Infiltration discrète

Parvenue au couloir qui menait aux chambres de la cour, Arwen ferma un instant les yeux, attendant de retrouver son calme pour avancer. La nuit était depuis longtemps tombée, elle avait prit garde de se conformer aux habitudes de coucher tardif du chevalier noir, malgré la mesure qu'elle avait prise de venir le surprendre après une journée particulièrement éreintante pour le jeune homme.

Apaisée, son souffle de nouveau contrôlé et silencieux, elle se concentra pour léviter à quelques centimètres du sol, usant de ses nouvelles capacités en magie du sang pour approcher sans bruit de la chambre de Néo. La distance qu'elle pouvait parcourir ainsi était encore relativement courte, aussi devait-elle régulièrement se reposer à terre avec douceur avant de se soulever à nouveau, n'osant pas un mouvement qui pourrait trahir sa présence.

La porte qu'elle avait si souvent ouvert en trombe lui faisait face, et elle l'ouvrit avec une précaution toute particulière, apposant les deux mains sur la poignée pour en éviter d'éventuels grincements, comme son expérience de maintenant près d'un an lui avait appris à le faire. La jeune femme pénétra en lévitant la chambre, et referma avec autant de soin que pour l'ouvrir la porte depuis laquelle elle craignait que des bruits alentours ne réveillent le maître d'arme.

Soulagée de l'accueil manqué de la lame maudite habituellement appuyée contre sa gorge à son entrée dans la chambre, Arwen approcha calmement le lit de Néo et se permit un court instant pour l'observer endormi, avant de descendre doucement à terre. Elle abaissa soigneusement le fil de sa lame contre le cou du chevalier, imitant pour la première fois le geste dont le jeune homme marquait habituellement ses victoires, et l'interpella :

- Réveillez-vous, Néo.

Arwen ne s'était pas attendu à ce que le chevalier honore dans l'immédiat son engagement, de façon si spontanée. Elle ne répondit donc sur l'instant que calmement à son baiser avant de l'enlacer pour le serrer contre elle tandis qu'elle l'embrassait avec plus d'empressement, profitant avidement de l'attention éphémère pour laquelle elle s'était entrainée près d'un an aux attaques nocturnes.

Elle fit durer leur échange aussi longtemps que possible, mais dût se contraindre au bout d'un moment à éloigner ses lèvres de celles de Néo, bien qu'elle ne desserra pas son étreinte pour autant. Elle leva les yeux pour dévisager ce dernier et lui sourit d'un air attentionné qu'elle exprimait rarement, pour lui parler d'un ton amusé :

- S'il s'agissait là d'un "petit cadeau", je serais curieuse de recevoir un jour un présent généreux de ta part, Néo.

La jeune femme se blottit contre le chevalier et soupira, pour reprendre :

- Je manque d'excuse désormais pour espérer d'autres "cadeaux" de toi, petits ou généreux... Mais d'un autre côté, sans le partage des sentiments que je te porte et sans envie réciproque, ils ne sauraient me combler qu'un trop court instant pour qu'il soit sage de t'en réclamer de nouveaux.

Un peu attristée des pensées qu'elle lui exprimait, elle le lâcha enfin et lui fit face. Sa peine s'estompa toutefois rapidement et elle reprit un air enjoué, ajoutant sans attendre la réponse du chevalier :

- Heureusement... Tu sais déjà que je suis loin d'être aussi sage que je le devrais.

Arwen posa alors ses lèvres sur celles de Néo, mais s'éloigna peu après, se contentant d'un baiser rapide. Elle lui adressa un regard désolé, mais ne put s'empêcher un sourire amusé tandis qu'elle s'excusait :

- Sois indulgent, j'ai beaucoup attendu le gage de ce soir, il m'est difficile d'accepter l'idée que je ne pourrai plus rien espérer de toi, maintenant que j'ai remporté mon pari.

La jeune femme recouvra un air sérieux et adopta de nouveau le ton poli qu'elle employait habituellement pour s'adresser à son maître d'arme, lui prouvant l'autorité qu'elle lui reconnaissait et n'oubliait pas, malgré l'intimité des gestes qu'elle s'était permis à son encontre :

- Vous allez pouvoir mieux profiter de vos nuits désormais, Maître Néo. Même s'il est vrai qu'il est plaisant de vous surprendre, je ne pense pas revenir dans cette ambition. Cet exercice pourrait sûrement m'être utile, mais il n'est pas dans ma nature d'attaquer par surprise et je n'étais motivée que par le gage que j'attendais de vous, et non par l'entrainement que j'en retirais.

