Interrogatoire en bibliothèque

L'air déterminé, Arwen quitta la salle de séjour pour se diriger vers la bibliothèque du palais. Elle n'y était allée qu'une fois : le jour de son arrivée, lors d'une brève visite guidée. Mais elle n'avait rien oublié de cette journée et, fait exceptionnel, elle ne se perdit pas avant de trouver sa destination. Elle poussa doucement la porte de la bibliothèque et entra sans un bruit, soucieuse de respecter le silence qui facilitait la concentration des lecteurs. Elle s'aperçut vite qu'il n'y avait en fait aucun lecteur dans la salle, mais marcha tout de même d'un pas discret vers la jeune fille qu'elle était venue voir. Elle avait beau méconnaitre l'endroit, elle se comportait selon les mêmes habitudes qu'elle avait prises dans les bibliothèques de son monde d'origine.

Traversant les couloirs aux murs d'étagères, elle faillit s'arrêter devant une section dont le nom était écrit sous un alphabet autre que le Calyptien. Arwen adorait les livres. Si elle n'en avait jamais lu d'autres que ceux imposés par son Maître d'armes sur Calypta, ce n'était pas par indifférence, bien au contraire. La kendoka avait passé la plus grande partie de sa jeunesse plongée dans l'imaginaire infini des ouvrages de bibliothèque, constamment occupée à lire. C'était une erreur qui lui avait par la suite beaucoup couté, et elle s'était depuis promis d'apprécier les plaisirs de la vie réelle, au lieu de les rêver passivement dans les livres sans jamais vraiment les goûter. Elle se rappela la raison qui l'avait menée jusqu'à la bibliothèque du palais et pressa un peu le pas.

- Bonsoir Milly... J'aimerais te parler un instant, si tu le veux bien.

La demoiselle rangeait ses affaires, et Arwen craignit qu'elle n'ait des obligations ponctuelles à remplir et ne lui refuse donc une conversation. Mais elle lui accorda son attention, et la kendoka commença par lui expliquer sa rencontre avec Doushi, avant de l'interroger d'une voix douce qu'elle n'avait jamais employée pour s'adresser à elle jusqu'alors. C'était une manie plus forte qu'elle, elle était incapable de parler autrement dans une bibliothèque, même si elle n'avait personne à déranger.

- J'aimerais lui venir en aide, mais j'ignore comment. Trop d'éléments me sont inconnus pour que je puisse me risquer à une intervention directe, d'autant plus que je me méfie fortement du seigneur Mirastrasa. Dis-moi, peux-tu me détailler ce que tu sais des évènements à la suite desquels il a perdu la mémoire ? Comment a-t-il réussi à lever sa malédiction ? Que peux-tu me dire du seigneur lycan, et des circonstances dans lesquelles Néo l'a rencontré ?

Arwen n'acceptait pas le silence injustifié du stratège, et questionna Milly comme si celui-ci n'avait pas déjà "répondu" à ces interrogations. Elle craignait que la jeune fille ne suive son exemple, si elle lui apprenait qu'Alec avait jugé plus sage de ne rien lui confier.

Partagée, la jeune adolescente doutait de ce qu'elle devait faire. Habituellement, elle aurait demandé conseil à Néo mais là... elle n'avait pas le choix, il n'était pas là. Quand cette femme était venue la voir, Milly n'avait pas compris pourquoi elle était venue la voir elle et non pas une autre et ce qu'elle avait appris la dépassait totalement. D'après les sous-entendus, Néo était au courant depuis longtemps et le lui avait caché mais... il n'aurait jamais fais ça, non ? Sauf si... sauf si c'était un ordre de la reine elle-même.

-"Ah... Je suis fatigué..."

Prononça la jeune fille pour elle-même avant de lâcher un petit soupire. C'était une fatigue autant physique que psychologique, elle potassait sur cette situation depuis deux jours sans réelles heures de sommeil pour se reposer et elle avait finit par trouver une réponse par elle-même: Elle devait retrouver cette femme pour obtenir des informations plus consistantes. Elle avait donc commencé à faire son sac en prenant les affaires les plus importantes pour le trajet, les cours que Néo lui avait donné ainsi que les grimoires de magie qu'elle avait découvert peu de temps auparavant et qui auraient appartenu à l'un des habitants de son village d'origine. Elle alla aussi prendre les livres qui faisaient références aux Espers Magister et c'est quand elle fut en train de les mettre dans son deuxième sac qu'elle fut interpellée par une voix féminine. Oh, Arwen...

