Remise de l'écaille mauve

Folle de joie, Arwen ouvrit la bouche comme si elle eut été sur le point de crier, conservant cette expression à la fois ravie et niaise sans qu'aucun son ne franchisse ses lèvres. La mage acceptait de la prendre pour élève ! Ce n'est qu'alors qu'elle réalisa un fait pour le moins surprenant : au final, l'existence avérée du dragon mauve, sa rencontre avec ce dernier, la générosité extrême dont elle avait bénéficié, les épreuves auxquelles elle avait survécu, l'intervention toujours inexpliquée du vampire et du mercenaire- étrangement, tout cela ne lui avait pas paru aussi incroyable que le respect de la sorcière pour la promesse qu'elle lui avait faite.

Toutefois, l'Esper Magister du mana la fit bien vite redescendre sur terre, et la kendoka regarda avec amertume l'écaille brandie tandis que sa nouvelle enseignante l'en narguait. Elle soupira d'un ton froid malgré ses efforts pour ne rien laisser deviner de sa frustration :

- J'ai promis que je vous remettrais l'écaille : je n'ai qu'une parole. J'attache plus d'importance au respect de mes principes qu'à ma protection personnelle...

Elle aurait tant aimé que le dragon ne lui ait pas fait jurer la remise de l'écaille à la sorcière ! Sentant sa rancœur dissiper toute la satisfaction dont avait pu lui faire jouir son statut d'Esper en magie du mana, la kendoka décida d'éloigner de son esprit ses regrets inutiles et tenta de profiter de la situation présente, puisqu'elle avait tant fait pour en arriver là. Elle était enfin parvenue à convaincre la sorcière de l'accepter pour élève, elle avait un nouveau maitre en magie.

Alors qu'elle y réfléchissait, le mot "maître", appliqué à la vieille mage, acheva soudain ses dernières pensées joyeuses. La sorcière, devenir son maître ? Arwen déglutit, les yeux abaissés sur ses bottes boueuses. En insistant pour être prise pour élève, elle n'avait songé qu'au fait d'obtenir un nouveau sort... sans un instant penser à la relation qui en découlerait entre elle-même et la mage de mana.

Imprégné des inquiétudes débordant de l'esprit de la jeune femme, Alucard s'approcha d'elle et pausa une main réconfortante sur son épaule, l'interpellant mentalement d'une voix suave :

Te souviens-tu de nos premiers échanges lorsque tu es venue me demander mon enseignement, nécrophile ?

Il lui transmit alors le souvenir qu'il gardait de leur étreinte, et Arwen se revit perdre conscience alors qu'il la vidait de son sang sur la plaine des duels. Puis il lui rappela son combat contre l'arachnide, insistant sur l'expression terrorisée de la kendoka puis enchainant sur celle, calme et enjouée, du mercenaire avec lequel il avait paisiblement discuté tandis qu'elle vivait un enfer. Enfin, il finit par lui envoyer quelques-uns des moments agréables qu'ils avaient partagé : leur beuverie à la taverne pour fêter son succès, ses premiers véritables progrès en magie du sang, ou encore la promesse sincère qu'il lui avait faite de tout faire pour lui permettre de retrouver son ombre, parole dont il savait que la jeune femme avait été profondément touchée. Pour la faire sourire à nouveau, il lui montra même le discours furieux qu'il lui avait fait quelques minutes plus tôt, alors qu'elle était encore confuse, suivi de la réaction "désolée" de la jeune femme. Comme il s'en était douté, celle-ci sourit au souvenir transmis, puis s'adoucit en songeant à cette chronologie différenciée de l'évolution de leur relation, reprenant petit à petit confiance en elle-même et en la sorcière, qu'elle finirait peut-être par apprécier malgré ses premières mauvaises impressions, tout comme elle avait finit par s'attacher à lui après l'avoir détesté.

