Sortie en forêt

Arwen se tourna vers son maître, l'air étonné.

- Mais je n'en ai pas la moindre, Maître Néo ! Je n'ai aucune expérience comparable sur laquelle m'appuyer, je n'ai jamais chassé ni traqué... Je m'attendais à ce que vous m'initiez à ces pratiques.

D'ordinaire, la jeune femme aimait à "prendre les rênes" et décider d'elle-même de la marche à suivre, assurée de la justesse de ses décisions. Toutefois, la discipline pour laquelle Néo la laissait libre de ses choix lui était parfaitement inconnue, et elle n'avait pas la moindre idée de la manière dont il fallait s'y prendre. Embarrassée de son inexpérience, elle hésitait à se débrouiller malgré ses lacunes, encouragée par les directives du chevalier mais également réfractaire à l'idée d'apprendre sur le tas, méthode qui impliquait de probables erreurs que sa nature perfectionniste n'acceptait pas.

Agacée contre elle-même de montrer pareille ignorance, elle observa finalement les alentours, espérant repérer un quelconque indice qui lui permettrait de deviner le chemin à suivre. N'en trouvant pas, elle lança un regard désolé au maître d'arme et attendit qu'il ne la conseille, soupirant de son incapacité, qui lui était d'autant plus intolérable qu'elle la trahissait auprès de Néo.

Et tandis que son humeur s'assombrissait de la colère qu'elle éprouvait contre elle même, la magie du sang frappa un oiseau qui passa à quelques mètres au dessus d'elle : l'animal fut violemment projeté contre un arbre, avant de tomber au sol, ses plumes ébouriffées et tachées de sang.

Alors que le chevalier s'osait à relever son manque de patience, Arwen fronça les sourcils, agacée et vexée de cette critique, qu'elle voulut commenter. Mais Néo dût deviner son humeur, car il enchaina aussitôt sur une nouvelle proposition, échappant de peu à un vent de sarcasmes teinté de mauvaise foi, et faisant s'écraser à terre un écureuil perché en hauteur qui passa à quelques centimètres de son visage, comme précipité par une force invisible.

Observant d'un air songeur l'animal assommé, la kendoka réfléchit à la supposition du maître d'arme quant à sa magie, puis ferma les yeux. Pas encore tout à fait apaisée par le ton calme du jeune homme, elle eut besoin d'un instant de réflexion silencieux pour oublier son irritation et se concentrer sur son conseil en magie. Lorsqu'elle parvint à vider son esprit des émotions et pensées dont il était troublé, elle put sentir autour d'elle la vie qui s'agitait, la proximité d'êtres dont elle percevait le sang bien qu'aucun de ses sens ne l'en avertit, simplement guidée par le don du mage vampirique.

La disciple de magie du sang soupira et rouvrit les yeux, interrompant sa conscience accrue de la vie qui l'entourait.

- Mon pouvoir est limité à une aire trop restreinte pour qu'à ce niveau il me soit utile dans la chasse. Je ne repère que les organismes proches.

Déçue, Arwen se mit en marche et avança devant elle, inspectant d'un regard vif l'environnement dont elle espérait trouver les indices du passage de la créature. Tandis qu'elle songeait au perfectionnement de sa magie du sang, elle fut inspiré par son élément et s'adressa de nouveau au chevalier sans pour autant tourner le visage vers lui :

- Par contre... Si la bête est dangereuse au point qu'on puisse s'attendre à ce que l'odeur du sang humain ne la laisse pas indifférente, je peux me constituer un rôle d'appât.

Libérant Gekido de son fourreau de serpent, la jeune femme approcha la lame de sa paume ouverte, prête à s'entailler, mais attendant par précaution la réponse de Néo.

Surprise, Arwen fixa son maître d'arme d'un air incrédule, les yeux écarquillés. Idiote ? La kendoka rit finalement de bon cœur, amusée par le fait que Néo, si posé et mature, ait pu l'insulter de façon si spontanée. Elle l'accompagna alors qu'il s'approchait des arbres et entreprit de se concentrer à nouveau pour prêter attention à ses conseils.

Songeuse, elle hésitait à contacter le mage du sang pour creuser la théorie de Néo. La jeune femme débutait encore en magie du sang, et n'avait travaillé que la précision et la teneur de la lévitation, qu'elle maitrisait tout juste. Alucard n'avait donc pas tenu à l'orienter dans une utilisation plus poussée de son don, et cette lacune l'embarrassait désormais.

- ... ton potentiel au combat et à la chasse s'en verrait nettement augmenté...

Convaincue par ce dernier argument, Arwen s'apprêta à contacter l'Esper Magister quand le souvenir de sa première expérience du don de sang s'imposa à son esprit. Instinctivement, elle avait envoyé une bouteille de sang assommer l'un des adversaires du mage, faisant naturellement appel à son pouvoir nouvellement acquis... et ce sans avoir au préalable jeté un seul regard en direction du récipient. De toute évidence, sa conscience de la proximité de corps sanguins s'exacerbait inconsciemment, comme l'avait décrit Néo.

La kendoka se tourna vers son maître d'arme et sourit tandis qu'il lui affirmait son intention de l'accompagner tout au long de sa mission.

- Bien, je peux donc compter sur vous quoi qu'il advienne. Puisqu'il en est ainsi, je n'ai aucune raison de craindre d'agir à ma manière.

Après avoir un instant insisté du regard sur l'armure du chevalier, elle argua d'un ton amusé :

- Je vous ai toujours trouvé plus à votre avantage sans votre armure, mais surtout, elle m'apparait plus incommodante encore dans la mesure où elle ralentit vos mouvements tandis que j'aime à me déplacer rapidement. Toutefois, c'est bien là un inconfort dont je n'ai pas à me soucier s'il s'agit d'accomplir ma tâche par moi-même... Vous me retrouverez à votre allure, n'est-ce pas ?

Arwen prit le temps d'étudier la nature autour d'elle, puis s'élança pour courir dans la direction qui lui parut la plus aisée à traverser, puisqu'aucun n'indice n'avait favorisé de piste plus favorable qu'une autre à accueillir la créature recherchée. Habituée à courir ainsi autant par plaisir que par entrainement, la kendoka foulait la terre à vive allure. Comme elle l'avait espéré, l'exercice la détendit et elle put y prendre plaisir tout en ressentant la magie du sang éveiller sa conscience des êtres environnants, grâce à laquelle elle put surveiller consciencieusement les créatures alentours parmi lesquelles elle recherchait sa proie inconnue.

Peu patiente, la jeune femme avait décidé de chasser selon son instinct, faisant fi de la marche tranquille du maître d'arme. La forêt lui semblait relativement peu étendue, aussi le moyen le plus sûr de tomber sur la créature lui était apparue comme l'empressement à provoquer cette rencontre d'une course vigilante, puisque son don lui permettait de repérer les êtres de la forêt mieux qu'aucune acuité visuelle. Et s'il fallait que cet instinct repose sur une témérité reprochable, la certitude de pouvoir se fier à Néo en cas de danger réel avait dissipé les rares hésitations de la jeune femme à le devancer. Quand bien même le chevalier se serait suffisamment agacé de sa course soudaine pour ne pas la suivre à sa vitesse, elle restait convaincue de le voir apparaitre à temps si l'affrontement exigeait son soutien.

Infatigable, la demoiselle parcourait sans interruption à son rythme effréné la forêt assombrie par la nuit, attentive à la proximité des moindres créatures de sang.