La mage ne répondit pas à la question par la parole, son visage juste emprunt d'une fatigue visible suffit pour donner une réponse positive sous la forme d'un hochement de tête. Elle lui raconta ce qui était arrivé à Néo et ce qu'elle savait sur la situation... et elle lui demandait de l'aide ? C'était une première.

-"Je ne sais pas grand chose sur la mission de Maitre Néo, tout ce que je peux te dire c'est ce qu'Alec à bien daigné me dire sur la situation... Je ne savais pas qu'il se trouvait chez le seigneur Mirastrasa mais je peux au moins répondre à l'un de tes questions: C'est par magie que sa malédiction fut retirée temporairement... Mes études sur la question m'ont permis de l'identifier comme étant d'origine ténébreuse..."

C'est aussi par magie que le sceau sur la mémoire du chevalier à été posé et les deux magies en question furent utilisée par Milly elle-même sur le chevalier, mais cela ne faisait pas partie de ses obligations de le dire à la jeune femme qui lui faisait face. Si elle venait à lui demander, la jeune adolescente n'hésiterait pas à lui dire qu'elle ne savait rien de la personne qui avait lancé le sort.

-"C'est une magie particulière, que l'on considérerait interdite dans la plupart des mondes, qui consiste à transposer la malédiction sous une autre forme temporairement... Elle n'a que des points négatifs: La malédiction ne disparait pas, au contraire elle se développe plus vite, et si un certains laps de temps est dépassé, elle revient et..."

La demoiselle ne termina pas sa phrase, se contentant de placer son regard vers le sol. Elle n'avait pas voulue poser ce sort sur Néo pour des raisons évidentes mais il avait insisté pour sa mission, sa mission qui l'avait éloignée de son devoir au château et d'elle.

-"Je ne peux qu'oser espérer qu'il a un moyen de soigner définitivement sa malédiction avant que ce ne soit trop... trop tard..."

Prononça-t-elle d'une voix tremblante, les larmes au bord de s'écouler. Elle ne voulait pas se sentir coupable de la mort de la personne en qui elle tenait le plus, si ça venait à arriver... elle sombrerait probablement dans la folie la plus profonde.

La demoiselle essuya ses larmes dans un geste bref avant de se diriger vers l'une des étagères de la bibliothèque d'où elle tira deux-trois livres de taille moyenne qu'elle apporta ensuite à Arwen avec un petit sourire nerveux.

-"Tiens, ces livres contiennent les connaissances théoriques sur cette magie... Je sais que tu préfère la pratique mais... je vais devoir partir en... en mission et je ne pourrais pas t'aider..."

Arwen rata un battement de coeur à la réponse de la jeune fille. "Retirée temporairement" ? Elle s'était souciée de la façon dont le chevalier était parvenu à lever sa malédiction en partie parce qu'elle avait craint sa solution temporaire. Mais bien qu'elle se soit préparée à cette éventualité, la kendoka ressentit sa peine et sa déception aussi violemment que si l'information avait été inattendue. En revanche, le développement accéléré de la malédiction fut un choc soudain : elle écouta Milly d'un air horrifié, livide.

Lorsque celle-ci se tût, Arwen détourna le regard, abaissant légèrement la tête pour dissimuler son expression désespérée. Au bout d'un moment, elle dut toutefois relever les yeux pour saisir distraitement les livres que lui tendait Milly. Elle la regarda, les yeux écarquillés. Elle était désemparée. Milly lui confiait un savoir qui lui permettrait peut-être de conjurer le sort qui menaçait plus dangereusement la vie de son Maître. Mais celui-ci lui avait demandé de ne pas intervenir, et avait lui-même provoqué cette magie, en toute conscience des risques. Arwen hésita un moment à reposer les livres, de peur d'agir à l'encontre de la volonté du chevalier noir. Finalement, elle se reprit et les serra contre elle. Elle désapprouvait le choix de Néo. Pire, cette décision l'attristait autant qu'elle la décevait de la part de son Maître. Mais c'était son choix, et cette raison seule suffisait à imposer à la kendoka l'acceptation de sa situation. Elle garderait donc les ouvrages de magie avec elle, non pas pour briser le sort, mais pour le comprendre, simplement.

- Merci Milly... Je te souhaite sincèrement d'accomplir ta mission sans encombres. Bon courage.

Elle salua la demoiselle de la tête et marcha vers la porte, abattue.