Lorsque le vampire fut sûr d'avoir su rassurer la jeune femme, il tapota gentiment son épaule et continua d'une voix doucereuse dans son esprit :

Eh bien... Dis toi que tout cela n'a rien à voir avec les tourments que va te faire subir ton nouvel enseignant, furie blonde. Je suis de nature à m'amuser des réactions humaines au point que j'accorde parfois de l'importance à leurs sentiments, qui me sont distrayants. Mais la mage que tu t'es choisie, sombre idiote, ne se régale que des malheurs des êtres qui croisent son chemin. Tu l'as provoquée en triomphant à une épreuve qu'elle n'avait pas prévu que tu réussisses, et elle te fera payer ton affront, sois-en certaine. Elle jouera de son rôle de maître pour t'assigner à des tâches aussi ingrates qu'humiliantes, et ce pour le simple plaisir de te voir ridiculisée. Elle prendra probablement tout son temps avec toi, jusqu'à ce qu'elle s'en lasse- et à mon avis, une vieille folle perdue au fin fond de marais déserts se lasse difficilement de ce genre d'amusements. Elle t'appellera "élève" pour s'assurer ta fidélité mais te soumettra à des corvées d'esclave sans aucunes des récompenses d'un apprenti. Tu as fourni tous ces précieux efforts pour t'enfoncer dans de plus grands ennuis que ceux que te causaient ta faiblesse humaine. Et au final, qu'y gagneras-tu ? Un pouvoir qui dépend de la seule volonté d'une femme qui te hait sincèrement et te méprise au plus haut point. Bon courage, nécrophile...

L'air choqué d'Arwen ravit le mage de sang, qui se considéra vengé de sa précédente humiliation. Fier d'avoir su si bien jouer des espoirs de sa disciple naïve qu'il connaissait décidément trop bien, il lui adressa un sourire comblé, et recula aux côtés de Ryu. Il espérait que la sorcière les laisserait tous deux assister à la suite des évènements : il était curieux de savoir ce qu'elle allait faire endurer à leur disciple commune- et ce qu'en gagnerait celle-ci, à supposer que la mage tienne parole.

La sorcière avait acceptée ! Ryu vit la joie se peindre sur le visage de la kendoka. La jeune femme avait traversée tant d’épreuves pour en arriver là. Mais dans la queue, le venin ! La sorcière vit ce qu’Arwen n’avait même pas prit la peine de remarquer. Pourtant, il s’agissait de son propre dragon mauve, de ses espoirs, de ses désirs, quoi de surprenant à ce qu’il la protège du soleil et des lumières vives ? Mais fidèle a ce qu’il était, même réduit a une simple écaille, l’animal échappait a ceux qui le convoitait. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Arwen accusa le coup. Mais la flèche du parthe que lui décocha par suite Alucard la mortifia dans l’âme, la laissant aussi blême que son maître en magie du sang.

Souriant au No Life King, le changelin attendit de voir ce qui allait se passer ensuite.

SILENCE ! Éructa la sorcière, agacée par les échanges mentaux répétés.

L’écaille allant d’elle-même se poser négligemment, mais bien en vue, sur une étagère, la sorcière posa son regard mort sur Arwen.

Grenouille ! Lâcha-t-elle soudain d’une voix rêche.

L’ongle noir d’un long doigt crochu vint presque frôler le nez de la jeune femme.

Tu es maintenant notre grenouille et tu répondras à ce nom !

Ce nom servait bien sur à humilier l’apprentie, signifiant qu’elle n’avait pas d’importance et que son identité serait celle qu’on lui concèderait. Mais il s’agissait également d’une menace, pour lui rappeler sans cesse ce qui l’attendait si elle osait défier sa maîtresse. Car la sorcière n’entendait pas leurs rapports autrement, et la grenouille, si elle en devenait vraiment une, finirait au fon d’un bouillon.

La sorcière rengaina son doigt et prit une voix sentencieuse, parlant lentement mais d’un ton sans réplique. Elle fixait toujours Arwen et ses yeux morts n’avaient pas clignés une seule fois. Ont pouvait se demander si elle voyait vraiment ou si elle devinait où étaient les choses, mais peut-être valait-il mieux éviter de faire une grimace pour s’en assurer. D’ailleurs, elle devinerait peut-être aussi la grimace.

Écoute ça, dit-elle. Mea culpa Lucrécia… Répète le, et ne l’oublis jamais.
Quand je t’ordonnerais de te repentir, tu répondras « Mea Culpa Lucrécia ».

Repens-toi ! Insista-t-elle pour s’assurer que son élève avait bien comprit.

