Une descendance humiliante (M)

Honteux et accablé d'être accompagné de l'hémophobe sainte nitouche et de la pleurnicheuse à la langue de serpent, Alucard traversa le quartier nocturne le visage abaissé et dissimulé sous son chapeau. Heureusement, il ne croisa personne qui ne sembla réaliser la compagnie douteuse qu'il devait endurer, et il arriva à l'Acromantula sans autres aléas qu'une humeur massacrante due aux câlineries hypocrites d'Arwen et à la bonté niaise de Freefall qui y répondait.

Il ouvrit la porte plus violemment qu'il ne l'avait voulu, et en brisa malencontreusement les gonds, la faisant s'échouer à terre dans un grand fracas. Derrière lui, les filles s'enlaçaient, augmentant d'un cran sa fureur. Il fit un effort pour ne pas se jeter sur la commerçante afin de lui soutirer les informations par la violence et articula d'un ton qui laissait entendre ses efforts laborieux pour rester calme :

- Est-il nécessaire que je vous explique la raison de ma venue ici, l'insecte ? Avant de répondre, je préfère vous prévenir : je ne suis pas d'humeur à jouer là, et je n'ai le temps ni pour vos réfutations hypocrites ni pour vos sarcasmes. Alors expliquez-moi tout immédiatement, et vite, si vous n'êtes pas aussi curieuse que moi de savoir comment se déplace une arachnide à une patte...

Le vampire surveilla attentivement l'expression et l'attitude d'Aenea, dont le moindre signe de moquerie serait pour lui prétexte à un carnage. Il devinait encore dans son dos les deux jeunes femmes agrippées nerveusement l'une à l'autre et ne se sentait plus la patience de rien. En fait, il était dans un tel état de rage qu'il espérait presque que la gérante le provoquerait, juste pour qu'il puisse enfin défouler sa colère encore contenue.

Trouvant sa boutique un peu triste, Aenea avait soudain eu envi de la rendre plus accueillante. C’est dans cette optique qu’elle avait remplacée les flammes des candélabres par des cristaux de lumière, et accrochée plusieurs guirlandes de lumières colorées qui apportèrent une touche de gaieté festive. Prise d’une folle envie de ménage, elle avait alors ôtée les toiles d’araignées qui recouvraient les murs, et enlevée les grands rideaux de soies pendantes qui, accueillant les visiteurs, encombraient le goulot d’entrée de la boutique. Elle n’avait cependant pas touchée aux toiles du plafond qui abritait les nids de ses chéries, et s’était ensuite attaquée a la poussière. C’est ainsi qu’Alucard la découvrit, en train de faire la poussière sur les articles tout en fredonnant un petit air joyeux : *♫ Celui-ci ♫*

Oh ! Vous avez cassé la porte ! Dit-elle embarrassée.

Puis écoutant a peine la tirade d’Alucard s’exclama.

Vous avez l’air très tendu, Oh ! Mais vous avez emmené vos deux filles ! Bienvenues ! Bienvenues mes chéries ! Comment allez-vous ? Arwen Blaksoul, je suis désolée que vous soyez toujours sans votre ombre ! Et je suppose que vous devez être Freefall ? J’ai beaucoup entendue parler de vous ! Ah, mais vous avez l’air toutes tremblantes ! Voulez-vous un peu de pudding ? Messir Alucard, vous en prendrez bien aussi ? Mon zombi vient de le faire, mais dites-moi ce qui vous amène !

Un zombi arriva alors, affublé d’un tablier bleu, il poussa un grognement gutural et avança d'une démarche saccadée tout en bavant sur l’énorme gâteau qui lui remplissait les bras.

Ah ! Le pudding ! Mais essayez-vous je vous en pris, et dites-moi tout !

Elle prit alors un air de confidente, poussant un petit rire de gorge avant d'ajouter, un ton plus bas.

Au fait, saviez-vous que plusieurs calyptiens avaient des comportements étrange en ce moment ? Cela semble toucher aléatoirement une personne sur deux. Je ne sais pas encore de quoi il s'agit, mais par précaution je me suis confectionnée un talismant, je ne voudrais pas que cela me touche aussi ! Je peux vous en faire également si vous voulez ?

Pendant ce temps là le zombi coupait des parts pour les invités de la gérante et, sans sembler s'en rendre compte, laissa tomber son œil sur l’une d’elles qu’il tendit à Arwen.

