L'écaille de dragon mauve

Le lendemain soir de sa visite à l'Acromentula, Arwen était partie dans le domaine neutre, préférant concentrer son attention sur le pouvoir qu'elle voulait obtenir de la sorcière plutôt que sur la malédiction pour laquelle elle n'avait toujours pas trouvé de remède. Perdue, elle était parvenue plus tard que l'heure espérée à l'agence du mercenaire, mais retrouva le sourire à la vue de l'habitation familière, impatiente de retrouver Ryu, qu'elle n'avait pas revue depuis leur beuverie à la taverne.

La jeune femme approcha prudemment l'agence et s'agenouilla devant la serrure que seule la clarté des étoiles éclairait. Elle sortit alors les deux crochets prévus au forçage de serrure qu'elle gardait sur elle depuis qu'elle en avait appris l'emploi auprès d'Alucard. Aidée du mage, elle s'entrainait désormais aux infiltrations nocturnes sur d'autres pièces que la chambre de Néo, et avait ainsi dû faire face aux portes fermées de locataires aux précautions différant de celles du chevalier.

Même s'il était désormais dans ses habitudes de tenter une approche discrète chaque fois que l'occasion se présentait, l'idée de surprendre le changelin motivait davantage la kendoka que son entrainement, curieuse de la réaction du personnage dont elle était plus accoutumée à s'étonner qu'à prendre elle-même de court. Habitude qu'elle espérait retourner ce soir...

La serrure céda aussitôt, sous le regard écarquillé d'Arwen. Elle se demanda un instant si la porte n'avait pas été laissée ouverte, puis haussa les épaules, décidant finalement de remettre la rapidité d'ouverture de la porte sur son habileté. Prenant garde à ne pas trahir sa présence de son souffle, elle maitrisa sa respiration et poussa doucement la porte, pénétrant d'un pas silencieux dans la demeure sombre.

Apparaissant derrière elle, un chat violet se changea en humain et la suivit en silence, faisant moins de brui qu’une ombre..

Ryu n’avait aucune sécurités particulières contre les intrusions, mais ne se trouvant jamais chez lui, un sort spéciale l’alertait où qu’il soit, le prévenant de la moindre visite. Il fut donc instantanément au courant du crochetage d’Arwen, et était venu voir curieux qui était en train de forcer sa porte.

Se soir là, le changelin se trouvait sur une lointaine île des mers australes, buvant et fêtant avec les pirates la prise d’un gros navire marchand débordant de richesses. Mais les distances n’étaient rien pour le Chat de Cheshire, qui, de tous les êtres copié jusqu’alors, était le plus proche de la vraie nature du changelin : Le chat était partout et nulle part à la fois, tandis que le changelin, lui, était tout et rien a la fois.

Arwen se retrouva devant un impossible embiglio d’escaliers allants dans tous les sens.

Spoiler:

Cherchez-vous quelque chose ?

Alors qu'Arwen se détournait de la porte qu'elle avait délicatement refermée, elle découvrit avec stupeur les escaliers aux directions insensées, se figeant à la vue des marches impossibles à passer. La dernière fois qu'elle était entrée dans l'agence, l'intérieur s'était présenté sous la forme d'une salle d'attente et la jeune femme se demanda un instant si elle ne s'était pas trompée d'habitation. Mais non, la plaque avait bien indiqué le nom du mercenaire, et par ailleurs, ce dernier était bien le seul personnage assez farfelu pour vivre dans un endroit aussi paradoxal.

La kendoka avança donc vers les escaliers, intriguée, et se retourna quelques pas plus loin, surprise par l'accueil du changelin. Déçue d'avoir été de nouveau prise au dépourvu par sa propre proie, elle soupira... mais retrouva aussitôt le sourire, incapable de ne pas se réjouir de la compagnie du polymorphe, l'un des rares calyptiens qu'elle avait tout naturellement apprécié depuis leur première rencontre.

- Bonsoir, Ryu !

Puis, réfléchissant à la question du mercenaire, elle croisa les bras et perdit son regard vers le sommet sans fin des escaliers.