Songeant au nouveau défi dont lui faisait part le chevalier, Arwen se sentit reprendre espoir, encouragée à l'idée de pouvoir reproduire le contact auquel elle venait de gouter. Un détail la ramena subitement à la réalité présente. "Cours théoriques"... La jeune femme se rembrunit, déçue de la difficulté de la tâche. Il ne lui vint pas un seul instant à l'esprit de ne pas relever "l'excuse" que lui proposait Néo, bien trop avide de la "récompense" en jeu. Toutefois, bien que déterminée à approfondir au mieux ses connaissances théoriques, elle souffrit d'avance les longues journées de révisions en prévision. Depuis le début des cours, elle n'avait prêté attention qu'au professeur, sans jamais s'intéresser aux leçons qu'il enseignait. Elle avait donc un retard considérable à rattraper...

Arwen soupira et vint s'asseoir en face de Néo, répondant à sa dernière réflexion d'une expression étonnée. Il avait commenté leur baiser comme s'il s'était agit d'une première expérience pour lui, ce dont la jeune femme fut tentée de l'interroger. Mais cette indiscrétion lui parut trop intime, et elle n'osa pas la lui partager, préférant finalement orienter le sujet de discussion différemment :

- Vous semblez surpris, c'en est presque vexant. Je me demande à quelle corvée pénible vous vous attendiez.

Elle lui sourit, amusée malgré tout par sa façon de présenter la chose, l'air songeur et concentré comme s'il analysait un mouvement de combat. Ses expressions de maître d'arme semblaient lui revenir en toute circonstance, manie que la jeune femme appréciait inlassablement. La kendoka croisa les bras et revint au sujet précédent :

- Vous savez l'intérêt modeste que je porte aux cours théoriques, Maître Néo. En conséquence, vous comprendrez que l'éventualité d'une nouvelle "excuse" pour me motiver ne me suffira pas... Je ne travaillerai pas pour un ""peut-être" aussi évasif, j'aime la certitude. Quelle performance exacte exigez-vous de moi à vos cours ? Quoi que ce soit, je ferai preuve de sérieux, mais j'insiste : j'attends de vous un gage similaire au précédent et non pas potentiel, mais certain, si je remplis vos conditions.

Finalement, Néo ne lui opposa pas les réticences auxquelles elle s'était attendu, et Arwen accueillit son défi avec plus d'optimisme, bien que l'accord de son gage ne change en rien la difficulté de son apprentissage. Elle y passerait le temps qu'il faudrait. Par ailleurs, n'usant plus son temps libre pour retrouver Alucard, dont la compagnie s'était révélée déplaisante depuis l'arrivée du sapin de Noel, la kendoka avait devant elle une disponibilité plus que suffisante pour se plonger dans les révisions.

- Bien, considérez donc que vous aurez vite l'occasion de vous habituer à cette sensation, Maître Néo.

La jeune femme sourit tandis qu'un détail lui venait à l'esprit. Le maître d'arme n'avait pas répondu à la description des performances qu'il attendait d'elle, s'il prenait donc trop de temps à réaliser ses efforts, elle pourrait simplement se récompenser elle-même en se justifiant du fait qu'il n'avait pas spécifié le travail exact à fournir. Elle considérerait donc elle-même le mérite qui lui reviendrait de ses révisions.

Alors qu'elle se plaisait à se rappeler l'instant précédant leur discussion, Arwen partagea son étonnement au chevalier quant au naturel de son geste :

- Votre spontanéité à honorer si tôt votre engagement m'a prise de court, tout à l'heure. A défaut de pouvoir vous surprendre en combat, j'espérais vous déstabiliser en prenant cette initiative...

Songeuse, elle finit par conclure :

- Bah, je parviendrai bien à vous prendre au dépourvu, au moins dans une des deux disciplines.

Surprise par le ton amusé du jeune homme, qui encourageait ainsi ses provocations, elle lui adressa un regard étonné, puis sourit d'un air arrogant. Calmement, elle se leva de sa chaise et se pencha vers Néo, approchant son visage du sien comme lorsqu'elle lui avait réclamé près d'un an plus tôt son gage, pour finalement s'arrêter à quelques centimètres de ses lèvres, avant de s'éloigner légèrement sur le côté et murmurer à son oreille :

- Oh mais je le ferai, Néo... quand tu t'y attendras le moins.

Arwen n'avait pas la moindre idée de l'occasion dont elle profiterait pour surprendre le chevalier, mais elle n'en restait pas moins absolument certaine de réaliser ses prédictions. Rien ne la motivait plus qu'un défi, et celui-ci accaparait d'autant plus son intérêt qu'il venait de Néo.

La kendoka reprit tranquillement place sur la chaise qui faisait face à celle du maître d'arme et retrouva une expression plus sérieuse, tandis qu'elle abordait un sujet délicat, tout du moins pour elle :

- Puisque vous ne semblez pas pressé de vous rendormir, j'aimerais vous demander votre avis par rapport à une solution qui m'a été proposée pour m'exposer au soleil sans danger. Elle ne me satisfait pas vraiment et comporte des désavantages, mais vous êtes aussi concerné, et il m'apparait juste que vous sachiez également l'alternative qui s'offre à moi.

