Les serpents séparés

Arwen avais mit toute son âme à s'éloigner du reste de l'équipe de Mirastrasa, rendue amère par la décision du seigneur à attendre qu'elle ne prouve plus durement son incapacité à collaborer avec eux. Elle ne parlait plus, refusait de leur répondre et se montrait particulièrement froide durant les courts moments où elle devait rester en leur compagnie. Elle avait d'ailleurs quitté le palais et vivait à présent au Sinistros, où elle passait son temps libre à la seule passion qui l'animait encore : la boisson. Depuis quelques temps, les moments durant lesquels l'ivresse endormait son esprit lui semblaient les seuls qui vaillent le coup de tenir.

Ce jour-là, pourtant, la kendoka n'était pas ivre. Du moins ne l'était-elle plus, ayant quitté la taverne du domaine neutre dans la matinée, quelques heures plus tôt. Elle revenait du palais de Mirastrasa, où elle était passée le temps de déposer un message dans la chambre vite de Doushi. Au dos du papier comportant les mots qu'il lui avait écrits, elle avait inscrit sa réponse, de son écriture maladroite :

Spoiler:

Espérant que Néo retiendrait et comprendrait la dernière phrase de son message, puisqu'elle ne pourrait finalement pas lui reprocher son sacrifice inconsidéré à son retour, elle était partie sans un regard en arrière et s'était ainsi dirigée vers les lieux de culte.

En chemin, elle passa devant l'agence de Ryu, face à laquelle elle se souvint avec nostalgie de la première mission dont elle l'avait chargé, sur la plaine des duels. La demoiselle se rendit alors compte qu'elle n'avait aucune envie d'aller parler à Archess, et une idée qui lui parut meilleure la convainquit de rejoindre son ami. Elle tenta de crocheter la serrure, mais la porte n'était pas fermée à clé, à sa grande déception. Elle dut rentrer sans la forcer.

- Bonsoir, Ryu.

Ses lèvres ne formèrent qu'un sourire discret, mais c'était le premier depuis longtemps.

- J'ai besoin de tes services une dernière fois. Je n'accepterai aucun refus.

Elle s'assit confortablement dans les airs, portée par l'élévation sanguine, puis expliqua :

- Je viens te parler dans l'hypothèse où j'aurais enfin perdu un combat...

Elle tenta un sourire amusé à l'éventualité ainsi formulée de sa mort, mais le résultat ressembla plus à une grimace. Elle poursuivit :

- Je voudrais que tu te charges de confier mes affaires à ceux que je t'aurai cités. Oh, je n'ai pas grand chose à laisser derrière moi, tu n'auras que peu à faire. Mais j'attache de l'importance à quelques uns de mes biens, quoi qu'il y en n'ait pas beaucoup de valeur.

La jeune femme retomba tout à coup sur ses pieds, Gekido brandi vers le mercenaire en position d'attaque. Mais tout comme la première fois où elle était venue l'employer, ce n'était qu'une présentation taquine du sabre, dont elle précisa :

- Gekido, l'arme avec laquelle tu m'as rencontrée la première fois. Je veux qu'il revienne au temple de Gaia, là où il a été béni et devra reposer. Personne d'autre n'est digne de s'en servir, il ne doit pas avoir d'autre maitre après moi. Si jamais il m'est subtilisé par quiconque à ma mort, tu devras punir le voleur et l'en défaire pour le remettre à Archess, qui s'occupera de le placer au temple.

Le sabre serpent regagna son fourreau. Puis la jeune femme présenta Seigi, le jumeau noir, mais sans le libérer.

- Seigi, que tu ne dois pas confondre avec son frère Gekido, c'est important. Celui-là devra revenir à Alucard.