- Hm... L'homme est absurde par ce qu'il cherche, grand par ce qu'il trouve. Je dirais donc que je suis venue trouver, et non chercher !

Comme lors de son premier passage, elle conclut en attrapant la main du changelin, qu'elle fit monter de force avec elle les marches, cédant à sa curiosité. Rapide, elle entreprit l'ascension des escaliers auprès du polymorphe qu'elle ne lâchait pas, le regard levé vers le sommet invisible.

- Je veux trouver la gloire, je veux trouver l'amitié, je veux trouver l'ombre perdue et je veux trouver ma voie... Mais ce que je suis venue trouver chez vous, c'est le pouvoir !

La jeune femme ralentit soudain à l'approche d'un escalier dont l'escalade aurait relevé de l'absurde, celui-ci étant incliné de telle façon qu'il aurait fallu défier la gravité pour le monter. Déterminée à relever ce défi illogique, elle serra plus fermement la main du mercenaire et posa un pied sur la première marche, puis sur la deuxième... et poursuivit ainsi, tout étonnée de pouvoir avancer dans un tel angle de montée sans risque de chute, son corps, ses vêtements et autres effets ne semblant pas ressentir la loi de la gravitation. Une fois sa surprise passée, elle s'expliqua :

- Et plus précisément, une écaille de dragon mauve.

Ne voyant toujours pas la fin des escaliers malgré sa marche rapide, elle finit par libérer la main du polymorphe pour s'asseoir sur une marche d'où elle put observer le sol du rez de chaussée en levant les yeux, possibilité insensée dont elle se plut à profiter.

- Il m'en faut une authentique, et il me la faut dans les plus brefs délais.

Plus tôt elle obtiendrait l'écaille, plus tôt elle jouirait d'un nouveau pouvoir. Par ailleurs, la jeune femme n'était pas patiente... Un sourire narquois et un regard de défi adressés au changelin, elle ajouta :

- Vous aurez cette fois votre paiement avant la mission, bien que je vous en veuille d'avoir accepté les boissons que m'a forcé à payer Néo... Mais je veux votre service le plus rapide, si toutefois la difficulté de la tâche ne vous inquiète pas. Alors, Monsieur Ryu, êtes-vous capable de satisfaire ma requête, et de la satisfaire au plus vite ?

Ryu se laissa docilement entraîner par Arwen, un souri aux lèvres tendit qu’elle lui récitait sa tirade. Son sourire s’étira malicieusement lorsqu’elle hésita à défier la gravité. Le mercenaire ne reprit la parole, enfin, que lorsqu’Arwen mit fin à sa course pour s’asseoir sur une volé de marche. Le changelin resta debout devant elle, et disparut !

En fait, il n’avait pas vraiment disparu, mais se changea en courant d’air pour réapparaître sur un autre escalier, faisant quelques pas tout en parlant avant de recommencer. Ce qui donnait l’impression de le voir apparaître ça est là au gré de sa fantaisie comme s’il se téléportait. Tantôt montant, ou descendant les marches.

Beaucoup d’hommes courent après des dragons mauves, et beaucoup de femmes aussi…

Les derniers mots se répercutèrent en échos, le changelin apparut a droite d’Arwen, sur un escalier penché a 90 degrés.

…mais aucun ne les à jamais trouvés. Savez-vous pourquoi ?

Le changelin s’arrêta et se tourna vers Arwen, mais disparut aussitôt et se retrouva à descendre quelques marches un peu plus loin, et passa sous une arcade.

…Parce qu’il n’y en a qu’un, et parce qu’il n’est jamais là où ont le cherche !

Sa voix se fit plus lointaine, Arwen dût baisser la tête pour le voir en contrebas.

…Le dragon mauve ne se montre qu’à ceux qui l’ont déjà trouvé…

Cette fois le changelin était hors de vu, mais sa voix toute proche, il remontait les marches dos au même escalier qu’Arwen.