Toute tentative de protestation ferait vomir des couleuvres à la pauvre kendoka. Le ton était donné, la sorcière allait lui mener la vie dure et ne montrerait aucune pitié. Ne se prenant même pas la peine d’un semblant de considération. Cela, Arwen allait devoir le gagner ! Mais se doutait-elle qu’elle était dès maintenant coincée ici et obligée de vivre avec la sorcière ? Contrairement au Mage de Sang, Lucrécia ne se contenterait pas de visites journalières. Arwen allait être son élève à plein temps, ou, disons-le clairement, son esclave, sa cendrillon, et la sorcière assumerait toute seule le rôle des belles-sœurs et de la marâtre.

Alucard s'agaça de ce que la sorcière lui ordonne le silence, mais ne prit pas le risque de la défier et se contenta d'observer la scène sans un mot. De toute façon, il avait déja craché assez de venin pour l'heure, et la suite des évènements suffirait en elle-même à prolonger son effet dans l'esprit angoissé de la kendoka.

Souriant à l'officialisation du nouveau surnom de son apprenti, il se détendit un peu, appuya un bras sur l'épaule du mercenaire -à qui il fallait bien trouver une utilité- et regarda sagement sa disciple se plier aux volontés méprisantes de la mage.

Arwen suivit le déplacement de l'écaille des yeux, ne s'en détournant qu'à la vue de l'ongle noir se rapprochant de son visage, qu'elle eut du mal à se retenir d'éloigner. Elle acquiesça silencieusement au nom que lui donna l'Esper, la machoire serrée et le regard abaissé tandis qu'elle contenait sa fureur quant au traitement qui lui était réservé... et à la réaction ravie du vampire qui lui souriait toujours aux côtés du mercenaire. Le plus frustrant était peut-être toutefois de réaliser que la sorcière n'était pas la première à lui attribuer un surnom, lui refusant la reconnaissance de son nom. Néo ne l'avait jamais appelée que par son nom de famille, et Alucard se plaisait à diversifier ses appellations selon les défauts qu'il lui trouvait. En y réfléchissant, aucun de ses maîtres ne lui portait de véritable considération. Arwen sentit ses dernières craintes fondre sous la colère -ou peut-être la fierté?-.

Elle répondit lentement, luttant intérieurement pour ne pas laisser éclater sa rage :

- Mea culpa Lucrécia...

Et tandis qu'elle contenait de son mieux la fureur qui grandissait en elle, elle se jura d'exploiter au mieux chacun des apprentissages qu'elle recevrai pour s'élever. Peu importe ce que lui couteraient ses formations -elle exécuterai soigneusement jusqu'aux missions les plus ingrates dont la chargerai ses maîtres. Mais si elle rampait actuellement plus bas que terre, c'était pour mieux se relever et se dresser au dessus des autres. Elle deviendrait quelqu'un, et n'aurait plus besoin de la protection de quiconque.

Pourtant, en attendant, il fallait contenter sa mégère d'Esper Magister, dont elle restait à l'écoute du moindre commandement, docile élève à l'ambition patiente....

Le changelin sourit au nouveau nom de la jeune femme, elle venait d’être adoptée^^
Être l’élève de la sorcière allait être une dure épreuve pour Arwen, dont le caractère était fougueux. Mais elle pouvait se venter maintenant d’avoir la plus vieille des légendes calyptiennes pour maître, même si en fait, peu de gens croyaient en son existence et beaucoup croiraient qu’elle invente.

Un sourire dénué de toute gentillesse s’étira doucement sur ses lèvres, avant de disparaître aussitôt pour laisser place à un visage dur. Sa voix éraillée claqua comme un coup de fouet.

Qu’attend-tu pour te rendre utile, Grenouille ! Ne reste pas bêtement planté là et frotte-moi ce plancher dégoûtant ! Dépêche-toi !

Le plancher en question était recouvert d’une crasse au moins aussi vieille que Calypta et, vermoulu a souhait, abritait des colonies de vermines de toutes sortes... dont certaines pouvaient mordre ! Une petite créature passa justement entre les pieds de la kendoka, courant jusqu'à un coin sombre de la pièce.

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Se souvenant soudain de ses autres invités, la sorcière se tourna vers eux et leur lançant un regard agacé.

Que faites vous encore là ? Pourceaux !

Les visites étaient terminées et l’escorte de la Grenouille était obligeamment invitée à partir. La sorcière n’était plus d’humeur.