La jeune femme expliqua en détail son entretien avec Aenea, bien qu'elle passa sous silence la réaction disproportionnée qu'elle avait eu à son encontre, terrorisée. Elle s'appliqua notamment à réciter la description qu'avait fait la commerçante du pendentif et de ses risques.

- Ce qui m'inquiète le plus, c'est l'idée d'être soumise à un danger mortel à la moindre fêlure du pendentif... D'un autre côté, je serais autant à la merci du soleil au moindre de vos caprices, ou s'il fallait qu'il vous arrive malheur. Mais au moins, avec le pendentif, je n'aurais pas à vous faire partager le poids de ma malédiction. Quel est votre avis, Néo ?

Elle attendit les conseils du chevalier, soucieuse.

Arwen réfléchit aux remarques du chevalier, jusqu'à ce qu'il ne s'étonne des faiblesses qu'elle lui avait prêté. Elle sourit à son tour, et s'expliqua :

- Je ne vous imagine pas capricieux Néo, je fais juste preuve d'une prudence inhabituelle qui me conseille de prendre en compte toutes les éventualités possibles. Par ailleurs, ne m'avez-vous pas avertie de l'adversité qui nous confronterait en cas de guerre entre nos deux partis ?

Elle haussa un sourcil interrogateur, attendant une réponse du bras droit de la reine Angélique. Ensuite, elle poursuivit :

- Vous ne m'êtes jamais apparu faible, Maître Néo, autrement je n'aurais pas fait appel à vous pour m'entrainer. Simplement chaque puissance a son point faible, et vous ne faites sûrement pas exception à cette règle... Toutefois, il est vrai qu'avec la disciple émérite qui vous accompagne, vous devez avoir bien peu de soucis à vous faire, votre protection est assurée.

Elle avait plaisanté d'un ton sérieux, inversant leurs rôles pour taquiner le maître d'arme, mais ne tînt pas la comédie et finit par trahir un sourire amusé.

Arwen voulut corriger certains points relevés par Néo, mais abandonna avant même d'avoir essayé. Argumenter sur un sujet pour lequel elle se sentait si peu concernée ne valait tout simplement pas la peine de retenir plus longtemps son maître d'arme éveillé. Elle se contenta finalement d'acquiescer, confirmant la confiance que pouvait se permettre le chevalier à son encontre, quelle que soit son appartenance politique.

L'ayant déjà dérangé plus que nécessaire, Arwen décida à contre-cœur qu'il était temps de laisser le chevalier se reposer de la journée épuisante grâce à laquelle elle avait pu le surprendre. La jeune femme soupira et se leva, prenant congé d'un sourire amusé :

- Nous ne nous reverrons pas avant le prochain cours, puisqu'il va falloir que je passe désormais mon temps libre à résister aux dons soporifiques des révisions qui m'attendent. Toutefois, une fois que j'aurais rattrapé mon retard, je pense... Je pense que je vous accompagnerai de nouveau dans vos déplacements, à la lumière du jour, si cela ne vous dérange pas. Le soleil me manque plus que je ne l'aurais cru... et vous aussi.

Se conformant à sa décision récente de ne plus suivre Néo en dehors de ses entrainements et de ses cours, la kendoka n'avait plus depuis quelques semaines profité de sa compagnie quotidienne, comme elle avait auparavant prit l'habitude de le faire depuis sa malédiction. Néanmoins, ce choix l'avait vite lassée et elle ne se sentait plus la détermination de le suivre, d'autant plus que Néo ne paraissait pas en être particulièrement soulagé.

Soulagée que le chevalier ne s'ennuie pas de la compagnie qu'elle lui réclamait, Arwen lui adressa un sourire reconnaissant et lui souhaita une bonne nuit avant de passer le pas de la porte qu'il lui avait ouverte. Mais alors qu'elle voulut s'avancer vers la sortie, son maître d'arme s'empara de sa main et la fit se tourner de nouveau vers lui, s'autorisant un geste qui la surprit agréablement.

Décontenancée, elle resta un instant silencieuse, le dévisageant impunément tandis qu'elle songeait à son geste. Puis, se rappelant qu'elle retenait à la porte le chevalier qu'elle avait tiré d'un sommeil dont il avait particulièrement besoin, elle s'obligea à reprendre ses esprits et répondit :

- Je suis trop "obnubilée" pour prétendre que cela me suffit, mais c'est déjà beaucoup pour moi et je m'en contenterai jusqu'à ce que je sois en mesure de vous prouver mes efforts.

Elle passa la main dans ses cheveux d'un air arrogant qu'elle exagéra pour plaisanter :

- De toute façon, il ne me faudra probablement que très peu de temps pour parvenir à rattraper mon retard !

Après un dernier regard vers Néo, la kendoka quitta les quartiers résidentiels, regagnant sa chambre à l'auberge tandis qu'elle repensait aux évènements passés comme s'il s'était agit de rêves.