…je peux en trouver, et vous en montrer de toutes sortes…

Deux Ryu apparurent alors sur deux escaliers différents, tout deux parlant exactement en même temps. Ryu n’avait pas véritablement le don de se multiplier, mais pouvait tout a fait se faire pousser plusieurs corps tant qu’ils étaient reliés les uns aux autres. Séparés, les corps additionnels tombaient comme des poupées de chair. Mais Arwen ne pouvait pas voir le cordon invisible qui reliait ces deux Ryu.

…mais s’il doit être authentique, vous devrez l’appeler par son nom.

Une légère brise souffla dans les cheveux de la jeune femme et le mercenaire apparut au dessus d’elle, tête a l’envers. Il s’arrêta et lui sourit.

Que savez vous sur les dragons mauves ?

Une fois sa surprise passée, Arwen suivit les téléportations du changelin du regard et l'écouta attentivement malgré ses déplacements étonnants, dont elle eu du mal à ne pas se laisser distraire. Puis, ce fut à deux Ryu qu'elle dût prêter une oreille attentive, et la tâche se révéla d'autant moins facile que la jeune femme s'était fascinée pour ce dédoublement qui lui inspira à la fois amusement et admiration. Dès lors qu'elle se trouvait en présence du mercenaire, la kendoka relâchait toute vigilance et s'amusait de ses bizarreries, mauvais instinct qu'elle ne pouvait s'empêcher de suivre, incapable de se méfier sérieusement du polymorphe.

Finalement, ce dernier s'arrêta au dessus d'elle pour l'interroger sur ses connaissances du dragon mauve. Elle se leva, le dévisagea et à quelques centimètres du visage de son interlocuteur, lui passa la main dans les cheveux à plusieurs reprises, tentant apparemment une expérience qui la dérouta :

- Mais pourquoi la gravité n'agit-elle pas ?

Comprenant qu'aucune mèche des cheveux du mercenaire ne céderait à la gravité, elle finit par lui répondre :

- Je sais... absolument rien ! En vérité, peu m'importe, tant que je peux acquérir une écaille de dragon mauve authentique ! Elle peut bien être dotée d'extravagances aussi folles et incompréhensibles que votre personne même, Ryu, cela ne changera rien à ma quête ! Ou plutôt la vôtre, désormais, puisque je vous en charge... si celle-ci vous intéresse ?

Oh mais elle agit ! Répondit-il pour la gravité. Et tendant la main a la jeune femme, il l’invita a le rejoindre sur son escalier, la hissant sans effort tandis que l’endroit devenait l’envers.

Arwen avoua alors ne rien savoir sur les dragons mauves.

Vous n’aurez donc rien a désapprendre. Sourit le changelin. Il se trouve que je
connais le seul véritable dragon mauve qui existe. Je vous rapporterais cette écaille,
mais si vous la voulez sans attendre il faudra la lui réclamer. Que choisissez-vous ?

Apporter l’écaille ou trouver le dragon, dans les deux cas il s’agissait d’un service de Get Backer. Arwen avait juste a choisir si elle voulait prendre l’écaille elle-même ou revenir la chercher. Dans le deuxième cas, Ryu était prêt a venir lui apporter sur le lieux de rendez-vous de son choix.

La kendoka esquissa un sourire triomphant. De toute évidence, elle avait frappé à la bonne porte. Le fait même que Ryu connut le seul représentant d'une race unique était si étonnant qu'il était apparu comme évident à la jeune femme, habituée aux impossibilités que le mercenaire permettait naturellement. Elle réfléchit donc au choix qu'il lui laissait et conclut, songeuse :

- J'aimerais la lui réclamer, je serais honorée de rencontrer une telle créature mais... je suis limitée aux ténèbres de la nuit et aux ombres des milieux sombres. Pensez-vous pouvoir me mener jusqu'au dragon à l'abri des rayons solaires ? Dans le cas contraire, je vous laisse vous en charger seul.

Le polymorphe ne lui avait pas précisé la durée de l’expédition, aussi ignorait-elle si la nuit la protégerait tout le long ou s'il lui faudrait craindre les menaces de l'aube. Arwen se prit à espérer pouvoir approcher la créature dont il vantait la rareté, elle aussi. Elle sourit.