D'abord paniquée par ses retrouvailles avec l'une de ses pires ennemies, Arwen se détendit peu à peu, rassurée par l'accueil inattendu mais pas moins agréable de celle-ci. Mais pourquoi Alucard les avait-il amenées ici ? Lorsque l'araignée leur confia qu'une mystérieuse malédiction avait frappé la moitié des habitants de l'empire, elle réalisa soudain la situation. Évidemment, cela expliquait donc les caractères étrangement supportables de la commerçante et de Freefall !

Elle adressa un sourire réconfortant à sa cadette et lui lacha enfin le bras tandis qu'elle vociférait dans l'esprit d'Alucard :

- Maître, pourquoi vouloir inverser le sortilège ? L'effet est plus celui d'une bénédiction que d'une malédiction, voyez comme elle est devenue civilisée ! Sortons d'ici, s'il vous plait, je ne me sens pas à l'aise et le jour se lève dans quelque temps.

Le zombie domestique d'Aenea lui tendit alors une part de gâteau engluée de bave et décoré d'un œil. Elle lui sourit de toutes ses dents et s'excusa avec chaleur envers la commerçante :

- Oh, comme c'est adorable ! Il a vraiment l'air délicieux, merci de m'en proposer. Malheureusement j'ai déja bien mangé avant de venir. Une autre fois peut-être ? Je ne manquerai pas de repasser vous voir, Madame. Par ailleurs je tiens à vous dire que j'aime beaucoup la nouvelle décoration de votre boutique, l'endroit est charmant !

Elle embrassa du regard la pièce, regardant d'un air émerveillé l'ameublement et ses nouveaux accessoires. Non, décidément, elle n'aimerait jamais cet endroit. Elle espérait qu'Alucard leur permettrait bientôt de le quitter, et définitivement cette fois.

A sa grande joie, le vampire décida effectivement de prendre congé de la gérante. Elle prit un air déçu et se plaignit :

- Comment, déja ?! Bon, puisque vous insistez....

Elle fit un premier pas en direction de la sortie, puis s'arrêta soudain. Elle ne voulait pas traverser à nouveau le Sahoc pour rentrer au manoir, elle ne s'y sentait pas en sécurité malgré la présence d'Alucard. Mais elle ne voulait pas non plus retrouver Néo, qui à coup sûr exigerait d'elle une séance d'entrainement qu'elle préférait éviter. Elle supplia mentalement son maitre en magie :

- Pourriez-vous m'accompagner jusqu'au temple du culte de Gaia, Maître ? S'il vous plait !

Le temple était l'un des endroits les plus sûrs de Calypta, et elle était certaine de pouvoir compter sur la protection de Dame Archess.

Rassurée par l'état de luminance des lieux, Freefall repassa en mode "mature", changeant de nouveau de personnalité, et s'improvisa protectrice de sa grande sœurs humaine, essayant de se montrer pour elle comme une présence rassurante. Bien qu'en réalité, la jeune morte se sente incapable de faire le moindre mal à une araignée, ni a quoi que ce soit d'autre. La violence lui faisait peur et la révulsait, mais elle pouvait être un soutien morale. Elle lui devait bien ça, Arwen s'était montrée si gentille de lui prêter son manteau ! Freefall avait de la chance d'avoir une aînée comme elle... Mais pourquoi n'avait-elle aucune tenue décente ?

Lorsque la gérante arriva, Freefall entendit le cœur d'Arwen s'emballer. La vampire pressa doucement le bras de sa protégée pour la rassurer, prête a la mettre à l'abris, au moindre signe de menace, en se cachant avec elle derrière leur maître. Mais l'accueille de la tenancière, loin d'être menaçant, fut même très chaleureux ! Et l'odeur de peur que dégageait Arwen devint moins forte.

Freefall sourit a Arwen qui semblait tout à fait remise, et écouta l'arakk parler.

Merci Madame ! Sourit-elle niaisement.
J'espère que vous n'avez pas entendu trop de mal !

