Une amulette vous dites ?

La main d'Arwen céda sous la poigne puissante du pirate et heurta la table dans un bruit sourd, sous les rires et les applaudissements de ses frères d'armes, qui félicitaient la victoire de leur confrère au jeu de bras de fer. La kendoka jura en se frottant la main, furieuse d'avoir été vaincue à son propre défi par l'un de ses camarades de bordée. On lui tapota le dos dans une attitude faussement consolatrice, et les habituelles moqueries achevèrent sa retenue. "Fillette", "femmelette", "faiblarde"... Le pirate vainqueur fut soudain violemment expulsé à travers la salle de repas de l'auberge, frappé par l'élévation sanguine de la kendoka furieuse. Projeté par dessus les tables et jusqu'au coin réservé à la réception des clients, il heurta un homme dans son passage, qui lui-même tomba à la renverse sur le seigneur qui passait la porte.

Indifférente aux victimes de sa lévitation pourtant étrangères à l'offense commise par le pirate, la jeune femme foudroya son camarade du regard et tonna avec fureur :

- CRÉTIN PRÉTENTIEUX ! MARIN D'EAU DOUCE VANITEUX ! GOUJAT DÉCÉRÉBRÉ !!!

Les regards se tournèrent vers la kendoka, le pirate affalé au sol et les deux hommes indirectement frappés par le sort de sang. Arwen sembla s'en rendre compte, car sous les rires hilares de certains pirates et les réprobations des autres, elle ajouta :

- ET EN PLUS TU NOUS FAIS REMARQUER ALORS QUE MARY NOUS AVAIT ORDONNÉ LA DISCRÉTION !!! ABRUTI !!!

Calmée par le piteux état dans lequel réapparut son camarade, Arwen le regarda avancer d'une démarche maladroite vers la table où s'était réuni un petit groupe de l'équipage. Elle ricana, en vengeance aux insultes sexistes qu'elle avait essuyées l'instant précédent :

- Eh bien, moi qui croyais la galanterie disparue ! Mais je vois qu'un seigneur a ouvert la porte à ton passage, mademoiselle!

Un duel de répliques cinglantes s'engagea alors entre les deux pirates, chacun fermement déterminé à avoir à le dernier mot. Alors que leurs mains s'approchaient de plus en plus dangereusement de la poignée de leurs épées, un petit cri plaintif les fit soudain se retourner vers le comptoir. Le barman s'en alla chercher une commande dans l'arrière boutique, et revint bien vite face au seigneur qui avait ouvert la porte au pirate. A son air terrifié, sa déférence inhabituelle et surtout, au geste commercial qu'il fit à l'inconnu, les deux camarades de bordée n'eurent pas grand mal à deviner la cause de la rougeur inquiétante de sa main. Arwen s'amusa du regard fuyant qu'eut alors le matelot, apparemment peu rassuré à l'idée de croiser celui du nouvel "ami" qu'il s'était fait grâce à elle. Elle le provoqua à voix basse :

- Quel couard tu fais ! Plus gémissant qu'une pucelle effarouchée ! Ton gentil seigneur maniéré t'intimide, l'amie ? Allons, tu sembles avoir ses faveurs, pourquoi n'en profites-tu pas pour alléger sa bourse ?

Elle se tût un court instant, l'air malicieux, avant de préciser :

- Oh, je parlais de son argent bien sûr !

Puis, la jeune femme éclata de rire, ravie de l'expression vexée et furieuse du pirate. Celui-ci rétorqua alors d'un ton de défi :

- Puisque tu t'crois tellement plus brave, pourquoi t'y vas pas toi même, fillette ? Nous serons quittes pour ton pari, si tu réussis à lui dérober ses pièces... Alors ? Ha ha ! C'est bien ce que je p-...

- D'accord.

La kendoka avait observé le seigneur du coin de l'oeil et, ne décelant rien d'autre sur lui dont se méfier que son épée, décida qu'elle pouvait bien tenter sa chance. Les pirates lui avaient appris récemment les subtilités du vol à la tire, et elle en usait à présent à la moindre occasion, ravie de dérober au premier passant déplaisant de quoi combler les besoins en boisson qu'elle n'aurait pu couvrir par sa seule paie.

Arwen se leva devant le regard ahuri du pirate et avança tranquillement jusqu'au comptoir, où elle fit léviter contre un mur une personne à côté du seigneur pour prendre sa place avec un petit sourire calme. Elle commanda ensuite un verre de whisky au barman, qui s'empressa de le lui servir avant de fuir au plus loin du seigneur près duquel elle était accoudée. Le sombre inconnu semblait plongé dans ses pensées. Elle tenta toutefois de l'en sortir, observant le verre déjà à moitié vide qu'elle maintenait élevé près de ses lèvres :

- Belle esquive, à votre entrée. La vermine pullule en ces lieux, bien généreux à vous d'en débarrasser toute la clientèle sans même un dommage matériel.

La pirate lança un regard amusé vers la main endolorie du barman et affirma joyeusement :

- Et le gérant a dû vous en être également reconnaissant, à ce que j'ai pu voir du cadeau qu'il vous a fait ! Mais si je puis me permettre...

La jeune femme leva les yeux vers le visage de l'étranger.

- ...Vous attirez bien trop l'attention. L'endroit n'est pas des plus fréquentables, une entrée remarquée n'y est pas recommandée pour un seigneur dont les richesses pourraient attirer de nombreux brigands parmi ce repère à criminels. D'ailleurs... votre présence ici me parait des plus troublantes. Serait-il indiscret de vous quérir la raison de votre venue en un milieu si miséreux alors qu'il parait évident que vous pourriez vous loger plus confortablement ?

Arwen espérait que le seigneur serait assez distrait par la conversation pour lui permettre une plongée discrète dans ses poches. Elle ne ferait pas un geste pour l'instant, préférant attendre de voir s'il répondait avec une attention suffisante pour ne pas remarquer trop facilement ses approches de pickpocket. Mais la jeune femme était plutôt confiante : le heaume qui dissimulait les traits du seigneur désavantagerait sûrement la vue de celui-ci.

Arwen ne put réprimer un éclat de rire à la remarque du seigneur.

- Pourquoi donc retourner dans les jupes de ma mère quand la mienne, comme vous l'avez si bien dis, est si représentative de ma personne, monseigneur ? Par ailleurs... qu'est-ce qui vous fait penser que je ne fais pas partie moi-même de cette vermine dont vous me prévenez?

L'inconnu la renseigna alors sur ses raisons à fréquenter pareil endroit, ce à quoi elle sourit :

- Et vous apprendrez, quant à vous, que même la vermine ne parle pas en présence d'un homme assez imposant pour inspirer la crainte dès son arrivée. Vous n'entendrez rien d'utile sous la méfiance de ces gens, monseigneur. Il faut se mêler à la masse et passer inaperçu pour délier les langues. Ceci dit, je ne saurais vous enseigner quoi que ce soit à ce sujet, la discrétion n'est pas mon fort. La broderie non plus d'ailleurs, ne vous déplaise !

Elle vida alors son verre d'une traite, pour sourire d'un air arrogant, présentant à l'inconnu ce qu'elle considérait comme l'un de ses points forts. Sa faculté à faire s'évaporer soudainement le contenu d'un verre. Puis, son visage se para d'une expression sérieuse, et elle murmura, à moitié pour elle même :

- Une amulette ancienne... Hm, non, cela ne me dit rien.

Un chuchotement indécent parvint alors aux oreilles de la kendoka, qui en était le sujet. Elle se retourna vivement et, sans prendre le temps de la moindre explication, envoya son poing dans le visage d'un homme qui avait eu le malheur de se trouver à proximité au moment où la remarque avait été murmurée. Pris de court, celui-ci bascula en arrière et tomba à la renverse. Mais Arwen ne s'en satisfit pas et au lieu de se calmer, la jeune femme se jeta sur lui pour lui administrer quelques coups supplémentaires, déterminée à lui faire regretter ses paroles provocantes. Quelques minutes plus tard, elle revint tranquillement aux côtés du seigneur comme s'ils n'avaient pas été interrompus.

- Non, je suis navrée de n'avoir aucune information pour vous aider. Cela dit, votre description est bien vague... Je voyage beaucoup, si j'en entends parler je vous vendrai des informations. Mais je pense que vous auriez plus de chances de la trouver si vous engagiez un mercenaire de l'empire, que je connais et qui est réputé comme le meilleur de Calypta. Il m'a moi-même permis de mettre la main sur un objet légendaire...

Pensive, la pirate but distraitement le verre qui se trouvait face à elle, avant d'en recracher le contenu en s'étranglant à moitié. Elle s'était négligemment servie sans vérifier le contenu, et un horrible goût de vulgaire jus de fruit la faisait désormais grimacer. Furieuse, la demoiselle lévita par dessus le comptoir pour saisir le gérant par le col, le secouant avec humeur tandis qu'elle aboyait :

- TU TE FICHES DE MOI ???!! QU'EST-CE QUE C’ÉTAIT QUE CETTE PISSE DE DRAGON MAUVE ??!!! AI-JE UNE TÊTE A ME RINCER LA GORGE AUX JUS DE FRUITS, DIS MOI ??!!

Elle ignorait ce qui avait pu pousser le barman à la provoquer délibérément, mais en définitive, ses raisons importaient peu : elle lâcha le pauvre inconscient et le fit léviter en hauteur, cognant sa tête contre le plafond avant de le libérer de son sort pour qu'il s'affale au sol. Elle alla alors s'emparer d'une bouteille de rhum dans l'arrière boutique, et revint faire face au seigneur depuis le comptoir.

- Je peux vous mener au mercenaire si vous le souhaitez. Même s'il ne vous plait guère de l'engager, vous pourrez toujours l'interroger, il vend également des informations. Ce serait bien moins hasardeux que les bavardages de soulards ahuris...

Intriguée par la quête que menait le seigneur, Arwen avait complètement oublié son pari.

Arwen fut tellement abasourdie par le contact qu'osa le seigneur fou qu'il eut le temps de s'approcher de son visage. Elle lui cracha alors dans les yeux et envoya tout à coup sa lévitation sanguine sur lui pour l'envoyer à toute vitesse vers le plafond et le lui faire traverser tête la première. L'élévation sanguine relâcha alors le seigneur, mais la kendoka avait brandi son sabre béni et se tenait en position défensive. Elle fit un signe de la main aux pirates pour les dissuader de la rejoindre tandis qu'elle vociférait d'un air dégouté :

- Ta main sur mon visage c'était déja bien assez pour me soulever le cœur, baronnet de menuaille, mais ton haleine putride soufflé en plein sur mon nez, c'est plus que je ne peux en supporter, et j'en suis déjà à un point de supplice où la pisse de troll me parait préférable à ton odeur ! Ta ferraille ne couvre pas encore assez les relents du gouffre à chiabrena qui te sert de bouche, mais s'il faut que tu empestes encore mes environs, j'y devrai remédier, sottard fétide !!!

Elle lévita par dessus le comptoir et commença à s'approcher du "baronnet de menuaille", lorsqu'elle sentit des mains la retenir. Les pirates l'avaient rejointe, mais non pas pour la défendre :

- Arwen, on y va, maintenant ! T'as assommé l'aubergiste, crétine de blonde, les soldats vont arriver !

Mais les soldats n'étaient pas les seuls ennemis que s'était fait la jeune femme en rudoyant le gérant : tout autour du petit groupe de pirates, des clients se rassemblaient d'un air menaçant, apparemment peu ravis d'être privés du service de leur barman pour une simple colère de demoiselle vexée. Arwen recula à contrecœur, foudroyant du regard l'ennemi en armure, puis suivit ses compagnons qui décampaient en dehors de l'auberge.

Une fois sortie, elle tourna la tête vers l'un de ses camarades et argua d'un air buté :

- Bon mais pour le pari, ça ne compte pas, j'aurais pu très bien le réussir si tu n'étais pas intervenu !

Cette fois, tous les membres du petit groupe, déjà passablement énervés de devoir fuir leur logis provisoire par sa faute, crièrent en choeur le même ordre à son adresse. Vexée, Arwen obéit et la ferma pour tout le reste du trajet.