"Je t'aiderai à récupérer ton ombre, nécrophile"

- Votre forme m'embarrasse, Maître, ne pouvez-vous reprendre votre apparence habituelle ? Ou tout du moins me laisser les rênes ?

L'enfant aux allures de fillette ricana de son insupportable voix cristalline, au grand agacement d'Arwen, qui était cramponnée à sa taille sur un cheval au galop.

Spoiler:

- Je pourrais, oui ! Mais alors tu ne serais plus embarrassée, et ma transformation n'aura plus d'intérêt !

La jeune femme soupira. C'était donc bien pour l'humilier, que le prince vampire avait recouvert une jeunesse pré-pubère et prit les rênes de son propre cheval, l'obligeant à se laisser guider dans tout le Sahoc par ce qui apparaitrait aux yeux des calyptiens comme une gamine dérangée. Elle se demanda un court instant si sa décision d'aller trouver le mage de sang pour lui demander conseil avait été raisonnable. Mais elle sourit finalement, resserrant son étreinte contre le petit cavalier androgyne alors que sa confiance en ce dernier apaisait ses doutes. Alucard était certes un psychopathe aussi cruel que manipulateur, elle savait, en tant que disciple, pouvoir compter sur son appui de Maître.

Par ailleurs, le mage s'était montré anormalement sérieux à son arrivée, lorsqu'elle l'avait rejoint dans sa plaine le lendemain soir de son retour depuis les marais de la sorcière. La voyant revenir sans ombre, il lui avait épargné ses habituels sarcasmes et lui avait demandé de but en blanc la condition de la mage du mana. Arwen lui avait alors fait part de l'échange proposé, plongeant le vampire dans de profondes réflexions dont il était ressorti avec un étrange sourire aux lèvres. Un sourire sincère et empreint d'une bonté qu'elle ne l'avait jamais vu exprimer auparavant. Il avait hoché la tête vers elle, semblant approuver avec une fierté qu'elle n'avait pas compris son incapacité à accepter l'offre de la sorcière.

L'instant d'après, il s'était changé en petit vampire et lui avait parlé en chemin de la boutique de magie noire du Sahoc, où il espérait trouver un remède à sa malédiction, la prévenant toutefois n'avoir aucune certitude. Mais l'aide spontanée de son maître l'avait consolée de son humeur morose, et son entrain l'avait contaminée.

- Je suis sûr que la boutiquière va te plaire, élève nécrophile !

Pendant tout le long du trajet, l'enfant avait régulièrement ricané, intriguant la kendoka, qui avait naïvement interprété sa remarque comme la désignation d'une nature vampirique en la commerçante.

Le couple parvint enfin à la boutique, Alucard passant d'un air arrogant devant sa disciple, dont il se délectait des expressions gênées chaque fois qu'elle devait l'appeller "maître" alors qu'il conservait sa forme infantile. Tandis que la jeune femme cherchait du regard la vampire qui devait tenir l'Acromantula, l'enfant se dressait sur la pointe des pieds pour observer avec une curiosité juvénile un crâne de vampire mis en exposition.

- Etrange, je croyais les ossements de vampire impossible à retrouver, étant donné notre tendance à mourir en confettis de poussières...

Impossible n’est pas calyptien. Répondit une voix de velours. Il existe des manières, mais ce sont des secrets de famille qui ne se transmettent que de mères en filles.

La voix ne semblait venir de nulle part mais, en levant la tête, les deux visiteurs pouvaient voir le gigantesque arachnide qui évoluait au dessus d’eux, marchant à l’envers sur le font de toiles qui drapaient le haut plafond de la boutique. Pourtant l’animal ne choquait pas tant par sa taille que par l’étrangeté de son anatomie. En effet, là où aurait dût se trouver la tête de la créature se dressait le buste d’une jeune femme à la peau pâle et la chevelure argentée qui leur souriait. La créature, une Arakk, était une sorte de centaure-araignée et était également la propriétaire de cette boutique. Ont faisait rarement mieux qu’une arakk en matière de magie noire ! Un peu partout, des araignées plus petites (normales celles-là) évoluaient autour d’elle, se distinguant malgré l’éclairage ténu des lieux comme autant de points sombres sur le font de dentelles compliquées.