Déterminée, Arwen réagit aussitôt à l'ordre de la sorcière et s'abaissa pour essuyer le sol crasseux.... cherchant du regard ce qu'elle pourrait bien utiliser pour frotter. Elle s'apprêta à réclamer un chiffon à la propriétaire des lieux mais referma la bouche avant qu'un seul mot ne franchisse ses lèvres. La mage profiterait surement de la moindre de ses demandes pour la réprimander plus encore, même si elle faisait appel à elle afin d'accomplir l'une de ses tâches. Surtout, s'il s'agissait d'accomplir une de ses tâches...

Ne trouvant rien de plus approprié, la jeune femme ôta son manteau et commença à s'acharner avec sur le plancher. Au bout d'un long moment, la petite partie astiquée sous ses frottements laborieux laissa deviner la couleur du bois, annonçant un léger début de propreté. C'est alors qu'apparut soudain un énorme message en lettres de sang :

Tu as oublié une tâche, là ....

Arwen foudroya rapidement le mage du regard, essuya les traces pourpres et se remit à sa corvée... lorsque d'autres lettres vinrent s'ajouter à la souillure du plancher tout autour d'elle :

Et là...

Et puis là aussi.... Et là encore...

Ici aussi !

Furieuse, la kendoka se releva et fit face au vampire, qui lui souriait d'un air narquois. Elle se contenta de le menacer du regard, trop énervée pour desserrer la mâchoire, mais une petite créature passa soudain entre ses pieds, et elle sursauta en laissant échapper une exclamation plaintive, perdant le peu de crédibilité que sa colère avait pu lui donner.

Alucard éclata de rire à la vue de l'expression apeurée de la furie blonde, qui était passé de la fureur extrême à la panique si rapidement que c'en avait été comique. Il s'amusait d'avance des prochaines surprises que le plancher réservait sûrement à la kendoka, quand la voix grinçante de la mégère tortura ses oreilles pour réclamer leur départ, au mercenaire et à lui-même. Le qualificatif qu'elle utilisa pour les interpeller lui fit perdre soudain son air moqueur au profit d'un air furibond.

Qu'une guenon pareille ose le surnommer ainsi était le comble de l'ironie ! Mais il était mieux placé que quiconque pour savoir que sur son territoire, un mage pouvait se permettre toutes les offenses imaginables, il était intouchable.... La vieille ne perdait rien pour attendre. Frustré, Alucard se retourna et passa au travers de la bicoque, laissant derrière lui sa jeune apprentie insister de son mieux contre la saleté accumulée au sol...

S’inclinant galamment, le changelin salua la sorcière et retrouva Alucard en sortant par la porte. Se rapprochant, il marcha derrière lui.

Il se peut que votre grenouille ne voie pas le matin !
Dit-il d’un ton joyeux comme s’il annonçait l’approche d’une fête prochaine.

Croyez-vous qu’elle reviendra encore ?

Marion était déjà morte une fois avant de devenir Arwen, sous quel nom se réincarnerait-elle cette fois si elle revenait ? Et garderait-elle sa mémoire ? La question intriguait Ryu. Avançant à hauteur d’Alucard, le changelin et lui marchèrent cote a cote, lorsque Ryu regarda le vampire et lui sourit.

Je n'ai pas remarqué qu'il faisait si froid ! Mais la fourure vous sied a ravir^^

Le vampire était-il trop imbu de sa personne ? Sous-estimait-il la sorcière à ce point ? Ou peut-être pensait-il qu’elle ignorerait l’insulte et le laisserait partir sans rien faire ? Arwen s’était montrée bien plus maligne, et plus prudente que lui en jugeant, elle, nécessaire de contrôler ses pensées ! Fronçant les yeux, la "guenon" fixa l’endroit où Alucard avait disparu et marmonna quelques mots inintelligibles...

Au moment même où Ryu vint se mettre a coté de lui, le nosfératus entendit le rire aigrelet de la sorcière résonner dans sa tête : Son visage était a présent couvert de fourrure, et quoi qu’il fasse pour l’enlever celle-ci repousserait sans arrêt jusqu'à ce qu’il revienne voir l’Esper du Mana, se repente à elle, et lui demande son pardon. Seulement, la sorcière pour l’instant ne voulait plus de visiteur. Alucard allait-il braver de nouveau la vieille folle et retourner la voir sans attendre alors qu’elle venait de les jeter dehors ?