- Mais s'il m'est possible de vous accompagner... qu'attendez-vous pour nous y emmener ?

La jeune femme avait tendu la main vers son interlocuteur, la paume chargée d'une bourse dans laquelle se comptait la somme qu'elle avait lue pour les services de Get Backer indiqués sur l'agence.

Je le peux sans peine, je vous ferais cadeau de l’escorte. Mais vous devrez pénétrer
seule l’intérieur de son antre, et l’appeler par son nom.

Comme tous les dragons, celui-ci était sensible à la vieille magie des noms, une des plus anciennes magies de la création, mais la particularité même de son nom l’immunisait en même temps contre cette même magie. Un paradoxe qui ne faisait qu’ajouter à la nature ésotérique de la créature.

Répondant à l’empressement d’Arwen, Ryu accepta la bourse et fit marche vers la porte, refermant derrière la jeune femme sans verrouiller. *clic* Un léger déclic se fit tout de même entendre, la porte se verrouillait-elle toute seule ? L’ingénieux mécanisme venait en fait de la forge Sayer, mais ne s’enclenchait que si Ryu pressait légèrement sa porte comme il venait de le faire.

Nous y serons rapidement. Dit-il en observant le ciel.

Arwen se para d'un sourire arrogant et passa la main dans ses cheveux pour les ramener en arrière avant de répliquer :

- Pénétrer seule l'antre du dragon ne m'effraie en rien, j'irai !

Elle s'empressa alors de quitter la demeure et attendit que le mercenaire ne ferme la porte derrière elle. Ce dernier leva les yeux au ciel pour y constater le délai rapide qu'il prévoyait, sous le regard étonné de la kendoka qui ne comprit pas en quoi la voûte céleste permettait telle prédiction. N'y trouvant pas la réponse elle-même malgré son observation attentive, elle conclut finalement que la question était sans importance et se concentra de nouveau sur sa quête, impatiente.

- Quel est le nom du dragon mauve, Ryu ?

C’est à vous de lui donner. Répondit-il énigmatique.
C’est un nom que vous seule connaissez.. Celui de vos rêves, de vos espoirs, vous
devez le nommer pour qu’il devienne votre propre dragon mauve, ce n’est qu’ainsi
qu’il se montrera à vous.

Souriant à la kendoka, le changelin s’approcha d'elle et lui enlaça la taille.

Tenez-vous a moi. Dit-il en la serrant contre lui.

A peine eu-t-il prononcé ces mots qu’Arwen se senti tout à la fois tomber dans le vide et happé par les étoiles, une sensation de pure vertige, le tout se passant a une vitesse folle. Un ciel nocturne dégagé et les étoiles bien visibles dans le firmament étaient les conditions idéales pour le moyen de transport qu’avait choisi Ryu. Pour Arwen, cela n’avait été qu’une brève et intense sensation de vertige, mais le changelin s’était changé en étoile, et avait brillé dans le firmament moins de temps qu’une conscience humaine avant de redescendre sur terre.

Lorsqu’Arwen reprit conscience de ce qui l’entoure, elle se découvrit devant l’entrée d'une grotte obscure, dans un paysage inconnu. Le changelin, à quelques pas devant elle, avait déjà reprit forme humaine.

Ne soyez pas trop déçue s'il ne se montre pas, sourit-il.
En cas d’échec je vous rapporterait moi-même l’écaille.

Puis prenant un air malicieux ajouta.

Et ne le défiez sous aucun prétexte.. il pourrait accepter.

Sur ces dernières recommandations le changelin s’écarta, laissant la jeune femme pénétrer dans l’antre rempli d’obscurité. Quelques minerais, à l’intérieur, luisaient faiblement sur la paroi, mais pas assez pour qu’Arwen y voit vraiment.