Elle avait vu une fois le mage utiliser Gekido et avait été surprise de constater comme il le manipulait bien malgré son inexpérience. Elle n'oubliait ni ne pardonnait les torts du vampire, mais pour autant, il avait été et resterait l'une des personnes qui avaient le plus comptées pour elle. Et puis, la robe noire du serpent irait parfaitement avec ses vêtements... Arwen sourit de nouveau, d'un air à la fois triste et amusé :

- Te souviens-tu de la tenue que tu m'as laissée dans les catacombes après qu'Alucard m'ait rhabillée ? Je souhaiterais que les vêtements que tu m'avais confectionnés reviennent à Mythril, et que tu le fasses rejoindre Alucard ainsi accoutré. C'est à mon regret tout ce que j'aie à lui laisser pour lui témoigner mon amitié, mais ce pourrait être amusant à voir, je pense. Je les ai laissés dans ma chambre au palais royal. La partie droite de l'armoire seulement : je ne veux pas que tu fouilles mes sous-vêtements.

Elle adressa un regard taquin au mercenaire, dont elle savait de toute façon qu'il n'aurait aucun intérêt à regarder ce genre de vêtements, puisque lui-même n'avait pas vraiment de genre déterminé, pouvant être aussi bien homme que femme.

- Il faudra que tu prennes une somme d'argent suffisante dans mon compte en banque pour payer une tournée à l'équipage du Ruby Read. Je voudrais qu'ils boivent en ma mémoire malgré notre séparation. Fais leur comprendre que j'y tiens, ils ont été ma seule famille ici.

La kendoka se tût un moment, hésita puis se décida à enlever la chaine autour de son cou. Une croix celtique y était suspendue. Arwen vint ouvrir la main du mercenaire et y déposa la chaine et le pendentif. Lorsqu'elle parla enfin, elle semblait perdue dans ses pensées :

- J'aimerais que tu remettes ma chaîne à Néo... mais je pense qu'il la refusera. Tu devras alors l'enterrer au temple du sang.

Arwen avait porté sa chaîne de nombreuses années, et sans jamais l'ôter. C'était la seule chose dont elle ne s'était jamais séparée sur Calypta. Ce n'était pas un objet de valeur, mais avec Gekido et l'anneau celtique, c'était celui auquel elle tenait le plus. Elle se sentit horriblement déparée, sans la chaine à son cou, presque vulnérable.

- Le reste de l'argent sur mon compte servira à payer ton intervention si un jour sa vie est mise en péril.

Consciente de la tristesse qui imprégnait ses traits, elle s'efforça de prendre un air nonchalant de conclut :

- Naturellement, je t'ai chargé de cette mission le jour où j'ai reçu Seigi, par simple précaution. J'aurais été inquiète des dangers de la piraterie et serait venue te voir avant de partir en mer. Aujourd'hui, je ne suis pas passée te voir, n'est-ce pas ?

Arwen voulait être sûre de pouvoir compter sur la discrétion de son ami. Elle n'aurait jamais l'occasion de participer à une nouvelle mission, mais elle n'était pas supposée le prévoir et tenait à ce que ses proches l'ignorent. Elle était réputée pour ses nombreux défauts, et la seule qualité qu'on lui reconnaissait était sa volonté, sa détermination. Elle ne voulait pas que même cette unique qualité lui soit reniée. Si Ryu lui confirmait sa discrétion, elle le paierait d'avance et lui laisserait le papier sur lequel elle avait noté la répartition de ses biens, afin qu'il puisse légitimer la gestion de son compte en banque.

Lorsqu’elle poussa la porte Arwen découvrit un nouvel extérieur. Au dessus d’elle, aucun plafond, mais bel est bien un ciel immense. Mais surtout tout autour d’elle s’étendait dans la démesure une forêt, non pas d’arbres, mais d’herbes gigantesques donnant l’impression d’être minuscule. Peut-être était-ce le cas ? Ce décor incroyable tout droit sortie d’un film de Spielberg semblait s’étendre a l’infini, faisant fi des limites extérieurs de la pièce, mais était-ce bien une pièce ? Il était facile de se croire dans un nouveau monde.

Spoiler:

Ryu apparu au pied d’un champignon aux dimensions d’un cerisier, ce qui était là le seul point commun entre le carpophore et un arbre fruitier. Un large sourire éclaira le visage du changelin qui était toujours ravi des rares visites d’Arwen. Répondant a son bonjour, il s’assit en tailleur devant elle et l’écouta parler. Les sourires de la jeune femme ressemblaient a des grimaces crispées, et Ryu se demanda si elle n’avait pas envie d’aller aux toilettes.
Un service qu’il ne pouvait pas refuser ? Quelque chose le dérangea vite dans le ton et les propos d’Arwen. L’insouciante témérité de la jeune femme avait toujours remplie sa vie de dangers et de situations plus critiques les unes que les autres, mais jamais jusqu’alors elle n’avait semblée penser à sa mort possible, du moins pas de façon inéluctable. Était-ce là le malaise dont elle semblait être prise ? Se voyait-elle mourir ? Mais pourquoi s’en préoccuper maintenant ? Était-elle malade ? Avait-elle mangé quelque chose d’avarié ? La cuisine de Mythril peut-être ? Ou bien celle de Néo ? Était-elle inquiète d’un combat a venir ? Le changelin balaya cette dernière idée de sa tête. Arwen provoquait souvent plus fort qu’elle, mais ne s’en allait jamais combattre avec l’idée de perdre d’avance. Mais pourtant, ce pourrait-il qu’elle se sente menacée ?

Se laissant tomber a terre, la demoiselle répéta le geste de leur seconde rencontre. Lui présentent, de la même façon que la première fois qu’elle l’avait engagé, le sabre serpent qu’elle pointa droit sur lui. Le changelin acquiesça silencieusement, acceptant par ce geste son rôle d’exécuteur testamentaire. Le souvenir de cette rencontre, et de l’arrivée de Néo qui suivit au Ténébros, lui arrachèrent un nouveau sourire. La jeune femme lui présenta ensuite le sabre noir, auquel il acquiesça de la même façon. Arwen était restée enfermée toute une semaine seule avec Olin, assistant a la création de son sabre. Lorsqu’il donnait la vie a une arme le nain dormait peut, travaillant jour et nuit sans discontinuer. Son endurance et sa concentration lui permettait de tenir plus facilement qu’un être humain. Et en faisait un bon buveur aussi.

Un sourire mélancolique se para sur les lèvres d’Arwen. Ce vêtement datait de leur première rencontre. C’était la fois aussi, pour Ryu, de sa toute première rencontre avec Alucard. La jeune femme était littéralement tombée sur le vampire et le jeune dragon d’or. L’intrigue que représentait Marion n’avait jamais cessé alors d’intéresser le changelin. Peut-être pouvait-il lire dans ses souvenirs avant qu’elle ne meure, et comprendre enfin ce qui, avant son lien de sang, la liait déjà avec Alucard ? L’énigme de son changement d’identité et de sa perte de mémoire l’intriguait aussi, quel lien avait-elle avec les catacombes ? Et pourquoi était-elle la seule des trois gardiennes a être revenue ? Une lueur blanchâtre éclaira les yeux de Ryu, qui passèrent doucement par toutes les couleurs -Symptôme d’excitation qui accompagna son sourire rêveur- Il imagina alors le roi d’or dans sa tenue rouge.

Oui, ce costume ira bien a Mythril ! Conclut-il en fermant les yeux, mettant fin au phénomène.

Il les rouvrit lentement et se leva, prenant un air espiègle.

Ne puis-je pas lui remettre aussi vos vêtements dédicacés ?

N’étant pas effectivement humain, le changelin n’était intéressé ni par les hommes ni par les femmes, qu’il pouvait être indifféremment. Étant unique de son espèce il n’éprouvait aucun besoin de reproduction, et par conséquent, aucune attirance pour le sexe avec quelque créature que ce soit. Mais il n’hésitait pas, lorsque cela pouvait lui servir, a jouer de cette faiblesse pour tromper ou manipuler autrui. Le changelin n’éprouvait aucun désir, mais était capable, malgré tout, de ressentir le plaisir physique, du moins lorsque sa forme le permettait.

La volonté suivante concernait le Ruby Read, Ryu ne pensait avoir aucun problème pour trouver Mary et sa bande. L’océan calyptien ne lui était pas étranger, et il avait déjà sa petite idée quand à l’endroit où il devrait chercher. Il acquiesça de nouveau, disant qu’il ferait de son mieux pour tous les trouver. Un court silence s’installa, et les traits de la kendoka se firent songeurs. Elle hésita, puis ôta son pendentif, le lui confiant. Ryu regarda l’objet dans le creux de sa main. Il ne pensait pas que Néo ait l’habitude de porter des bijoux, peut-être sous son armure ? La breloque était sans valeur mes les humains s’attachaient souvent a ce genre de choses, ils l’accepterait peut-être. Les traits de la jeune femme se décomposèrent un peu plus, apparemment attristée à l’idée que Néo puisse refuser son lègue. Ces expressions étaient nouvelles pour Ryu, pas qu’il ne les aient jamais vus, mais pas sur Arwen à qui il ne connaissait que la colère, l’agacement, la honte, l’espièglerie et la joie. Sa volonté de protéger Néo surprit Ryu. Certes, il existait peu de choses plus périlleuses que d’être le bras droit de la Reine Angélique, mais en dehors de ce danger permanant contre lequel Ryu ne pouvait rien faire, le chevalier noir ne craignait que peu de choses. Le changelin se demanda ce qui pouvait bien menacer Néo, le menacer suffisamment au point d’inquiéter Arwen et de la faire craindre pour sa propre vie. Le changelin sourit d’un air entendu, secouant la tête en écartant les bras.

Oh, j’ai bien peur de n’avoir reçu aucune visite aujourd’hui, se plaignit-il.
Même Mythril semble m’avoir abandonné. Je pense que je serait absent le reste de la journée.

Puis prenant un air déçu il demanda, gamin.

Et moi ? A quoi ai-je droi ? N'y a-t-il rien pour moi ?

Ravi de l’air décontenancé d’Arwen, il sourit de sa réponse, satisfait, puis indiqua son tarif, riant cette fois de la remarque qu'elle lui lança. Exécuteur testamentaire s’apparentait a un contra de messager, mais Arwen lui demandait aussi d’enquêter pour retrouver les pirates, et les possibles ravisseurs des deux sabres, ce qui ajoutais un contra d’espionnage et de get backer. Enfin, la protection de Néo relevait d’un contra de garde du corps. Bien que la durée de ce dernier contra soit indéterminée Ryu décida de le compter au prix de base, ne le comptant pas pour l’instant. Le mercenaire pouvait assurer sa discrétion, mais ne garantissait rien concernant sa curiosité. Trop de questions l’intriguaient maintenant, et il devait en savoir plus. Raccompagnant Arwen a la porte, il posa un instant un regard intrigué dehors, puis regarda Arwen serin.

Vous êtes venue seule ? Demanda-t-il machinalement.

C’était la première fois, depuis qu’ils ne s’étaient vus, qu’Arwen arborait une ombre. La jeune femme pouvait a présent se déplacer sans Néo. Le fait n’avait pas échappé a Ryu même s'il n'avait rien dit là dessus, plus intrigué par les inquiétudes d'Arwen. Une intuition lui fit suspecter quel danger l’inquiétait tant que ça, mais il attendrait d'en avoir le coeur net.

Arwen avait refusé que ses dessous dédicacés reviennent au dragon, arguant avec un petit air suffisant que leur ami commun n’avait pas comme elle de formes assez généreuses pour les remplir. Lorsque le changelin annonça la somme de leur contrat, Arwen se mit à rire :

- Eh bien, voila pourquoi vous recevez si peu de visites mon cher renard, nul mystère à cette solitude : le prix de votre compagnie est tant élevé que vous faîtes fuir aussi bien fidèles amis que bons clients !

Elle sourit et fit mine de réfléchir, avant de prendre soudain l’air ravi d’une personne à qui une idée merveilleuse venait de résoudre un épineux problème :

- Ah, mais si vous me faîtes un prix d’ami, puisque je suis bien la meilleure de vos amies, je vous concéderai un héritage aussi élevé que la somme que vous m’aurez épargnée, Maitre Renard !

Elle se vexa alors que le mercenaire la raccompagnait à la porte.

- Eh bien, pensez-vous que j’aie besoin d’être accompagnée dans le moindre de mes déplacements ? Votre désobligeance mériterait punition, mais je n’ai pas le temps de vous remettre à votre place mon ami.

Après lui avoir embrassé la joue, la jeune femme s’en alla en direction de la forêt des frayeurs.