Avec un sourire mauvais, la sorcière se détourna du vampire (au visage couvert de poils de singe) et observa sa Grenouille qui s’échinait à frotter le sol avec un manteau dégoûtant, couvert de crasse et de sang. Elle étalait plus de saleté qu’elle n’en nettoyait ! S’agaçant, la sorcière fit un geste brusque de la main, et un petit nuage se forma au dessus de la Grenouille, déversant d’un coup des trombes d'eau glacées sur son dos.

Utilise donc de l’eau ! Lança la vielle avec reproche.
Est-tu bête au point de ne pas savoir ça ?

Deux petits éclaires grondèrent menaçants au dessus d’Arwen. Le petit nuage la suivit jusqu'à ce qu’elle trouve quelque chose dans lequel récolter sa pluie, de la grêle tombant sur elle si elle mettait trop de temps à trouver ou à réagir, et aussi si elle se plaignait… Lorsqu’après de laborieux efforts la Grenouille eu presque fini la tâche demandée, la sorcière lui reprocha que c’était mal fait et fit claquer la semelle de son pied droit par terre. Une boue épaisse et puante remonta alors d’entres les lattes du plancher et le recouvrit complètement. Obligeant la jeune femme a tout refaire.

…

Un mois passa ainsi… Au cour duquel la sorcière ne cessa de faire faire les tâches les plus dures, les plus dangereuses et les plus ingrates qu’elle pouvait trouver à la jeune kendoka. La rabrouant sans cesse, et punissant même le travail bien fait avec la plus grande mauvaise foie. Mais au bout d’un mois à vivre toutes deux, jour après jour dans les marais, la sorcière commença à ressentir un peu d’estime pour le courage de son apprentie, qui endura sans se briser ni sans jamais se plaindre tous les mauvais traitements qui lui étaient donnés. C’est ainsi qu’un jour, alors qu’Arwen nettoyait les pierres du chemin de pierre (activité qui sembla fasciner de gros crocodiles qui la regardaient avec de grands yeux gourmands), la voix de la sorcière vint l’interrompre.

GRENOUILLE ! Repens-toi ! Appela la voix dans sa tête.

Dis-moi, Grenouille, combien de pierres as-tu nettoyée ?... Laisse les pierres, Grenouille, et rejoins-moi ! Tu sera torturé, ou récompensé a temps, et le temps seul te le dira en moins de dix !

Ce qui ne laissait que 10 minutes à Grenouille pour rejoindre sa maîtresse. Et si la sorcière était moins méchante depuis quelques temps, ses punitions étaient toujours cruelles.

Gniiii hihihi ! Surtout ne traîne pas en route !

Alucard se raidit à la question du changelin. Arwen avait fini par lui apparaitre avant tout comme sa disciple, et songer au rôle mystérieux et toujours incompréhensible qu'elle avait joué par le passé lui était désagréable. Il préférait connoter à la jeune femme son caractère irritable et naif plutôt que son ancien statut de gardienne immortelle. En réalité, il avait même du mal à ne pas dissocier la garçonne des catacombes à la furie du Nieb, la première ne lui inspirant que méfiance tandis que la seconde éveillait en lui un sentiment d'amusement. Il contourna la question du mercenaire :

- Je ne tiens pas confirmer l'hypothèse, en tout cas. Elle est revenue blonde la première fois. Imagine qu'elle nous revienne rousse la seconde fois...

Soudain, surpris du rire martelant son esprit et de la remarque du mercenaire, Alucard porta la main à son visage et écarquilla les yeux, plus surpris encore d'y découvrir l'espèce de fourrure nouvellement apparue. Il laissa échapper un rire qui pour une fois ne s'éternisa pas -un rire jaune- et répondit :

- Ah oui ? Je reste toutefois persuadé qu'une pilosité un peu plus modeste me mettrait plus en valeur, tu vois... Je m'en vais discuter avec ma collègue de ses goûts en matière de rasage, rentre seul mercenaire.

A ces mots, le vampire délaissa son ami pour repartir en sens inverse. Il n'approcha pas la bicoque, cependant, et se contenta de longer la limite qui séparait l'île des eaux du marais. Il ne pouvait pas déranger la mage et réclamer son attention si tôt après leur ...léger accrochage. Il s'allongea donc à terre, bras croisés sous la nuque, et ferma les yeux en écoutant attentivement la pauvre kendoka accuser diverses critiques et ordres humiliants. Malgré la situation, il parvint encore à se divertir de sa détresse et esquissa un sourire.