Freefall ne se souvenait pas avoir fait beaucoup de rencontre où elle n'avait fait du tord a quelqu'un... Oh grand dieux ! Elle avait causé tant de souffrances ! Le cœur au bord des lèvres, elle préféra chasser ces souvenirs de son esprit. La patronne leur proposa alors un peu de pudding, la jeune morte fut prise d'un doute : Ce n'était pas celui de sa chanson n'est-ce pas ? Son Maître et elle-même ne pouvaient peut-être pas mourir, mais l'arsenic risquait de lui fiche de sacrés maux de ventre ! Et Arwen n'était pas non-morte elle !

Aenea leur fit alors part de ses derniers potins. Freefall écouta avec attention puis observa le valet de l'araignée avec dégoût. Poison ou pas, elle ne toucherait pas a ce gâteau ! Le zombi venait de baver quelque chose de dégoûtant dessus, et un de ses yeux tomba même sur la part d'Arwen ! Échangeant un regard dégoûté avec sa sœur, elle fut rassurée de la voir refuser le gâteau et fit de même.

Pardon, mais je ne digère pas bien le sucre.

Puis voyant son maître prêt a partir, elle lui lança mentalement.

*Maître ? Pourquoi ne pas prendre un de ces talismans ? Cette maladie est peut-être contagieuse, et ils pourraient nous protéger si nous rencontrons quelqu'un d'infecté !*

Pendant un instant, Alucard crut à une duperie de l'arachnide, mais en y réfléchissant, la boutique avait été redécorée selon des gouts de Niebien mièvre bien avant qu'ils n'arrivent, et il ne lui prêtait pas assez d'intelligence pour avoir pu prévoir d'instinct leur venue. Mais Aenea n'avait pas besoin de sa personnalité habituelle pour être aux faits des dernières rumeurs, et heureusement, elle put lui préciser quelques informations au sujet de la malédiction qui touchait ses disciples.

Pensif, il observa tour à tour celles-ci. Si la moitié des habitants avait été touchée, alors la personne à l'origine de cette attaque était encore bien plus puissante qu'il ne l'avait supposé ! Enfin, peut-être pas tant que cela, puisqu'elle n'avait apparemment pas su maitriser son sort : les victimes semblaient avoir été frappées au hasard et sans raison, cela ressemblait plus à une erreur qu'à une frappe vengeresse.

La voix d'Arwen s'éleva alors dans son esprit, l'agaçant davantage alors qu'elle ne réalisait toujours pas son inversement de personnalité. Il ne prit même pas la peine de lui répondre et s'enfonça sans ses réflexions. Mais quelques secondes plus tard, déja, la voix mielleuse de la kendoka chantonnait des compliments hypocrites à l'arakk, achevant le peu de calme qu'était parvenu à garder son maître. Furieux, il s'empara du premier objet qui lui passa sous la main et s'apprêta à lancer la marchandise d'Aenea sur son élève lorsqu'une atroce douleur lui fit lacher le produit dans un juron. Il abaissa le regard et découvrit à terre une petite grenouille colorée qui le fit jurer de plus belle. Son poignet, à l'endroit découvert entre son gant et la manche de son manteau, arborait une énorme brulure rouge vif, mais à peine l'eut-il aperçue qu'elle disparut.

Et comme si la stupidité de l'humaine ne suffisait pas, la vampire crut bon d'intervenir à son tour pour faire montre d'autant de naïveté et l'incita à se protéger de talisman. Là encore, le mépris le laissa silencieux et il ne répondit pas. Au lieu de cela, il annonça leur départ :

- Les filles, on y va.

Ayant décidé de l'énerver jusqu'au bout, la kendoka geignit alors dans son esprit pour qu'il l'accompagne jusqu'à l'albinos mangeuse d'herbes. Par réflexe, il voulut refuser, quand il réalisa l'opportunité de peut-être lever la malédiction. Après tout, l'ingénue nourrie aux plantes était une prêtresse native de Calypta, elle savait sûrement lever ce genre de maléfice... Tout du moins l'espérait-il. Par ailleurs, il fallait encore supposer qu'elle n'était pas elle-même touchée par la malédiction. Quoi que... Un long sourire sadique illumina le visage d'Alucard. Une prêtresse maléfique, voila qui serait intéressant à combattre !

Il reporta son regard sur Aenea, et demanda en prévision de la visite matinale au temple :

- Existent-ils des produits qui pourraient nous protéger tous trois du soleil pour quelques heures ?

Arwen n'avait pas eu tort en lui rappelant l'approche de l'aurore, et s'il voulait rejoindre la mangeuse d'herbes, encore fallait-il qu'il puisse s'exposer, avec ses disciples, en plein soleil...

Imperturbable, le zombi continua de servir son pudding, donnant une part à tout le monde, même a ceux qui n’en voulaient pas. Mais le refus poli des filles déçu Aenea qui le montra franchement.

Vous êtes si maigres, vous êtes sûres que vous n’en voulez vraiment pas ?
Il faut grossir pour être appétissante ! Dit-elle en pinçant la joue d’Arwen.

Puis son regard se posa sur Freefall.

Bien sur, les vampires ne grossissent pas… Dit-elle désolée.

Les yeux de l’araignée s’attardèrent dans ceux de la draculette.

Il n’y a pas que du vampire... S’étonna-t-elle.

Les compliments d’Arwen détournèrent l’arakk de sa contemplation. Ravie de découvrir une interlocutrice de goût, Aenea s’apprêta à épiloguer sur la "décoration d’intérieur" lorsqu’Alucard lança un « Les filles, on y va » qui annonçait le départ de la petite famille. Mais le "père" des deux filles se ravisa soudain et, après un court instant de réflexion, demanda à la gérante des lieux s’il existait « Des produits qui pourait les proteger tous trois du soleil pendant quelques heures ».

Bien sur ! Je peux vous confectionner un charme si... Ah non ! Mais sa fabrication requière un sacrifice… Oh attendez ! Dit-elle en disparaissant dans l’arrière boutique.

Attendant près du gâteau, le zombi était en mode veille. Debout sur place sans bouger, comme en état d'absence, ne poussant que quelques grognements de temps en temps. Quelque chose de visqueux coulait lentement d’une plaie de sa lèvre a moitié rongée.

Voici un anneau diurne ! Annonça joyeusement l’arachnide.

Revenant de l’arrière boutique, elle brandissait un petit anneau noir.

La plupart des darkstalkers craignent le soleil. Cet anneau permet de se déplacer en plein jour mais dépense en retour le pouvoir de son porteur. Vous vous sentirez faible au bout de quelques heures et aurez besoin de vous nourrir. Je peux tisser un sort pour que vos filles partagent cette protection avec vous, mais ce lien ne durera qu’une journée, ou jusqu'à ce que vous ôtiez l’anneau. Et l’anneau drainera leurs pouvoirs comme le vôtre. Arwen n’étant pas vampire, elle ne retrouvera ses forces qu’avec du repos et a condition que vous ôtiez l’anneau, mais si vous êtes trois a nourrir l’anneau vos pouvoirs faibliront plus lentement.

En nourrissant l'anneau a trois, Aenea estimait 6 heures d'autonomie avant que l'affaiblissement ne devienne critique.

Souriant avec malice, le mage se tourna vers ses deux imbéciles de disciples et demanda :

- Prêtes à faire une virée au soleil ?

Naturellement, la question n'était que réthorique, Alucard se moquait éperdument de ce que pouvaient en penser les jeunes femmes, et il quitta avec elles l'Acromentula quelques minutes plus tard, après que l'Arakk leur ait tissé le sort de partage de protection et fourni l'anneau. Il avait réglé la commerçante, mais en s'éloignant, il lui laissa tout de même un petit mot sur le mur extérieur de la boutique afin qu'elle n'oublie pas cette rencontre pendant laquelle elle s'était joliment ridiculisée :

Chère Aenea,

Je vous remercie pour votre accueil chaleureux et bienveillant, voila bien une visite que je n'oublierai pas. Arwen a raison : votre nouvelle décoration est tout à fait charmante, je suis sûr qu'elle fera affluer la clientèle d'ici peu. Votre obligeance et votre amabilité m'ont en tout cas convaincu et je ne manquerai pas de repasser vous voir quand la malédiction aura été levée pour vous en féliciter à nouveau de vive voix. Enfin, permettez-moi de vous complimenter sur la qualité de votre talisman personnel qui, définitivement, fait honneur à vos talents de magicienne.

Au plaisir de bientôt vous revoir,

Alucard

Amusé par avance de l'humiliation que ressentirait l'arachnide lorsqu'elle recouvrirait les esprits et découvrirait son message, le No Life King avançait en direction des temples calyptiens sous une aurore naissante.