la confirmation de son professeur. Celui-ci ne se montrant pas particulièrement pressé de la lui donner, elle en profita pour interroger le jeune homme en kimono, dont le nom aux accents japonais la fit espérer un entretien personnel malgré la présence de Néo :

- Shin-Senpai wa nihongo ga hanashimasu ka ? Wakarimashita ka ?

Arwen s'était rapidement enquit auprès du dragonnier de ses capacités de compréhension en japonais, langue qu'elle avait étudiée puis enseignée avant de partir pour l'empire Calypta. Mais son empressement à poser la question qui lui brulait les lèvres depuis quelques minutes déjà rendit ses premières interrogations inutiles, car elle poursuivit dans la même langue avant même d'obtenir une réponse :

- Lorsque vous avez plaisanté en me désignant comme nouvelle copine de Maître Néo... Cela impliquait-il qu'il en ai eu récemment ?

Ses joues s'étaient de nouveau colorées, bien qu'un peu plus discrètement que lors de la plaisanterie du chevalier, mais son regard franc ne quittait pas les yeux du dragonnier, gardant la tête levée à sa hauteur draconique.

Le son familier de l'accent japonais du jeune homme, quoi que différent du sien, lui communiqua un agréable sentiment de nostalgie, une tornade de souvenirs submergea son esprit apaisé par ces quelques fragments d'une vie antérieure. Agréable sentiment d'une bien courte durée toutefois, car lorsque le sens des mots lui parvint enfin, ses traits se figèrent en une expression de surprise et de tristesse. Son regard se détacha du dragonnier pour fixer l'horizon, empreint d'une inquiétude que le visage impassible qu'elle s'était petit à petit constitué tentait de démentir.

- Éé... Sô desu...

Arwen confirma les soupçons du jeune homme sans chercher à mentir. Perdue dans ses réflexions, elle descendit machinalement son cheval pour monter sur le dos de la dragonne. Malgré ses premiers doutes quant au passé relationnel du chevalier, la réponse de Shin l'avait prise de court. Depuis sa malédiction, la jeune femme restait presque constamment auprès de Néo, pouvant ainsi menacer du regard les femmes qui s'osaient à l'approcher, et ce même alors qu'elles ne nourrissaient aucune intention de séduction. L'attitude jalouse et possessive de la kendoka avait ainsi réduit les contacts féminins de son maître d'arme, que désormais beaucoup de représentantes du beau sexe évitaient particulièrement.

Depuis qu'elle lui avait implicitement fait part de ses sentiments, Arwen n'avait plus trahit son affection pour le chevalier, du moins pas volontairement. Elle avait espéré que Néo s'accoutumerait peu à peu à son tempérament au point de s'y attacher, comptant sur le temps pour lui faire apprécier son caractère difficile, qui n'avait jusque là semblé ne lui inspirer qu'indifférence. Mais si les rumeurs au sujet de cette elfe que le chevalier côtoierait étaient fondées, alors elle n'avait plus rien à escompter : éloigner de potentielles rivales lui semblait naturel, mais tenter d'approcher un homme déjà lié à une autre personne lui était tout simplement inconcevable.

Elle songea alors au pari qu'elle avait engagé avec Néo, et l'idée qu'il en ait accepté les conditions en dépit de sa situation la troubla... Ah, de toute évidence, le chevalier avait dû suffisamment la sous-estimer pour la croire, avec une certitude insultante, incapable de réussir une infiltration discrète. A cette pensée, Arwen sortit de sa torpeur, et lança un regard noir au maître d'arme, furieuse et vexée.

Elle n'avait pas entendu un seul mot des échanges entre ses trois accompagnateurs et, loin de se soucier du cheval pour lequel Néo s'était adressé à elle, la jeune femme se contenta de lui répondre de son regard courroucé, avant de l'ignorer. Admirant le paysage du haut de la dragonne, elle reprit en japonais :

- Comptez-vous un jour relever mon défi, Shin-senpai ? Je n'en démordrai pas, c'est un affrontement qui me tient à coeur, d'autant plus que vous êtes le seul combattant que je connaisse à détenir une arme similaire à la mienne...