Il attendit ainsi pendant deux jours, puis, supposant la mage assez amusée par la dernière corvée qu'elle avait donné à leur apprentie pour ne pas s'irriter de son retour, il se releva enfin, dissimula son visage défiguré sous son chapeau abaissé et s'avança jusqu'au pas de la porte. Il ne jugea pas utile de frapper, l'Esper Magister ayant déja surement deviné son arrivée, et commença donc d'un ton langoureux :

- Lucrécia, ma charmante consœur en magie.... Je suis sûr que vous savez comme je m'en veux terriblement pour mes pensées quelque peu déplacées. Je me suis peut-être un peu trop exalté de votre apparence d'hôtesse au premier abord, au point de ne pouvoir que me décevoir de tout changement, et je me désole que ma vanité nous ait fâchés. Allez, je vous en prie, réconcilions-nous et veuillez lever votre malédiction, elle n'a plus lieu d'être. Je m'excuse de m'être emporté à des comparaisons malvenues....

Traçant du doigt de petits cercles sur la porte toujours fermée dans une attitude infantile, Alucard attendit la réaction de sa compère.

Un mois plus tard, Arwen arpentait toujours l'île aux roseaux des marais, obéissant avec acharnement aux ordres de la sorcière. Les premiers jours avaient été les plus pénibles, la kendoka se désespérant du mécontentement constant de la mage : il lui semblait qu'elle ne parvenait jamais à satisfaire cette dernière et craignait que sa servitude ne la mène nulle part. Petit à petit, elle avait fini par s'habituer au caractère instable de son hôtesse et ne paniquait plus à la moindre critique. Elle avait compris que la mage trouverait toujours à redire : le plus sage était donc d'accepter ses remarques en silence puis de poursuivre ses corvées de son mieux.

Elle s'était même résolue à s'attacher au tempérament difficile du mage de mana, sans trop comprendre pourquoi. Peut-être était-ce justement son caractère insupportable, que la jeune femme appréciait -malgré les conditions de travail exécrables qu'elle endurait à cause de cela. A vrai dire, elle éprouvait même une certaine estime pour sa tortionnaire : la détermination de celle-ci à la rabaisser sans arrêt était admirable. Alucard lui-même n'avait pas fait preuve de tant d'acharnement malveillant. D'autre part, Lucrécia était l'un de ses maîtres, et cette seule raison inspirait à la kendoka un lien que son caractère loyal ne pouvait ignorer.

Un jour, alors qu'elle nettoyait les pierres tout en observant d'un oeil méfiant les reptiles alentours, la voix de la sorcière résonna dans son esprit. Elle répondit aussitôt, comme à son habitude :

Mea culpa, Lucrécia.

Réfléchissant à la question de son maître, elle leva les yeux vers l'extrémité du chemin et rendit compte de son avancée :

Une douzaine.

Elle serra la mâchoire et attendit, tendue, la critique prochaine de la mage, qui ne manquerait pas de s'outrer que la tâche ne soit pas déjà terminée. Et pourtant, à sa grande surprise, celle-ci ne l'accabla d'aucun reproche, préférant l'inviter à la rejoindre. Elle ne prit pas le temps de s'hébéter de cette demande et délaissa sans plus attendre sa corvée pour bondir de pierre en pierre. Après les nombreux "bains" qu'elle avait malencontreusement pris dans les eaux du marais suite à de mauvaises réceptions sur les pierres glissantes, la jeune femme avait appris à traverser plus adroitement le chemin fourbe, et n'y tombait plus que rarement. Elle courut ensuite jusqu'à la bicoque, motivée par son inquiétude de la limite de temps imposée et la curiosité.