Arwen dévisagea son employé d'un air déconcerté tandis qu'elle réfléchissait au sens de ses paroles, embêtée par ses explications incompréhensibles. Craignant que l'énigme que représentait le nom du dragon ne compromette sa quête, elle voulut l'encourager à plus de précision mais fut prise de court par le rapprochement du mercenaire, qui l'avait enlacée à la taille.

Pressée de partir à la recherche du dragon, elle répondit docilement à son étreinte et presque aussitôt se sentit aspirée à une vitesse vertigineuse vers le ciel, avec pourtant l'impression étrange de tomber en chute libre. Elle n'eut toutefois pas même le temps de s'en inquiéter car à peine eut-elle seulement réalisé son déplacement qu'elle fut parvenue au devant d'une grotte. Surprise d'être si vite arrivée au repère de la créature fantastique, elle relâcha Ryu et tenta de percevoir l'intérieur de l'antre, dissimulé dans une obscurité impénétrable, malgré les faibles lueurs des minerais qui en abritaient les parois.

Elle reporta de nouveau son attention sur le polymorphe lorsque celui-ci la rassura quant à sa quête de l'écaille, qu'il affirma remplir à bien, qu'elle trouve ou non le nom du dragon. Elle acquiesça en souriant, mais elle ne put s'empêcher de s'inquiéter de l'absence de leur hôte reptilien. Certes, Ryu lui rapporterait ce qu'elle était venue chercher, mais elle n'en désirait pas moins faire la rencontre de la créature mythique, qu'elle voulait voir de ses propres yeux.

Le mercenaire parvint à lui arracher un sourire plus sincère alors qu'il lui déconseillait de ne pas provoquer le dragon. Il n'aurait pas su mieux s'y prendre pour tenter la demoiselle de défier ce dernier. Retrouvant son empressement coutumier, elle lui adressa un signe de la main avant de pénétrer la grotte sans plus s'attarder.

Après quelques pas, les ténèbres la désorientèrent complètement et elle dut avancer une paume contre la paroi rocailleuse pour trouver une direction à suivre. Une fois suffisamment enfoncée dans la grotte, elle s'arrêta et réfléchit au nom à appeler. Son premier réflexe fut de songer à nommer le dragon selon le nom de sa race dans la langue qu'elle préférait. Elle s'apprêta donc à rompre le silence sous le mot "Ryû" quand l'idée lui déplut finalement. Quel être apprécierait d'être ainsi appelé sous le nom de sa race tel un banal objet dépourvu d'identité personnelle ? Arwen leva les yeux au ciel en imaginant son maître d'arme l'appeler "Humaine"... puis se rembrunit en songeant à son maître en magie, qui lui utilisait parfois ce terme pour l'appeler, plus par provocation que par mépris toutefois.

La jeune femme se concentra plus sérieusement et en vint à apprécier le nom "Yume" qui signifiait, toujours en japonais, "rêve", concept qu'elle chérissait particulièrement. Le nom lui parut également agréable à entendre, et elle décida de l'essayer :

- Yume...

Le silence revint et ne fut rompu d'aucun signe de présence autre que la sienne. Arwen soupira, découragée. Elle passa plus de temps à approfondir sa réflexion, essayant par moment d'autres mots japonais dont elle aimait autant le sens que la prononciation, mais ses tentatives n'aboutirent pas plus.

Déçue, la jeune femme hésita à se retirer pour demander l'aide du mercenaire, tournant avec angoisse l'alliance un peu trop grande qu'elle portait à la main droite, geste machinal qui la prenait régulièrement. Au contact de l'anneau d'argent, la demoiselle écarquilla les yeux, inspirée. Le Claddagh, bijou celtique porté en gage d'amitié ou d'union, arborait sous ses doigts le principe fondamental en lequel la kendoka croyait. Au centre, le cœur porté par deux mains qui enlaçaient son annulaire était serti d'une couronne. Ainsi, l'amour, l'amitié et la loyauté étaient respectivement représentés par le coeur, les mains gantées et la couronne royale, symboles même d'une philosophie celtique fondée sur le règne de l'amour.

