Mal tombée

Arwen fut projetée en arrière au travers du portail sanglant par le sort même que son maître lui avait enseigné, la faisant lourdement tomber sur une surface à la fois molle et ferme... un matelas ? Allongée sur ce qu'elle devina être un lit, elle se tourna sur le côté et plissa les yeux, essayant de cerner l'endroit qu'un premier coup d'oeil l'avait fait différencier de sa propre chambre. Non, ce n'était pas sa chambre et pourtant, la pièce arborait un ameublement qui lui était familier...

La jeune femme se redressa en sursaut, reconnaissant avec un embarras profond la chambre de Néo. Quelle crédulité que de ne pas avoir deviné plus tôt le mauvais coup du mage de sang, dont elle était pourtant habituée aux duperies. Une inquiétude soudaine interrompit ses fulminations intérieures. La nuit était depuis longtemps tombée, alors à moins qu'il n'ait eu un projet nocturne contraire à ses habitudes, le chevalier noir était sûrement...

Lentement, elle tourna la tête vers l'autre côté du matelas, les sourcils abaissés en une expression de grave détresse. Elle s'était mouvée silencieusement, la respiration coupée, mais sa discrétion était irrationnelle : si son maître d'arme était bien là où elle redoutait de le découvrir, il y avait très peu de chance qu'il ne l'ait pas entendue ou tout du moins sentie tomber sur le lit.

Cela faisait plusieurs heures que le chevalier se reposait lorsque soudainement une sensation étrange lui fit ouvrir un oeil, un courant d'air qui n'avait pas lieu d'être dans sa chambre généralement close. Il fut un temps où quand cela arrivait cela signalait simplement que l'espionne au service de Néo ou Shin lui rendait une visite opportune pour une raison plus ou moins valable parce qu'ils passaient par la fenêtre. Alors qu'un poids tombait soudainement sur le matelat, Néo attrapa son épée qu'il dégaina sans perdre un instant avant de rouler sur le côté en retirant sa couverture pour se retrouver accroupis sur le sol à l'autre bout du lit.

Cette respiration particulière... Néo la reconnaissait entre mille, il avait l'habitude de l'entendre ces derniers temps lorsque son sommeil était troublé par son élève la plus turbulente. Sans perdre un instant, le chevalier fit le tour en silence du lit avant de se retrouver derrière Arwen qui s'était redressée sur le lit avant de, comme à son habitude, lui poser le fil de la lame au niveau du cou sans pour autant la blesser.

-"Et bien, miss Blacksoul... Je ne sais pas comment vous êtes arrivée jusqu'ici ainsi, mais vous semblez tellement surprise vous-même que je ne peux que croire que vous avez été envoyée ici par "erreur"..."

Franchement, le chevalier ne connaissait personne en ce monde en dehors des reines capable de téléporter les gens ou de faire quelque chose du genre et il n'avait en tête que deux personnes dans l'entourage de la demoiselle assez énigmatiques pour pouvoir produire un tel acte. Tout en rangeant son épée dans son fourreau, le chevalier ajouta:

-"Alors... Doppelganger ou Alucard...?"

L'approche trop familière de la lame du chevalier au niveau de son cou lui confirma ce qu'elle avait craint. Elle ferma les yeux et soupira, gênée de cette situation, qu'elle ne savait pas du tout comment expliquer sans rendre suspicieuse sa proximité avec le mage de sang. D'un autre côté, si elle gardait le silence, Néo pourrait mal interpréter son intrusion plus qu'indécente. L'idée de passer à ses yeux pour une personne dépravée lui parut plus pénible encore, et elle commença à balbutier quand le maître d'arme lui partagea ses soupçons.

Agréablement surprise par sa perspicacité, qui l'innocentait heureusement des mauvaises apparences que son entrée aurait pu lui donner, Arwen écarquilla les yeux, puis répondit :

- Qu'est-ce que cela change, Néo ? Ryu, Alucard ou un autre, de toute façon je me retrouve embarrassée de mon irruption. Je suis désolée de vous avoir tiré de la sorte de votre sommeil. J'aurais préféré vous réveiller sous un prétexte plus propre à vos enseignements, que ce soit pour l'infiltration discrète à laquelle je m'entraine ou simplement pour un duel nocturne.

Elle avait tenté au mieux d'éluder la question du chevalier, mais ne s'était pas elle-même convaincue. Elle descendit les jambes du matelas pour s'asseoir au bord du lit, et affronta son regard, essayant d'afficher une expression sereine.

- Saviez-vous que c'était moi, lorsque vous m'avez menacée de votre épée ?

Elle avait interrogé Néo dans l'espoir de changer de sujet, mais son ton vexé n'était pas feint. Se méfiait-il donc tant d'elle ? Arwen avait conscience d'avoir à maintes reprises agis imprudemment, et parfois avec une certaine effronterie à l'égard du chevalier noir, mais elle ne se souvenait pas avoir jamais fait montre d'une attitude méritant une réaction si soupçonneuse. La menace instinctive de Néo envers elle la blessait.

-"Vous avez raison, si vous n'avez pas envie de le partager, cela ne change rien..."

Répondit simplement Néo sur un ton neutre avant d'aller s'asseoir sur l'une des chaises qui se trouvaient autours de la simple table qui se trouvait dans sa chambre. Le chevalier en avait assez de lui rabâcher de ne pas faire confiance en ce mercenaire étrange qu'était Doppelganger, il l'avait prévenue plus d'une fois et si maintenant elle venait à se faire avoir d'une manière ou d'une autre par celui-ci elle ne pourrait pas dire qu'il ne l'aurait pas prévenue. Il posa le regard sur la jeune femme avant de répondre à son questionnement par:

-"Oui, je le savais... Tout comme nous avons tous notre manière de marcher, nous avons tous notre manière de respirer... Le son de votre respiration m'est devenue plus que familier depuis que vous êtes arrivée en Calypta..."

C'était une manière aussi très pratique de repérer les assassins si après une tentative ils réussissaient à fuir. Enfin, Néo n'était tout de même pas le plus doué dans ce domaine que seule Sanae avait su réellement maitriser. Mais c'était une espionne, c'était de son devoir de maitriser ce genre de choses.

Bien que soulagée de sa diversion aisément acceptée par son interlocuteur, Arwen ne put s'empêcher de s'irriter de sa réponse. Elle croisa les bras, son embarras dissipé par sa rancœur, adressant à Néo un regard courroucé.

- Votre défiance naturelle à mon égard m'insulte. Il est beaucoup de défauts que vous pouvez me reprocher, je ne les nie pas, mais me soupçonner capable d'une quelconque trahison méritant la menace de votre lame, c'est véritablement méconnaître mon caractère.

La jeune femme se releva, puis vint faire face au chevalier, qu'elle dominait de sa hauteur. Elle hésita à poursuivre ainsi, son regard abaissé vers le chevalier assis lui donnant des airs menaçants, puis décida de tempérer son humeur et prit une chaise pour la placer devant lui avant de s'y asseoir. Revenant sur ses reproches, elle ajouta :

- A moins que je ne me sois méprise et qu'il ne s'agisse pas là de méfiance... Dites-moi, comment dois-je interpréter votre réaction ?

Elle s'était efforcée d'adopter un ton et une expression plus calmes, ne voulant pas s'emporter avant la confirmation de ses soupçons. S'il lui fallait s'énerver du peu de confiance que semblait lui accorder son maître d'arme, mieux valait auparavant s'assurer de la bonne compréhension de son geste. Mais malgré elle, ses yeux trahissaient trop évidemment sa vexation.

De toutes les perfidies, la trahison était celle qu'Arwen méprisait le plus, et songer que l'une des personnes auxquelles elle tenait réellement puisse l'en croire capable l'offensait au plus haut point. Certes, elle n'aurait pas qualifié leur relation d'intime, et devinait ne pas compter autant pour le jeune homme. Mais elle suivait maintenant son enseignement depuis de longs mois et avait espéré assez de son attention pour qu'il ait appris un minimum de son caractère.

Toujours aussi calmement qu'un peu plus tôt, Néo afficha un petit sourire amusé à la manière dont Arwen prenait la chose juste parce que la situation différait un peu de l'habituelle visite nocturne.

-"Mmm... Je crois que vous prenez la chose dans le mauvais sens, miss Blacksoul..."

Commença le chevalier sur un ton calme avant d'enchainer.

-"Souvenez vous, à chaque fois que vous venez ici ou que vous vous battez contre moi... Que se passe-t-il...?"

En dehors du fait qu'elle finissait en général toujours par terre, Néo terminait toujours la séance par poser le fil de sa lame contre le cou de la jeune femme comme pour lui indiquer qu'elle venait de perdre. Ce n'était que par pure habitude que Néo l'avait fait ce soir là, comme tous les autres où elle avait fait son apparition. Cela dit, il n'agissait ainsi qu'avec elle parce qu'elle était la seule de ses élèves qui était assez combative pour tenter de revenir à la charge de manière presque incessante. Certes elle semblait récemment avoir trouvé une occupation comme Alec et Milly mais cela ne l'empêchait pas de revenir. A vrai dire, Néo commençait à s'habituer à la voir dans ses parages.

Arwen était restée tendue tout le long de leur échange, et la réponse du chevalier la surprit tant, l'explication se révélant si éloignée de son interprétation, qu'elle laissa échapper un rire franc, faisant fi du sommeil désormais certainement perturbé des voisins proches. Elle sourit à Néo, et reprit :

- Je vois... J'ai bien fait de m'enquérir de la justesse de mon raisonnement avant de m'emporter contre vous.

Cette attitude la surprit elle-même : d'ordinaire, la jeune femme cédait à ses premières impulsions sans réellement réfléchir aux détails au préalable. Le contrôle qu'elle était parvenu à exercer sur sa colère témoignait d'une évolution dont elle ne se serait pas cru capable et qui la satisfit. Était-ce dû à l'influence du calme apaisant que conservait le plus souvent son maître d'arme, ou bien simplement à son habitude de supporter le vampire le plus agaçant de tout l'empire ? Bah, qu'importait : les deux professeurs lui étaient tous deux aussi précieux dans leurs enseignements que dans leur compagnie.

Le sourire d'Arwen se fit plus malicieux, et elle reprit :

- Il est en effet difficile d'oublier les conclusions trop fréquentes de mes attaques ici... Hmm, il est temps que je m'évertue plus sérieusement à changer vos habitudes, Maître Néo, et ce d'autant plus que le délai que vous m'avez laissé pour mon pari s'est nettement raccourci. J'espère bien parvenir un jour à conclure différemment nos échanges...

La jeune femme haussa un sourcil, son expression taquine insistant sur le sous-entendu ambigu qu'elle supposa Néo trop renfermé aux allusions de ce goût pour vraiment saisir.

-"Vous vous améliorez, c'est bien..."

Prononça le chevalier calmement, il savait ce que pouvait donner une tête butée comme Arwen en s'énervant l'ayant vécu à plusieurs reprises. Ceci dit, il disait ça surtout pour l'encourager à continuer de réagir ainsi sans pour autant prendre pour acquis le fait qu'elle puisse le faire en toute occasion. Alors qu'elle faisait référence à son pari, le chevalier se mit à sourire de nouveau.

-"Je ne savais pas qu'un baiser de ma part pouvait motiver ainsi... Je devrais peut-être le proposer à Alec, dans ce cas..."

Le chevalier ne doutait pas qu'en fait proposer d'en donner un au stratège si il ne se motivait pas le ferait plus bouger que le contraire mais cela n'avait pas d'importance. Il ajouta:

-"Ceci dit, vous avez raison sur un point, il ne vous reste que peu de temps encore pour réussir votre pari... Si cela vous tiens tant à cœur, vous devez doubler de rigueur... et je dis bien de rigueur, pas de nombres de tentatives..."

La dernière partie de la phrase avait été dite avec une pointe d'amusement.

De nouveau, Arwen éclata de rire, provoquant des récriminations furieuses depuis les chambres voisines qu'elle ignora royalement. Elle ne s'était pas attendu à ce que le chevalier réponde sur le même ton, et c'était une agréable surprise. Elle avait craint une repartie sérieuse et la répétition des reproches au sujet de son attitude "obnubilée". Elle prit un faux air vexé et poursuivit de la même façon :

- Eh bien, n'étais-je pas déjà suffisamment jalouse d'éventuelles rivales pour que vous vous amusiez à me faire redouter la concurrence de rivaux, Maître Néo ?

La kendoka s'était toujours étonnée de la passivité du maître d'arme quant à son comportement possessif qui faisait fuir les quelques femmes l'approchant. Mais cette indifférence lui profitait, aussi ne l'avait-elle jamais questionné et n'en avait pas l'intention. Elle se releva finalement, souriant toujours à l'adresse du calyptien, et ajouta :

- Si vous ignorez la motivation qui peut naître d'un baiser, Néo, c'est peut-être bien le signe d'un manque d'expérience en la matière ? Ou alors d'un mauvais choix de "professeur" à cet exercice ? Voila bien une lacune que je saurais combler...

Elle se permit un court instant pour dévisager le chevalier, dont la réaction à ses avances implicites l'intriguait, puis se tourna afin de ne pas lui laisser le temps de répondre. Elle ne voulait pas l'entendre refuser fermement la relation plus intime qu'elle espérait de lui, le savoir indifférent lui était déjà suffisamment pénible. Elle préférait partir sur la discussion amusée qu'ils venaient d'avoir, et se dirigea vers la porte sans un regard en arrière.

Elle tourna la poignée, souhaitant au maître d'arme une bonne nuit sans se détourner, et s'apprêta à quitter la chambre lorsqu'un liquide épais brouilla sa vue et lui brûla les yeux. Lâchant une plainte de douleur, elle porta la main à ses paupières closes et essuya du revers les larmes de sang. Lorsqu'elle put rouvrir les yeux, elle libéra aussitôt Gekido et lut l'inscription de lettres rouges qu'elle avait deviné sur la lame reptilienne.

N'approche plus la plaine ni le quartier nocturne. C'est une interdiction, pas un conseil. Je te contacterai plus tard pour décider de la levée de cette restriction. N'en profite pas pour déranger Ryu, reste avec Lightfellow.

La jeune femme dut relire plusieurs fois le message, trop perturbée par sa signification pour y croire. Ainsi sa plus proche relation sur Calypta la voulait loin d'elle et la virait sans explication de son actuel logement ? Elle essaya de contacter le vampire par pensée, mais celui-ci lui fermait l'accès à son esprit, refusant volontairement tout contact. Sa peine évolua en fureur, et elle rangea Gekido dans son fourreau d'un mouvement brusque.

Elle sortit enfin de la chambre du chevalier et partit d'un pas pressé en direction du manoir d'Alucard, furibonde.

Le chevalier resta silencieux le temps que la demoiselle réponde à sa boutade amusée. Elle dévoilait beaucoup plus à travers ces dernières phrases qu'elle n'avait dévoilée a travers l'envie de réussir son pari que Néo aurait put mettre sur le banc de la combativité. Le jeune homme, qui n'avait pas vu la situation de ce point de vue et avait prit dans un premier temps le baiser comme une lubie de la demoiselle, resta silencieux.

Ce n'est que lorsqu'il entendit la plainte douloureuse de la demoiselle qu'il se ré-intéressa à ce qui l'entourait. Il eut le temps de voir la kendoka lire quelque chose sur son sabre avant de lire lui-même l'inscription qui lui fit froncer les sourcils. La Plaine... c'était le domaine du vampire Alucard et cette couleur qu'il voyait pouvait très bien être assimilée à celle du sang, son élément.

-"Arwen...?"

Eut a peine le temps de prononcer le chevalier avant que la demoiselle ne sorte en trombe de sa chambre. Sans perdre un instant, le chevalier attrapa son épée qu'il attacha à sa ceinture, des bottes et un haut noir qu'il mit sur lui avant que son ombre ne prenne la place de sa cape comme à son habitude. Il suivit ensuite le chemin que la jeune femme prenait sans bien se soucier d'être discrète ou non...

La jeune femme partit dans un tel état de fureur qu'elle mit un long moment avant de se rendre compte qu'elle était suivie. Surprise, elle se retourna en sursaut, le sabre dégainé. Lorsqu'elle reconnut son maître d'arme, elle abaissa Gekido, étonnée. Elle reprit ensuite son chemin à la même allure rapide, devinant qu'il ne la perdrait pas si facilement de vue.

- Pourquoi suivez-vous mon chemin, Néo ?

Nul doute que Néo avait dû lire le message d'Alucard, ce n'était pas là les interrogations d'Arwen. Lorsqu'il l'avait accompagnée jusqu'à la sorcière, il avait prétexté son honneur de chevalier et l'avait ainsi secourue à plusieurs reprises, et ce malgré ses demandes répétées d'être livrée à elle-même. La jeune femme le soupçonnait de la sous-estimer, se faisant un devoir de la surprotéger des dangers mêmes pour lesquels elle s'entrainait tant. Elle était venue à lui dans l'espoir d'apprendre suffisamment pour être capable de mener une vie indépendante, et pourtant, elle ne s'était encore jamais à ce point sentie maternée.

Bien qu'elle appréciait particulièrement sa compagnie, elle ne pouvait s'empêcher de s'en vexer, le sentant lié à elle par un devoir de protection qui n'avait rien à voir avec les raisons qu'elle espérait le motiver à l'accompagner. Elle ralentit afin qu'il la rejoigne à ses côtés, le préférant, quitte à être suivie contre son gré, près d'elle plutôt qu'à ses talons.

Ce n'est qu'après un long moment de silence que la jeune femme remarqua Néo. Elle lui posa une question qui ne le fit que peu broncher et à laquelle il répondit:

-"Vous ne semblez pas vouloir suivre les recommandations qui vous ont été données... alors à défaut d'essayer de vous dissuader en vain, je vais vous accompagner..."

Si la réflexion que Néo s'était faite auparavant était bonne, Alucard était celui qui avait transmit ce message à la kendoka et cela semblait assez sérieux pour qu'il lui demande de rester avec le chevalier. Toujours aussi calmement, le chevalier ajouta:

-"Mais je vous rassure, je suis aussi intrigué par ce qui pousserait sire Alucard à vous demander une telle chose aussi sérieusement... de ce que j'ai pu voir de lui, cela ne semble pas vraiment son genre..."

Alors même qu'il avait dit cela, il avait rattrapé la jeune femme en quelque foulées. Sans son armure, Néo était beaucoup plus agile et rapide que d'habitude, il y avait juste d'autres choses qu'il ne pourrait se permettre mais ce n'était pas bien important dans l'état actuel des choses.

Bon, au moins le chevalier avait-il compris l'inutilité d'une tentative de raisonnement, à défaut de respecter sa volonté d'indépendance. Arwen ne reporta pas sa colère contre le jeune homme, bien trop vexée par le vampire pour soulager son humeur sur un tiers.

- Je suppose qu'il serait aussi vain d'espérer votre départ immédiat que d'attendre de moi le respect des instructions d'Alucard ?

Elle adressa au chevalier un regard résigné, puis reprit :

- En effet, il est rare qu'il fasse preuve de sérieux. Toutefois sa protection démesurée envers moi ne m'étonne pas... j'y suis malheureusement habituée.

Tout en terminant sa phrase, la jeune femme avait accusé du regard son accompagnateur, à qui elle reprochait silencieusement les mêmes torts qu'au vampire. Bien qu'Alucard lui fit régulièrement partager ses promenades en milieu hostile et la laissa parfois affronter seule des adversaires, il la surveillait toujours de très près et intervenait au moindre risque, interrompant impunément ses combats pour les terminer lui-même lorsqu'il jugeait la jeune femme en mauvaise posture.

C'était toutefois une attitude qu'elle acceptait plus facilement que la protection du chevalier : le vampire, lui, la protégeait avant tout pour se protéger lui-même. La plupart de leurs agresseurs appartenant à la race du Nosferatu, qui s'était fait une réputation particulièrement mauvaise parmi les siens, Alucard défendait tout naturellement le sang d'Arwen, dont les informations à son sujet pourraient lui nuire, les vampires ayant cette fâcheuse capacité à "lire" la vérité dans les veines de leur victime.

- Je ne suis pas encore de taille à m'opposer à votre compagnie, Néo, c'est pourquoi je n'insisterai pas. Mais j'espère que vous comprendrez toutefois qu'arrivés au manoir de mon "colocataire", vous devrez patienter à l'extérieur pendant que je rassemblerai mes affaires à l'intérieur. Je ne peux vous ouvrir les portes d'une demeure qui n'est pas mienne, votre éventuelle invitation dépendra d'Alucard et non de moi. Et s'il est absent, j'ai l'intention d'attendre près de son cercueil, que je sais qu'il finira par rejoindre d'ici quelques heures au plus tard. Si vous tenez malgré tout à m'accompagner, attendez vous donc à vous ennuyer devant la porte...

Arwen attendit que Néo confirme sa demande, puis s'intéressa à ses précédentes remarques.

- Je ne vous savais pas de nature curieuse, Néo. Qu'est-ce qui justifie cet intérêt pour Alucard ?

Tandis qu'elle interrogeait son maître d'arme, la jeune femme surveillait avec méfiance les habitants du quartier nocturne. Presque chacun des vampires qui rencontraient son regard commençaient par prendre une expression réjouie... avant de découvrir avec déception la présence du chevalier du Sahoc à ses cotés, qui les retenaient apparemment d'exprimer leur satisfaction de la retrouver sans Alucard.

Néo acquiesça sans sourciller lorsque la jeune femme lui expliqua l'histoire de la maison et tout le reste, il fut néanmoins intrigué par ce terme de colocation qu'elle venait d'utiliser. Ceci dit, quand elle lui posa la dernière question sur Alucard.

-"Rien étant donné que mon intérêt ne se porte pas sur Alucard... pour l'instant..."

A aucun moment le chevalier n'avait parlé d'un interet pour le vampire, ce qui l'intriguait c'était surtout ce qu'il cherchait à faire éviter à Arwen. Ceci dit, le noiraud n'exemptait pas la possibilité qu'il ne cherche à en savoir plus sur le vampire dans les prochains mois.

-"Ceci dit, il ferait sans doute un bon allié pour le Sahoc si il le voulait..."

Comme il s'y attendait, le chevalier repéra énormément d'hostilité dans les parages à leur passage. Certes il n'avait pas son armure mais il était tout de même un grand nom de Calypta et seul les plus idiots ou les plus incultes tenterait de les agresser...

Arwen s'étonna de la réponse du chevalier.

- Ha ? Vous vous disiez intrigué par son sérieux... Sur quoi se porte donc votre intérêt, si ce n'est pas sur Alucard ?

La jeune femme s'intéressait peu au Sahoc ou au Nieb, et ne commenta donc pas la réflexion de Néo à ce sujet : aucun des deux camps ne prônait de politique qui lui convienne tout à fait, et elle était encore trop récemment calyptienne pour se sentir réellement impliquée.

Le couple était parvenu dans un coin reculé du quartier nocturne, où les habitations se faisaient plus rares, se rapprochant du manoir éloigné d'Alucard. La kendoka avait espéré de sa marche, privilégiée à une traversée à cheval, la dissipation de sa colère, consciente d'être parfois apaisée par l'exercice. Et en effet, bien que toujours agitée par les recommandations d'Alucard, elle se sentait tout de même un peu moins énervée. Mais y aurait-elle réfléchit plus sérieusement qu'elle en aurait deviné la véritable origine, qui n'était autre que son maître d'arme, dont le calme imperturbable influençait son humeur.

Alors qu'Arwen s'apprêtait à rompre le silence revenu, une voix vaguement familière l'interpella.

- Tiens, l'humaine de compagnie d'Alucard ! Comme on se retrouve ! Et accompagnée d'une autre pochette de sang, de surcroit ! Tu dois être plus idiote que je ne pensais, pour t'aventurer dans le quartier sans ton garde habituel...

La kendoka se retourna pour découvrir un jeune vampire aux cheveux courts et bruns et au sourire moqueur. Elle fronça les sourcils un moment, puis reconnut le défunt, qu'elle se rappela avoir été le seul survivant d'un des nombreux massacres d'Alucard, ce dernier l'ayant jugé trop ridiculement faible pour s'en amuser. L'homme avança vers elle, se préparant à l'attaquer dans une attitude confiante qui l'agaça. Elle lui adressa un regard méprisant tout en précisant à Néo d'un ton ferme :

- Je sais.

Le chevalier avait prit l'habitude de lui rappeler de toujours considérer la force de son adversaire avant d'engager un combat, et elle avait confirmé avoir pris la précaution qu'elle ignorait habituellement avant même qu'il n'ait eu le temps de prononcer un seul mot. Sa considération pour le vampire ne prenait pas seulement en compte les railleries d'Alucard : Arwen se souvenait de la beuverie que s'était accordé le jeune homme pour feter sa mort récente avant que le mage ne se décide à "participer" aux réjouissances et ne tue tous ses compagnons. Elle le savait donc peu expérimenté, et apparemment particulièrement inculte, pour ne pas avoir reconnu le chevalier à ses côtés.