Descendant sur son fil, l’Arakk vint accueillir ses visiteurs.
Je suis Aenea, soyez les bienvenus dans mon entre. Nos ossements de vampire sont tout a fait authentiques, je les récoltes moi-même. Nous vendons aussi des potions de croissance pour les petits vampires. Cherchez-vous quelque chose en particulier ?

Au son de la voix dont elle ne comprit pas l'origine, Arwen fit un tour sur elle-même, les sourcils froncés d'incompréhension devant l'absence apparente de la commerçante, qui pourtant leur parlait. Elle surprit alors l'expression amusée du petit vampire, qui levait la tête vers le plafond, et suivit ainsi son regard. Prise d'un violent sursaut, Arwen fit un bond instinctif en arrière, lâchant une exclamation horrifiée avant de se cogner contre un mur, sous les éclats de rires hystériques d'Alucard.

Des larmes de peur coulèrent sur les joues de la jeune femme, qui alla s'agripper fermement au bras de l'enfant, le tenant comme s'il eut pu servir de bouclier, le corps entier secoué de tremblements. Le No Life King, qui avait commencé à se calmer, repartit dans un nouveau fou rire, son hilarité relancée par le comique de la position cachée de l'humaine adulte derrière son frêle corps d'enfant. Il pleura également, mais ses larmes rouges trahissaient un amusement qui contrastait de beaucoup avec la panique qui s'était emparé de son élève.

Pressée de fuir la boutique qui lui apparaissait comme le pire endroit qu'elle ait jamais pénétré, Arwen tenta d'interrompre les éclats de rire du mage, qui duraient maintenant depuis un bon moment.

Maître Alucard ! Je vous en prie, parlez pour moi, je suis incapable du moindre mot... Vous m'aviez promis de m'aider !

- AAAAAAHAHAHAHAHAHA !

MAÎTRE !

- HAHAHAHA ! Désolé nécrophile, moi-même, j'ai quelques difficulté d'élocution... pff HAHAHAHAHAAA !

Agacée et vexée du coup bas de son professeur en magie, la jeune femme prit une longue inspiration et commença d'une voix mal assurée, les yeux écarquillés face à l'arachnide :

- Pardonnez ma réaction démesurée, votre apparition soudaine m'a surprise. Nous...-

Les rires du vampire redoublèrent.

- PFFAAAAHAHAHAHAHAHAHAAAAAAHAHAAAAAHAHAHA !

Arwen le foudroya du regard, et reprit courage :

- Nous sommes venus ici dans l'espoir de trouver un remède quelconque à ma malédiction. Je n'ai plus d'ombre, et la lumière du soleil m'est devenue intolérable. Existe-t-il un moyen durable de me permettre une exposition au soleil indolore et inoffensive ?

La jeune femme attendit la réponse de la gérante avec angoisse, espérant n'avoir pas supporté ces quelques minutes en compagnie de sa plus grande phobie pour le simple amusement d'Alucard. Toujours cramponnée à son maître, elle se préparait à fuir l'endroit à la moindre négation quant à sa demande.

Souriant de la réaction de l’humaine, Aenea releva le nom par lequel elle appela le vampire. Alucard ? Voici donc le vampire sur lequel couraient tant de rumeurs ? Le protégé de Mythril s’était fait un nom célèbre parmi les créatures de la nuit, mais la gérante ne l’imaginait pas comme ça. Les enfants vampires étaient rares à Calypta, une des lois vampires en interdisaient la création.

Veuillez cesser de crier, dit-elle d’un air las, mes petites chéries n’aiment pas le bruit et la peur de votre humaine les excitent.. Voulez-vous que je l'endorme ?

La proposition avait été faite d'un ton tout a fait serviable.

Caché derrière le petit corps, l’humaine s’efforça de s’expliquer d’une voix hésitante. La gérante approcha, saisissant délicatement le visage d’Arwen par le menton et se pencha sur elle.

Ne craint rien mon enfant. Dit-elle avec douceur en plongeant son regard dans celui d’Arwen. L’arakk pouvait voir l’âme des gens à travers leurs yeux, et contempla un instant celle d’Arwen, silencieuse. Puis se tourna vers le vampire.

Rendre une ombre demande un trop grand pouvoir, mais je peux proposer une alternative, si vous le souhaitez, et la protéger contre les effets négatifs de cette perte.

Considérant naturellement que Arwen était l’humaine d’Alucard, l’arakk s’adressa directement au maître. Il n’était pas rare qu’un vampire possède son humain personnel, serviteur servile, pour accomplir les basses besognes ou s’occuper de tâches la journée. Aenea, elle, préférait se servir de zombis, mais c’était une affaire de goûts.

L'arachnide parvint finalement à faire cesser les rires d'Alucard, qui lui répondit joyeusement :

- Sans façon, merci. Elle est beaucoup moins distrayante, endormie...

Trop effrayée pour relever la proposition offensante de la gérante, Arwen gardait les yeux rivés sur ses "petites chéries" dont elle craignait que l'une d'entre elles ne finisse par lui tomber dessus. Lorsqu'ensuite la calyptienne lui toucha le visage, elle frémit et se laissa passivement examiner, se calmant à mesure qu'elle s'habituait à son apparence. Elle se sentit toutefois soulagée une fois libérée du contact de l'arachnide, qui s'adressa alors au vampire, comme s'il eut été le propriétaire de la jeune femme.

Vexée et agacée de cette supposition, Arwen n'eut pas le courage d'exprimer son indignation mais répliqua toutefois avant Alucard, qui semblait trouver naturel d'être appelé à répondre pour elle :

- Une alternative pourrait en effet convenir, mais j'aimerais avant tout être informée des éventuels effets secondaires et du prix que vous en attendez.

Naturellement, Arwen entendait se montrer aussi généreuse qu'il le faudrait pour obtenir un remède quelconque à sa malédiction et retrouver la liberté dont elle était désormais privée. Mais elle espérait toutefois le coût suffisamment raisonnable pour espérer se permettre un tel achat d'ici peu, ses moyens étant relativement limités. Alucard dût deviner ses inquietudes, car il intervint dans ses pensées :

J'ai dis que je t'aiderai, ne te soucies pas du prix, nécrophile.

La kendoka se tourna vers lui pour lui sourire, sincèrement reconnaissante du soutien financier qu'il lui proposait. L'enfant le lui rendit, mais dans une expression ironique, avant d'ajouter par télépathie :

Mais tu me seras redevable, et j'ajouterai les intérêts que tu m'as fait payer pour le mercenaire.

Grimaçant de la rancune de son maître, Arwen répondit de la même façon :

Eh, je nous croyais quittes depuis la tournée que j'ai payé pour vous à la taverne !

Alucard gloussa et haussa les épaules.

En effet, mais je pensais que tu étais trop ivre à ce moment là pour te souvenir de cet accord...

L'échange avait été rapide, de sorte qu'il se termina avant même que la gérante ne commence à répondre aux questions de la jeune femme. L'élève et son maître levèrent en même temps les yeux vers l'arachnide, impatients.

Ce que vous demandez demande beaucoup de travail, et de pouvoir. Dit-elle en s’adressant au couple.
Mais le mois du corbeau et le mois idéale pour ce genre de magie. Cela vous coûtera 100 pièces d’or.

La gérante fixa alors Arwen, poursuivant du même ton doux.

Il n’y aura pas d’effets secondaires, chère petite, à moins que vous n’altériez votre âme, mais je vous expliquerait tout ce qu’il faut afin que vous ne subissiez pas de contrecoup. Les sortilèges que je tisse sont toujours d’excellente qualité.

Arwen commençait doucement à reprendre espoir, lorsque l'arachnide émit une restriction à l'absence d'effets secondaires prétendus, éveillant la méfiance de la niebienne. La kendoka n'avait aucune expérience de la magie noire, cependant elle en devinait assez pour se douter du contrepoids à payer contre ses avantages et avait appris de sa malédiction à mesurer les risques avant de les prendre. Ou bien était-ce dû aux conseils répétés de Néo, qui lui reprochait encore trop souvent son impulsivité ?

Elle voulut interroger davantage la gérante au sujet des conséquences de l'altération d'âme, mais Alucard prit la parole avant elle, sa forme adulte soudain retrouvée pour afficher un air froid qui n'avait plus rien à voir avec ses expressions d'enfant joueur :

- Vous vous doutez bien à ma présence que cette humaine est plus particulièrement soumise aux risques d'une altération d'âme qu'un mortel quelconque. Nous ne pouvons donc nous contenter d'une description aussi évasive de l'alternative que vous proposez... Nous voulons des explications précises et complètes quant à sa nature et ses conséquences exactes -éventuelles également-, et nous les voulons dans l'immédiat.

Arwen s'étonna de l'implication du mage dans leur quête d'un remède à sa malédiction, mais n'osa pas le lui en remercier, même par pensée. Le vampire apparaissait presque menaçant, fixant avec insistance de son regard écarlate l'arachnide tandis qu'il gardait le menton légèrement levé, donnant l'impression de regarder de haut la créature qui pourtant le dominait de sa taille. La jeune femme suivit silencieusement son échange avec la gérante, trop impressionnée par l'un et effrayée par l'autre pour se mêler à la conversation.

Surprise par la transformation du vampire, l’arakk se tourna de nouveau vers lui, le dévisageant avec intérêt. Elle n’y avait pas fait attention jusqu’ici, mais ce vampire-là était plus ancien qu’elle ne l’avait crue. Pouvait-il être un Ancilla, âgé d’une ou deux centaines d’années ? Non, il devait sûrement s’agir d’un Ancien. Si c’était le cas, beaucoup de petits vampires allaient se casser les dents sur lui. Répondant aux interrogations du vampire, l’arachnide lui rendit un regard empli d’une magie sans âge, aussi noire et profonde que la mort.

La restriction est simple, dit-elle. L’enchantement se présentera sous la forme d’un pendentif qu’elle ne devra plus enlever. Comprenez que le pendentif jouera le rôle de son ombre, et que, comme son ombre, il ne devra plus la quitter.

Tournant la tête vers l’humaine, elle insista.
L’ôter serait le perdre, et la laisserait de nouveau sans protections.

Elle regarda alors de nouveau le vampire.
Cependant, je vous conseil de lui ôter avant de lui donner l’étreinte, sans quoi les conséquences peuvent êtres imprévisibles… Je peux, si vous préférez, incruster la pierre du sortilège directement à l'interieur de son corps, plutôt que de lui faire porter comme pendentif. Mais lui enlever deviendrait alors plus compliqué, et vous seriez obligé de me ramener votre humaine avant de la transformer.

Songeuse, Arwen finit par interroger du regard son maître en magie, attendant qu'il n'exprime son opinion quant à la solution proposée par l'arachnide. Mais le vampire se contenta de lui sourire discrètement, lui faisant silencieusement comprendre que la décision lui appartenait et qu'elle devait peser seule les désavantages de l'alternative.

La jeune femme réfléchit, mais ne parvint pas à se faire une opinion, peu confiante en son propre jugement. L'importance de sa décision et des conséquences qui en découlerait la rendaient hésitante et elle finit par conclure :

- J'ai besoin de temps pour réfléchir à cette solution, je ne veux ni ne peux décider de mon avenir en un instant. Si le compromis m'apparait juste, je repasserai avant la fin du mois. Je vous remercie de vos services.

Elle hocha la tête à l'adresse de la gérante puis sortit à vive allure de la boutique, Alucard à ses talons. La jeune femme prit les rênes de son cheval mais ne le monta pas, préférant marcher calmement à ses côtés, l'esprit distrait par des pensées indécises. Après de longues minutes de silence, le vampire devina :

- Je ne t'ai jamais connue si incertaine nécrophile, comptes-tu t'enquérir de l'avis de ton chevalier pour assurer ton choix ?

Arwen soupira, agacée par le ton récriminateur du mage, qui semblait désapprouver l'importance qu'elle accordait à l'influence de Néo. Elle s'expliqua sans quitter des yeux le chemin qu'elle suivait :

- Il est également concerné par ma décision : si je la rejette, il faudrait encore qu'il accepte de me protéger continuellement. C'est un engagement à vie... J'ai besoin de connaître ses sentiments quant à cette responsabilité avant de choisir ou non le port du pendentif.

Le vampire sembla considérer avec moins de mépris son hésitation, haussant finalement les épaules dans une attitude détachée. Sa jeune disciple plaisanta :

- Et puis, j'ai pour principe de ne porter que des bijoux celtiques. Accepter la protection d'un tel pendentif contrarierait ma morale.

Le couple poursuivit ainsi sa route à pied, jusqu'à ce qu'après une longue traversée dans le territoire du Sahoc, Alucard ne précise enfin :

- Tu sais que cela fait près d'une heure que tu marches dans la direction opposée au manoir ?