S'appuyant de ce précepte, Arwen murmura d'une voix douce le plus beau nom auquel elle put songer, dans un accent breton impeccable :

- Kalon.

Prononcé "Calonn", le terme désignait en vieux breton -langue qu'elle aimait le plus puisque le japonais n'était sa préférée que parmi celles qu'elle maitrisait- le cœur ou encore le courage et la bonté. Sûre d'avoir appelé le nom "de ses rêves et de ses espoirs", Arwen attendit dans un silence recueilli l'arrivée du dragon mauve, qu'elle espérait sensible à cette appellation. Car s'il ne l'était pas, cette fois, elle devrait se résignée à faire appel au mercenaire.

Une lueur violette se mit à briller au fond de la grotte, pulsant comme au rythme d’un cœur. En fait, les pulsations suivaient vraiment le rythme d’un cœur.. le sien.

Ce n’est qu’une fois dans la lumière qu’Arwen put voir ce qu’aucun dieu n’avait jamais pu contempler. Un être impossible, si unique, que quel que soit le monde d’où ont venait nul ne croyait en son existence. Nul n’en parlait au sens littéral d’ailleurs, la bête n’était qu’une formule de langage exprimant l’impossible et l’illusoire, mais celui qu’Arwen avait en face d'elle était bien réel, un véritable et authentique Dragon Mauve. Étrangement, malgré l’absence de son ombre, la lumière dans laquelle baignait la jeune femme ne lui faisait aucun mal.

Haut de 10 mètres, le dragon dressa son cou flexible et fixa l’humaine qui lui faisait face. A présent nommé, il était prêt a entendre ce qui l’avait emmenée a lui.

Arwen s'était calmement avancée dans la lumière et admirait à présent la créature d'une telle majesté qu'elle en restait interdite, incapable de trouver les mots ou l'attitude suffisamment graves pour rompre son silence solennel. Le dragon se mouvât alors pour la fixer, et obéissant à cet intérêt, la jeune femme s'inclina respectueusement devant lui avant d'annoncer :

- Kalon, votre présence m'honore. Puisse ma gratitude pour votre réponse à mon appel vous apparaître en sa sincère immensité.

Elle marqua une pause, puis reprit :

- Je me nomme Arwen Blacksoul, et suis venue à vous dans l'espoir que vous pourrez répondre à ma requête. Je nourris l'ambition de surmonter mes faiblesses et lacunes pour parvenir à me protéger moi-même des nombreux dangers de Calypta, dont je suis encore étrangère. La personne à qui j'ai réclamé un enseignement pouvant me permettre cette indépendance qui me fait défaut m'a répondu n'accepter me prendre pour disciple qu'en échange d'une écaille de dragon mauve. Mon approche à votre encontre est ainsi motivée par l'intention de remplir cette tâche... Kalon, je vous prie de considérer ma demande.

Son explication terminée, Arwen s'agenouilla face au reptile gigantesque et abaissa la tête, grave mais sereine. La requête était conséquente, et elle était consciente de l'insignifiance de sa situation pour l'être légendaire à qui elle n'avait rien à offrir. Malgré cela, la halo de lumière mauve qui l'enveloppait, la profondeur recluse de l'abri qui la protégeait et la compagnie inespérée de l'imposant dragon la rassuraient, sans qu'elle en comprenne vraiment la raison.

Le mage rouge avait exigé son sang et l'avait forcée à faire face à sa plus grande peur avant de lui enseigner son don de lévitation. La sorcière avait attendu qu'elle n'affronte les dangers de son territoire pour écouter sa demande, et s'était débarrassée d'elle en lui réclamant un trésor qu'elle pensait impossible à trouver. Pourtant, il existait des êtres dont la grandeur d'âme était telle qu'une motivation sincère et juste suffisait à convaincre d'une aide indéfectible...

Se demandant si le dragon réfléchirait selon les principes s'apparentant à ceux des mages ou du maître d'arme, la kendoka attendait patiemment sa réponse.