Elle s'écarta de Néo afin de ne pas risquer de le toucher dans le duel, et sourit à son adversaire. Elle allait enfin pouvoir exprimer physiquement sa colère. Lorsqu'il la vit poser la main sur Gekido que, contrairement à ses habitudes, elle ne libéra pas, le vampire bondit vers elle, la rejoignant rapidement le poing levé. La réplique du sabre serpent fut immédiate : dégainé au dernier moment, il trancha net la gorge du vampire, que la vitesse de l'arme avait surpris.

Arwen n'avait encore jamais eu l'occasion de porter ce coup de façon mortelle, n'ayant pu s'y entrainer que dans son monde, où les combats ne se faisaient qu'en entrainement. Prenant en compte la rapidité surhumaine de son adversaire, elle avait choisi la technique d'iai, qui consistait à dégainer rapidement dans un même mouvement d'attaque continu le sabre pour tripler sa vitesse. Elle regarda avec effarement le corps décapité tomber en poussière, incrédule.

Quoi, c'était tout ? Cet imbécile l'avait attaquée désarmé et de front, sans aucun plan d'attaque ? Alors qu'elle avait été partiellement apaisée quelques minutes plus tôt par la compagnie du chevalier, la kendoka reprit son chemin plus furieuse qu'avant. Après un petit moment de silence, elle desserra finalement la mâchoire pour expliquer les raisons de sa mauvaise humeur :

- Suis-je donc sous-estimée à ce point que n'importe quel crétin puisse se croire capable de me vaincre sans arme ?

-"Sur ce qu'il veut vous empêcher de rencontrer..."

Avait-il dit avant qu'un être de la nuit ne vienne troubler leur balade. Durant toute l'altercation entre le vampire et la kendoka le chevalier était resté en retrait. Cet être nocturne faisait apparemment partie des deux catégories de personnes qui ne le reconnaissait pas mais ce n'était pas bien important car Arwen s'en était défait sans trop de mal.

-"Les humains ont souvent tendance à être sous-estimé... Mais ce vampire n'avait aucun instinct, il se serait fait tuer par l'un de ses semblables une nuit ou une autre si on ne l'avait pas croisé ce soir..."

Prononça calmement le chevalier. Le vampire avait fait la même erreur qu'Arwen avait eut tendance à faire par le passé, s'attaquer à beaucoup plus fort que soit à cause d'un trop grand aveuglement quand à ses capacités de base.

-"La vie et la mort ne tiennent parfois qu'à une pensée mal placée..."

Ajouta le chevalier en regardant le tas de poussière laissé derrière par le vampire avant de pousser un soupire.

-"Vous m'avez prouvé ce que je savais déjà, vous vous êtes amélioré, Arwen... Ceci dit, la prochaine fois que vous sentez qu'un ennemi est plus faible que vous, pour devenir encore plus forte vous devriez essayer de le battre sans votre arme..."

Il avait dit cela avec un petit sourire sur le visage.

Prise de court, Arwen s'arrêta, l'air étonné. Elle ne s'était pas rendu compte du progrès dont lui faisait part son maître d'arme, et l'entendre de lui s'avérait plus gratifiant encore que de le constater par elle-même. Mais c'était surtout l'appellation qu'avait employée Néo qui l'avait surprise. Depuis son arrivée sur Calypta, et ainsi depuis leur rencontre, c'était la première fois qu'il l'appelait par son prénom.

Elle lui sourit et se remit en marche.

- J'aimerais pouvoir me passer de mon sabre mais je n'ai pas appris à me battre au corps à corps... Peut-être lors d'une prochaine leçon ?

L'idée d'affronter le chevalier d'une façon différente que celle de coutume la tentait réellement, elle espérait qu'il aurait le temps de lui dispenser ce nouvel enseignement. Le sourire d'Arwen s'affaissa soudain. Ils étaient arrivés jusqu'au manoir, et la vue de la demeure du vampire assombrit de nouveau l'humeur de la jeune femme. Elle fronça les sourcils et parla d'un ton neutre :

- Patientez ici, je vous prie, Néo.

Arwen accéléra le pas et approcha ainsi les portes closes, s'entaillant d'un geste net la paume de la main pour pousser le bois devant elle, qui s'écarta au contact du sang familier.

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