Un mois plus tôt, la sorcière avait été pleinement consciente de la présence du vampire sur son île, et avait été tentée de changer l’intrus qui squattait sans permission en gros cochon bien gras qui serait rapidement devenu une proie facile pour tous les prédateurs du marais. Mais la sorcière s’était ravisée, attendant patiemment que l’indésiré se manifeste de lui-même, prête à le recevoir et à lui faire regretter son intrusion prolongée. La chance d’Alucard fut le tempérament très lunatique de la sorcière qui, lorsque la chauve-souris babouin parla à travers son huis, se laissa convaincre par les paroles de regrets. Mais la vieille bique était dure en affaires, et bien qu’elle ne soit plus fâchée, elle n’allait pas briser son malèfice comme ça. Ordonnant au "Petit Cochon Sanguin" de se repentir, elle lui demanda ce qu’il était prêt a donner comme gage et accepta, jugeant le sacrifice suffisant…

Mais revenons dès lors au présent !

Lorsque la Grenouille arriva, la sorcière se tenait plantée devant les trois marches de sa porte d’entrée, le visage austère, ses yeux morts fixant d’un air sévère la jeune femme blonde qui se dépêchait d’arriver. Courir sur ce sol boueux, à travers les roseaux, était loin d’être une tâche aisée.

9 minutes 58 ! Décréta la voix ancienne.

Un sourire narquois étira alors doucement ses lèvres sans âge.

Gniiiii hihi hihihi ! Tout est consommé ! Grenouille, l’heure de ton séjour ici s’achève ! Mais ton entraînement ne fait que commencer ! Tu vas quitter cette île avec un nouveau don, maîtrise-le, et reviens voir la belle Lucrécia lorsque ce sera fait !

Montrant pour la première fois un sourire satisfait, la sorcière poursuivit sur le même ton lent.

Ton nouveau pouvoir est l’Inversion Élémentaire ! Vas, et ne me déçois pas !

A peine mettrait-elle un pied hors de l'île qu'Arwen sentirait le sort l'investir. La sorcière faisant naitre déjà dans son esprit le principe de base du sortilège.

Spoiler:

Arwen stoppa sa course à l'annonce du temps de sa performance et reposa les mains sur les hanches, essoufflée. Elle s'empressa toutefois de se redresser afin de regarder la sorcière dans les yeux tandis que celle-ci s'adressait à elle. Ce furent donc deux grands yeux bleus écarquillés qui restèrent figés sur la mage lorsqu'elle expliqua la raison de son appel. La kendoka eut du mal à se convaincre que son ouïe ne lui jouait pas des tours. En plein milieu d'une corvée, alors qu'elle n'avait encore rien accompli de particulier pour la journée -et la sorcière lui envoyait quotidiennement plus d'une tache où il lui fallait risquer sa vie-, elle était récompensée et gratifiée du don en magie du mana.

Réveillée par le sourire satisfait de Lucrécia, qu'elle voyait pour la première fois et fut pour elle comme une claque en plein visage, elle s'empressa de lui répondre :

- Merci, je ferai tout pour ne pas vous décevoir.

Elle s'inclina puis attendit que la mage se détourne d'elle pour partir. Elle quitta alors l'île et s'éloigna dans les marais, essayant de comprendre le flot d'émotions partagées qui la remuait de l'intérieur. Elle avançait lentement mais à pas sûrs vers le chemin qui la ramènerait vers Néo, Alucard et Ryu, vers ses entrainements au sabre et ses sorties nocturnes en taverne, vers ses éternelles tenues blanches et le confort de sa chambre à la cours : vers une vie qui lui paraissait lointaine. Naturellement, elle reconnaissait parmi ses diverses émotions la joie et le soulagement de retrouver ses proches, son foyer et ses habitudes -et ce avec un nouveau sort qui approfondissait encore davantage ses ambitions. Mais elle avait le coeur comme étreint à l'idée de laisser derrière elle l'île et sa propriétaire.

Elle y avait passé un mois entier en la compagnie de la mage, avait mis toute son âme à s'y familiariser, à apprendre les dangers de son terrain et de ses habitants, à la dompter selon la nécessité de ses corvées... L'île, aussi sauvage et dangereuse soit-elle, avait été son foyer, un foyer dont elle était fière d'avoir appris à maitriser suffisamment les caprices pour survivre. Arwen ferma les yeux et sourit. Au fond, ce qui rendait son départ difficile, c'était le fait que l'île était toujours son foyer. Elle se retourna, observa au loin le point minuscule qu'était devenue l'île et conclut :

- Revenir lorsque je maitrisai mon sort, c'est bien cela ? Dans ce cas, je vous dis à bientôt, Lucrécia.

Spoiler: