La journée ensoleillée ne déclinait pas, mais Alucard était intrigué, et il ouvrit sans hésitation le portail sanglant sur la chambre de sa disciple, qu'il pénétra déjà débarrassé de la malédiction vampirique. Il avait retrouvé les traits du temps où il était encore Prince de Valachie, jugeant plus sûr de parcourir Calypta sous un aspect que les nombreux ennemis qu'il s'était fait ne reconnaitraient pas, et dont la force et l'équipement de guerre permettraient une défense suffisante malgré son humanité.
A peine eut-il franchi le portail que la lame du sabre reptilien passa devant ses yeux écarquillés, le ratant de peu tandis qu'il s'était écarté d'un bond instinctif. Gekido tenta une nouvelle frappe, mais cette fois, le seigneur s'y était préparé et avait paré l'attaque d'un coup d'épée qui écarta de sa direction le sabre serpent. Surpris et agacé, il observa de haut en bas la kendoka, qui était habillée d'un ensemble blanc et dont le visage blafard arborait de profondes cernes caractéristiques d'un sommeil inassouvi. Ainsi donc il ne s'était pas mépris, en interprétant l'insistance télépathique involontaire de son élève.
Tard dans la nuit, il avait été troublé par le ressenti soudain et injustifié d'une rage noire, qu'il avait fini par comprendre comme étant le partage télépathique des émotions d'Arwen, si furieuse qu'elle les lui avait involontairement communiqué. C'était la première fois que les liens du sang l'interpellaient de cette façon, et il était venu lui-même vérifier la justesse de son hypothèse. A voir l'expression enragée de la furie blonde, il ne s'était pas trompé.
- Tu ne m'as pas reconnu ?Il la savait capable de gestes irréfléchis dans sa colère, mais tout de même, son assaut à son encontre ne pouvait avoir été lancé en toute conscience de son identité. Arwen était colérique, mais elle restait une disciple dévouée quelle que soit son humeur.
- Si, justement.Furieux, Alucard affronta silencieusement le regard accusateur de son élève insolente, interdit. Enfin, il reprit d'un ton glacial :
- J'ai pris le risque de venir à toi sous ma nature humaine, tu aurais pu me blesser... si tu avais été plus douée au sabre.La pique ne manqua pas d'exacerber la fureur d'Arwen, qui lui adressa un regard haineux, son katana tremblant dans sa main serrée.
- C'est le genre de réactions auxquelles s'attendre lorsqu'on s'introduit sans prévenir dans la chambre d'autrui. Vos six siècles de vécu ne vous ont-ils donc rien appris des bonnes manières ?Et la discussion avait ensuite très vite tournée en joute verbale, terminant sur les hurlements enragés de la jeune femme, qui l'avait invité à régler leur désaccord au crépuscule dans la salle d'entrainement, ce qu'il avait aussitôt accepté, déterminé à lui faire payer son manque de respect.
Il sortit d'un pas furieux de la chambre d'Arwen, et aperçut alors "
l'espèce de mollasson paresseux" que lui avait présenté l'esprit de la jeune femme lorsqu'il avait bu pour la seconde fois son sang, avant de la tuer... une seconde fois. Le garçon semblait troublé, et Alucard le suivit de loin, se demandant si l'état de l'élève était également dû aux foudres de sa disciple nécrophile.
Le jeune stratège le mena jusqu'aux bords d'un somptueux lac où il se posa, apparemment songeur. Hésitant à venir l'interroger, l'ancien seigneur se contenta d'abord de l'observer, essayant de deviner à son attitude si le garçon était aussi "
faible" et "
inintéressant" que les pensées d'Arwen le lui avaient décris. Habitué au mépris général de la jeune femme, il savait que ses jugements hâtifs manquaient souvent de discernement et s'en méfiait.
Lorsque le garçon trahit enfin ses réflexions, le prince empaleur se décida à manifester sa présence. A quelques pas derrière l'élève, il expliqua d'une voix rauque :
- S'il s'agit de la furie blonde qui accompagne parfois tes entrainements, non, il n'y a pas toujours de raison à ses actes... Mais il serait plus facile de te le confirmer si tu t'expliquais à voix haute, plutôt que par pensées. J'ai la prétention de me croire mieux disposé que ce lac pour répondre à tes interrogations.