Premières impressions [PV Platina]

Dès la fin de son service, Arwen s'en alla chercher Platina, dont elle voulait savoir comment s'étaient passés ses deux premiers jours au palais. Sa nouvelle amie était arrivée la veille, mais à peine l'avait-elle présentée à leur seigneur que la kendoka avait dû partir en mission. Au retour, elle avait bien prévu de s'enquérir de ses premières impressions, mais avait entre-temps discuté avec Doushi, et ce qu'il lui avait dit l'avait alors suffisamment troublée pour lui faire oublier sa collègue.

Elle partit frapper à la porte de sa chambre, mais ne l'y trouva pas, et parcourut donc le palais en tous sens, un peu au hasard, afin de la croiser. Après s'être perdue inutilement pendant une bonne demi heure dans un étage dont elle ne comprenait pas elle-même comment elle y était parvenue, elle se résigna à remettre à plus tard, une fois de plus, la petite conversation qu'elle avait espérée. Serrant contre elle l'épaisse pile de parchemins qu'elle avait ramassés dans le désordre impressionnant de sa chambre, elle sortit au clair de lune dans les jardins du palais. Ca n'avait certes pas l'envergure de la forêt d'Archess, où elle aimait étudier l'elfique, mais le paysage y était tout de même plaisant. En tout cas, plus que sa chambre sens dessus dessous qu'elle préférait désormais éviter tant il était difficile d'y marcher sans écraser ses affaires éparpillées...

Alors qu'elle allait s'allonger sur un banc pour lire les leçons rédigées par Mythril, son regard rencontra la silhouette familière de sa nouvelle collègue. Elle sourit, étonnée mais ravie de finalement la retrouver alors qu'elle venait d'abandonner ses recherches.

- Dame Platina ! Vous avez un instant ?

L'invitant d'un signe de la main à venir prendre place sur le banc derrière elle, elle s'y assit elle-même en tailleur et y posa ses parchemins.

Enchantée par la compagnie de Platina, et ce d'autant plus qu'elle essayait de ne pas penser à l'absence pesante de Doushi, Arwen engagea la conversation d'un ton enthousiaste :

- Oh, je voulais simplement m'enquérir de vos premières impressions quant à votre récente allégeance. Vous n'avez sûrement pas eu le temps de déjà vous confronter aux devoirs pour lesquels vous nous avez rejoints, mais je devine que vous avez dû rencontrer maintenant tous les principaux membres de l'équipe... Que pensez-vous de vos collègues et de votre seigneur, de ce que vous avez pu en apercevoir ? Votre situation est-elle à la mesure des attentes que vous aviez en venant vous allier à nous ?

La kendoka espérait que Platina ne regrettait pas de l'avoir suivie et se plaisait au palais. Bien sûr, elle était également très curieuse de savoir ce qu'elle pensait de petit monde qu'elle avait rencontré...

Arwen eut un drôle de sourire, à la description que Platina lui faisait du lycan. Bien sûr, il cachait quelque chose, c'était bien là un avis qu'elle partageait. D'ailleurs, elle partageait également les autres aspects de la vision de sa collègue, qui était décidément très perspicace. Bien plus qu'elle, de toute évidence. Peut-être était-ce plutôt dû au travail qu'elle effectuait sous ses ordres et qu'elle aimait beaucoup, ou simplement au confort dont elle bénéficiait au palais, mais la kendoka avait fini par apprécier Mirastrasa, en dépit de sa méfiance envers lui.

Platina lui donna ensuite ses impressions sur Gannicus, qu'Arwen connaissait encore moins qu'elle. Elle n'aurait rien pu confirmer ou réfuter des qualités et défauts relevés, à l'exception près, peut-être, qu'elle ne l'avait pas distingué par le charme irrésistible que les servantes lui trouvaient apparemment. A cette réflexion, Arwen se perdit malgré elle dans des pensées rêveuses, songeant avec une expression malicieuse à tous les hommes particulièrement séduisants qu'elle avait pu admirer sur l'empire : Doushi, Vedilumi, Proda, Alucard, Ryu (quand il ne se changeait pas en créature loufoque)...

-... Doushi...

La kendoka releva soudain les yeux vers son interlocutrice, de nouveau concentrée dans leur conversation. Cette fois, les propos de l'aveugle la mirent mal à l'aise, et sa bonne humeur s'en assombrit. Elle venait de rappeler Néo à son esprit. Néo, le chevalier maudit qui l'avait meurtrie, celui qui reviendrait bientôt remplacer l'homme qui lui rendait réciproquement ses sentiments...

- Oui, tant mieux...

Répondit-elle distraitement. Puis, craignant que son silence ne vexe Platina, elle s'empressa de changer de conversation et poursuivit sur le premier sujet qui lui vint à l'esprit :

- Serait-ce malvenu de vous demander quels talents vous servent au combat ? Vous avez rejoint nos rangs sans la moindre difficulté, vous êtes donc compétente... Je serais curieuse de savoir quelle arme où quelle magie vous privilégiez en affrontement.

Le ton de la jeune femme laissait percer un entrain forcé, mais elle ne parvenait pas à se montrer plus convaincante. Elle sentait ses sentiments de peine, de rancœur et de déception submerger son esprit qui avait jusqu'alors pu les ignorer, grâce à la présence apaisante et accaparante de Doushi.

Arwen s'efforça de se concentrer sur la réponse de Platina plutôt que de se tourmenter inutilement au sujet du chevalier noir. Elle eut l'air dubitatif à la première arme que cita l'aveugle. Les mots pouvaient certes faire plus de dégâts qu'aucune arme matérielle, mais généralement, c'étaient les coeurs doués de sensibilité qu'ils blessaient, ce dont n'étaient que très rarement pourvu les ennemis auxquels la kendoka avait eu affaire jusqu'à présent. Platina se rendrait vite compte qu'une telle arme ne lui servirait pas beaucoup sur l'empire. La kendoka n’essaya pas de la détromper toutefois, songeant que la nouvelle arrivée ne la croirait pas tant qu'elle n'aurait pas découvert cette inefficacité par elle-même.

Elle fut cependant bien plus convaincue par la position de combat et l'évocation du sabre que fit Platina. L'idée de lui proposer lui vint bien en tête, comme par reflexe, mais elle la chassa presque aussitôt. Plus tard, peut-être. Pour l'instant, elle n'était plus d'humeur à grand chose. Elle répondit tout de même :

- Hmm, 44 ans ? J'espère que je vieillirai aussi bien que vous...

Vieillir tout court conviendrait également à Arwen. Elle avait provoqué rencontré tellement d'ennuis en à peine deux ans sur Calypta qu'elle se demandait si elle vivrait assez longtemps pour voir s'effiler les traits de sa jeunesse. D'un autre côté... Son regard se perdit vers l'horizon. Qu'allait-elle devenir, après que Néo ait accompli sa mission ? Y avait-il vraiment un intérêt à espérer une longue vie ? Elle avait quitté son équipage, perdrait bientôt son conjoint et n'avait aucune réelle attache qui la retienne où que ce soit...

Platina revînt s'asseoir à ses côtés, la rappelant à leur conversation. Arwen haussa les épaules, tellement habituée à l'aise de son amie malgré sa cécité qu'elle en oubliait justement son handicap.

- Je me débrouille, rien de plus. Je ne suis pas satisfaite de mon niveau, mes progrès sont trop lents et je n'ai ni la patience ni le temps pour m'en contenter. Mais vous aurez sûrement bientôt l'occasion de le voir par vous-même, à l'une de nos prochaines missions...

D'humeur particulièrement maussade, elle ne trouva rien à ajouter. Ses études de l'elfique ne l’intéressaient même plus, elle ne songeait plus à présent qu'à sortir la bouteille de sa poche de manteau. Dès qu'elle serait seule.

Par réflexe, Arwen se crispa davantage sous les mains de Platina. Elle n'était pas du tout habituée à des contacts spontanés... qui ne soient pas destinés à la blesser. La voix chantante de son amie eut plus d'effet, elle finit par se détendre petit à petit et au bout d'un moment, elle put apprécier le contact apaisant de ses mains sur ses épaules. Elle ferma les yeux et soupira, confiant une partie de ses tourments :

- Vous êtes aveugle à l'apparence extérieure, toutefois, vous semblez bien plus sensible à la nature intérieure que quiconque. Vous m'avez décris vos collègues, mais vous m'avez omise. Dites-moi, que voyez-vous lorsque vous me regardez ?

Partagée entre la violence de son caractère impulsif et la profondeur de ses principes et de sa foi, Arwen se sentait perdue. En à peine deux ans, elle avait successivement suivi les justes préceptes de Néo, s'était battue pour le simple plaisir d'accompagner Alucard, avait honoré Gaia dans les principes pacifiques d'Archess, s'était faite enrôler en piraterie pour satisfaire des besoins personnels et avait finalement rejoint Doushi au service du seigneur Mirastrasa... Elle avait compris que sa place était dans le Sahoc, mais beaucoup de directions pouvaient être choisies dans ce seul camp. Elle ignorait laquelle lui conviendrait enfin, et craignait que son caractère difficile ne la mène dans la mauvaise direction. La mauvaise direction... A moins que les ténèbres ne soient bien celle qui répondrait vraiment à ses attentes et à sa nature, et non pas la lumière, comme elle l'avait toujours espéré. Arwen se retourna vers Platina et la fixa, bien que celle-ci ne put s'en rendre compte. Elle attendait de son amie son avis sur la nature qu'elle sentait en elle, la kendoka elle-même ignorant les véritables aspirations de son âme tiraillée.

Pensive, Arwen respecta le silence qui s'était imposé un long moment avant de répondre :

- J'ai pris des chemins qui me paraissent d'une longueur interminable... Ou peut-être est-ce mon allure qui s'avère trop lente. J'ai beau mettre toute mon âme à m'appliquer pour atteindre ma destination, j'en reste encore terriblement éloignée. Alors je suis parfois très tentée de prendre des raccourcis...

Après les nombreux progrès qu'elle avait faits, au sabre, à la magie, et même au niveau de son caractère désormais un peu plus discipliné, elle était tout juste capable de survivre seule. Au début, c'était une ambition qui lui avait paru élevée, son aptitude à provoquer des ennuis contre lesquels elle n'était pas de taille s'avérant particulièrement efficace. Elle n'avait alors souhaité qu'éviter à ses proches les dangers de ses propres mésaventures, auxquels ceux-ci se confrontaient réciproquement pour la secourir. A présent, son indépendance lui paraissait un souhait bien modeste. Les amitiés qu'elle avait liées lui importaient beaucoup plus que sa propre vie, et c'étaient ces personnes qu'elle voulait protéger avant tout. Avant elle-même. Or, elle était encore trop faible pour les défendre d'une quelconque façon, l'entourage qu'elle s'était choisi étant principalement composé d'êtres plus puissants qu'elle, aux ennemis tout aussi impressionnants. Récemment, la possibilité d'accroitre la force de son sabre Seigi l'avait tentée. Probablement, il s'agissait d'un raccourci intéressant... était-il de ces chemins à éviter dont Platina parlait ?

- Mais je n'ai pas encore fait de choix irrémédiables. Je ne prends plus de décision à la légère, et celle-ci...

Elle soupira.

- Je souhaiterais simplement pouvoir défendre les vies sans lesquelles la mienne n'aurait plus de sens. Et j'en suis tellement peu capable, malgré tous mes efforts. Je ne sais plus quelle direction prendre pour parvenir aux progrès dont j'ai besoin. Je commence à douter que ma détermination et mes apprentissages ne suffisent, et à me lasser d'avancer sans grand résultat.

La confiance qu'elle avait placée dans le jugement de son ainée s'évanouit à la réponse que celle-ci lui donna. Arwen se crispa de nouveau, mais la laissa poursuivre jusqu'au bout, dans un silence froid. Elle avait maintenant l'impression que Platina ne comprenait rien à ses sentiments, et se sentait trahie de réaliser cet écart entre elles alors qu'elle l'avait justement crue plus sensible que quiconque à sa véritable nature. En définitive, elle était encore plus seule. Après un long moment de passivité glaciale, elle se leva et, l'air furieux et peiné, détrompa l'aveugle :

- ... Je ne serai jamais vraiment déçue ? Ah vraiment ?

Elle se tut un petit moment, avant d'expliquer :

- Cela fait près de deux ans que j'ai foi dans les enseignements que je reçois, je ne doute que depuis peu. Et j'ai toujours été constamment déçue ! Je le suis sans cesse ! L'on me répond toujours la même chose : d'attendre, d'être patiente, que cela viendra un jour ! Un jour ! Lorsque tous les ennuis que j'aurais voulu éviter me seront tombés dessus ? Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer avec tant d'assurance que j'ai la vie devant moi ? Que savez-vous de l'avenir ? Que pouvez-vous m'en promettre ? Ce que je redoute peut très bien arriver demain, et je serais alors incapable d'y faire face ! Il y a quelques mois, j'ai cru perdre l'un de mes Maitres, il a été vaincu par Mythril, et je n'ai rien pu faire pour lui ! Alors que l'on m'incitait encore à la patience le jour d'avant, je l'aurais perdu s'il n'avait été capable de survivre par lui-même ! Je suis lasse d'entendre répéter ce même conseil sans résultat !

La kendoka retrouvait la colère qui la caractérisait tant et qu'elle n'avait pas ressentie depuis longtemps, apaisée par la compagnie de Doushi. Toutefois, malgré son amertume, elle se sentait un peu mieux, à présent qu'elle avait exprimé son exaspération. La colère avait remplacé son chagrin, et c'était une émotion qu'elle préférait à la tristesse, car elle en souffrait beaucoup moins. Foudroyant Platina du regard, elle la défia d'oser la contredire. Si son interlocutrice n'ajoutait rien, elle prendrait ses parchemins et retournerait à sa chambre sans un regard en arrière.

Arwen ne répondit rien et regarda silencieusement Platina s'éloigner. Elle reprit les parchemins, s'allongea sur le banc et réfléchit à leur conversation, les yeux clos. Elle comprenait les arguments de sa collègue, qu'elle approuvait, mais sa vision des choses n'avait pas changée pour autant, et elle se sentait toujours un besoin désespéré de progresser au plus vite.

Certes, elle risquait de prendre une voie dangereuse si elle tentait d'accroitre ses compétences trop rapidement. Mais elle avait déjà rencontré beaucoup de dangers jusqu'alors, il lui paraissait tout aussi périlleux de patienter sagement. Quant aux enseignements qu'elle avait reçus... Elle ne savait plus quoi en penser. La magie et le kendo lui avaient évidemment beaucoup servis, autant dans ses missions que lors de ses sorties personnelles. Toutefois, elle n'était plus sûre d'avoir parfaitement confiance dans ses propres acquis. Cela faisait un moment qu'il lui semblait que ces "armes" ne lui suffisaient plus.

La kendoka songea avec amertume à la dernière remarque de Platina. Alucard la désignait parfois comme sa "fille", par humour plutôt que par affection. Il lui avait néanmoins témoigné à plusieurs reprises des marques d'amitié, intervenant immédiatement chaque fois qu'il la savait en danger. N'était-il pas monté dans le navire dirigé par Alec pour s'en aller la retrouver personnellement sur le Ruby Read ? Oui, il l'avait protégée comme si elle eut été un proche du même sang... avant de la trahir par simple lubie une fois qu'il fût certain qu'elle était hors de danger. De son côté, Néo l'avait également secourue, la plupart du temps alors même qu'elle s'était montrée désagréable avec lui, refusant son aide pour prouver une indépendance qu'elle n'était pas capable d'assumer à l'époque. Mais tout comme Alucard, il l'avait déçue lorsque sa capture par les pirates l'avait laissé indifférent et qu'il avait préféré se décharger de son sauvetage auprès d'Alec.

Arwen rouvrit les yeux et contempla le ciel nocturne d'un air las. Ses deux Maitres étaient les personnes auxquelles elle tenait le plus sur l'empire, elle appréciait leur compagnie et s'impliquait dans leur enseignement avec autant de sérieux que de rigueur. Elle les considérait bien, selon les termes de Platina, comme de "vrais Maitres". Mais si elle sacrifiait sa vie pour l'un d'eux, elle soupçonnait fortement que la déception que son Maitre sauvé ressentirait éventuellement serait dû au manque d'habileté à cause duquel elle n'aurait pas réussi à survivre, et non aux regrets de leur relation, qu'il s'agisse d'Alucard ou de Néo.

La kendoka resta un long moment allongée sur le banc, avant de se décider à retrouver son lit. Il lui fallait être en forme pour l'entrainement du lendemain que lui avait promis Doushi.