Arwen Blacksoul, ton respect m’honore et ton cœur et fidèle. Parce que tu la désire
vraiment, et parce que tu n'a pas cherchée à la prendre de force, je t'offrirais une de
mes écailles.

Le dragon insista sur le "une", qui indiquait le nombre d’écailles qu’Awen aurait le droit de lui demander. Il serait inutile de revenir plus tard en demander une autre, quelle qu’en soit la raison. Levant une patte griffue, le dragon tira sur l’une des écailles de son flan et la détacha. Celle-ci avait la taille d’un bouclier, mais lorsqu’Arwen s’en saisit, l’écaille rétrécie jusqu'à tenir dans le creux de sa main. La taille de l'écaille dépendait du besoin de la jeune femme, si elle souhaitait s'en servir pour se proteger, l'écaille reprendrait sa taille normale.

N’oublis pas la raison pour laquelle tu me l’a demandée, et surtout, ne la montre a
personne. Seul celui qui te l’a réclamée devra la voir.

Sur ces mots, le dragon disparut et la lumière violette se mit doucement a faiblir. Étrangement, l’obscurité n’était plus un problème pour la kendoka. Un autre effet que l’écaille avait sur elle était de la protéger des effets néfastes de la perte de son ombre, mais Arwen aurait le temps de s’en rendre compte.

Donnant raison à la pérennité instinctive d'Arwen, le dragon accepta de lui sacrifier l'une de ses écailles. Touchée par son aide désintéressée, la jeune femme releva la tête pour lui adresser un regard empreint d'une profonde reconnaissance et se redressa enfin. Elle reçut l'écaille mauve, qu'elle saisit à deux mains jusqu'à ce que celle-ci ne rétrécisse suffisamment pour qu'elle ne puisse la resserrer doucement dans le creux de la main. Elle chercha un moment les mots pour exprimer sa gratitude à l'être légendaire, perdue dans une confusion de pensées de formulations grandiloquentes. Finalement, tout ce qu'elle put prononcer se résuma à un mot, simple et bref, qu'elle lâcha dans un souffle :

- Merci...

Elle aurait voulu rester plus longtemps auprès de Kalon, profiter plus longuement du calme qui l'envahissait en sa présence et de sa compagnie rassurante, mais après une dernière remarque, le reptile disparut. La kendoka enfouit l'écaille dans sa poche et marcha tranquillement vers la sortie, tout en prévenant mentalement le mage de son incapacité à le rejoindre dans la soirée comme ils l'avaient prévu.

Incertaine du temps dont le mercenaire aurait besoin pour remplir sa tâche, elle ne s'était toutefois pas attendue à un service si rapide et avait donc pensé pouvoir trouver Alucard après sa requête. Ce dernier ne lui répondit pas, à son grand étonnement. Toutefois, impatiente d'offrir l'écaille à la sorcière, la jeune femme ne s'en soucia pas longtemps.

Une fois sortie de l'antre, elle sourit à Ryu d'un air victorieux, lui confirmant la réussite de sa mission, et lui demanda :

- Dîtes-moi, seriez-vous incommodé de me déposer devant les marais, plutôt qu'en ville ? Il s'agit de ma prochaine destination, je ne rentre pas à mes quartiers ce soir...

Puis, se souvenant qu'elle s'adressait à un mercenaire, qu'elle ne pouvait s'empêcher de plus souvent considérer comme un ami, elle ajouta précipitamment :

- Enfin, c'est un service auquel je songeais en dehors de vos fonctions, et dont vous ne perdrez rien à le refuser. N'hésitez donc pas à privilégier votre retour avant le mien si mon trajet signifie un retardement déplaisant pour vous.

Les marais ? L’écaille était donc pour la sorcière ? Qu’avait put lui demander Arwen pour que la sorcière lui réclame quelque chose d’impossible a trouver ?

Je n’y vois aucun incommodement, et serais même ravi de vous accompagner.

Souriant largement, il tendit la main, prenant un air galant, et invita la jeune femme a lui pour un nouveau saut.

Permettez-moi, je vous pris, de vous conduire jusqu’aux portes du marais.