Un repos avant un long périple.

- ... stement par la bravoure et la persistance que j'y parviendrai ! Cela ne donne-t-il pas d'ailleurs tout son charme à ma quête ? Haha, je ne me découragerai pas, j'ai toute confiance en mon destin ! Il faut dire, aussi, votre arrivée sur ces terres lointaines et notre rencontre presque immédiate m'a bien conforté dans ma décision de chercher fiancée sur cet empire.

Je me tournai en arrière pour adresser un sourire éclatant à mon ami, et remarquai alors que celui-ci observait avec attention la direction devant nous. Curieux, je me repositionnai correctement sur ma monture et découvris un grand fort, qui annonçait notre arrivée à l'hôpital. Je m'étonnai :

- Oh, nous voilà donc à destination ?! Ma foi, je n'ai pas même vu le temps passer !

J'étais satisfait de cette petite balade : elle nous avait permis d'agréables conversations et la compagnie de mes deux amis m'avait paru distrayante. Je descendis de cheval après mon camarade et rencontrai une jolie demoiselle à la chevelure de feu. Déja, je m'inclinai poliment et lui souris, commençant à me présenter lorsque celle-ci se mit à parler un langage qui m'était parfaitement étranger. Déconcerté, je la regardai sans un mot, tentant désespérément de reconnaitre quelques proximités dans son vocabulaire avec celui de ma langue. Le langage qu'elle parlait devait être inspiré du mien, je crois, car ma perspicacité me permit en effet d'y trouver des ressemblances. Je compris ainsi les mots "mort" et "bonne". Cela me parut bon signe, j'acquiesçai donc de la tête. Elle s'éloigna et je la suivis avec mes chers compères. Mon ami se mit alors à s'interroger sur son état, doutant soudain de sa santé. Je rigolai gentiment de sa crédulité :

- Haha, mon ami, vous vous souciez excessivement de votre blessure ! Je compatis vraiment à votre douleur et ne cherche pas à la minorer, mais je pense sincèrement qu'elle n'est pas assez sévère pour mettre vos jours en danger. Allons, faites donc confiance à notre brave paysanne : son verbiage est certes pauvre, mais je suis sûr que son expérience de guérisseuse n'en pâtit pas !

Je posai sur son épaule une main réconfortante et lui souris avec douceur. Son teint joliment nacré et les ombres subtiles sous ses yeux d'or m'apparurent alors dans toute leur beauté. Stupéfait par ces ravissants détails que je n'avais jamais remarqué sur mon fidèle ami, je m'exclamai avec ardeur :

- Mon ami, quel aveugle j'ai été ! Vous aviez raison, la Mort a paré vos traits... Cela vous va à ravir, je me sens honteux de ne pas avoir remarqué plus tôt pareils avantages !

La guérisseuse sembla s'attrister de ne pas avoir pu faire son travail à temps et lui adressa un discours dont je parvins à comprendre quelques mots. Je me proposai comme interprète :

- Il me semble qu'elle s'excuse de ne pas être bien maligne et se désole de ne pas avoir été capable de vous porter secours. Elle se demande ce qui vous est arrivé pour que vous brilliez d'un pareil éclat -ah, elle n'a pas dû remarquer votre plaie, c'est un peu décevant je vous l'accorde. Mais elle va voir ce qu'elle peut faire et tenter de trouver quelqu'un qui pourra vous aider à vous faire accepter son pardon. Après tout elle n'est qu'une gueuse de Calypta qui fait ce qu'elle peut pour nous servir -oh, quel vocabulaire, c'est un peu fort je trouve...

Compatissant aux complexes de la demoiselle, je la couvris d'un regard emprunt de douceur et la laissai me soigner silencieusement. La paysanne quitta ensuite la pièce, après quelques mots que je ne compris pas, cette fois.

Arwen fut soulagée de voir poindre au loin l'hôpital Niebien. Elle ne s'y était jamais rendu et avait perdu tellement de temps à se perdre sur le territoire du Bien qu'elle avait craint de ne pas le trouver. Paradoxalement, le Sahoc lui était bien plus familier. Lorsqu'ils arrivèrent, voyant l'infirmière approcher, elle se chargea d'attacher leurs chevaux devant le bâtiment tandis que les deux hommes suivaient la jeune femme. Le faible d'Arwen pour les défis aux combats avait envoyé à Dame Snake un nombre admirable de patients, elle n'était pas sûre de l'accueil que lui réserverait celle-ci. Elle finit toutefois vite par les rejoindre, se justifiant aussitôt qu'elle eut passé la porte :

- Je n'y suis pour rien, quant à ce qui les concerne !

Mais Dame Liliel ne semblait pas lui tenir rancœur, car elle leur ordonna de se ranger sans même l'accuser. La kendoka s'étonna de ce tri : ne voyait-elle donc pas qu'ils étaient tous vivants ? Mais l'infirmière affirma le trépas de leur compagnon en noir, à son grand étonnement. Elle le dévisagea avec le prince idiot, et dût comme lui constater la justesse du diagnostic. Le jeune homme était bel et bien mort. Comme Floriant, la kendoka regretta sa négligence : elle qui passait la plupart de son temps libre auprès des morts n'avait pas été capable de deviner l'état du mort-vivant. Enfin, pour sa défense, le cas de l'amnésique semblait tout de même assez particulier : il n'appartenait ni à la race des zombies, ni à celle des vampires ! Elle essaya de trouver les mots pour rattraper les compliments déplacés du prince, mais l'infirmière s'excusa et ce dernier enchaina avec une traduction grossière et déformée de ses propos. Horriblement embarrassée, Arwen tenta de justifier la nouvelle bourde du souverain :

- Ne prêtez pas attention à ce qu'il dit, Dame Snake, il vient juste d'arriver et je crois qu'il est tombé sur la tête à son entrée dans l'empire : il parle constamment en inepties.

Heureusement, Liliel soigna tout de même le jeune homme et partit chercher de quoi refermer la plaie du pauvre mort. Elle profita de ce que le prince semblait enfin calme pour s'approcher du blessé :

- Je suis vraiment désolée pour vous. J'espère que vous parviendrez à vous venger de celui ou ceux qui vous ont fait cela.

La kendoka partait naturellement du principe que le garçon avait été assassiné. Son jeune âge et son arrivée sur Calypta -le dernière chance des désespérés- lui inspiraient l'évidence d'un meurtre.

- Toutefois, sur Calypta, la mort n'a peut-être pas le même sens que dans le pays d'où vous venez, vous savez. Un grand nombre des habitants de l'empire sont morts, et parviennent à trouver un sens à leur existence malgré cela. Les plaisirs de la vie ne vous sont pas refusés pour autant : comme vous l'avez dis, vous souffrez, vous bougez... Votre état est tellement similaire à celui des vivants que vous-même ne l'avez pas réalisé, pas plus que nous. Et puis, cela pourrait encore être pire, regardez.

Elle sourit timidement au jeune homme et fit un signe de tête vers le prince benêt, qui affichait son habituelle expression niaise.

- Vous pourriez avoir perdu toute forme d'intelligence.

Elle pressa doucement le bras de son camarade aux cheveux sombres en un geste de consolation et se tût. Elle le connaissait depuis trop peu de temps pour savoir quels mots employés pour le soutenir. Cependant, s'il avait besoin de parler, elle était à ses côtés en attendant l'infirmière.

Rassurée par le sourire discret du jeune homme, Arwen détacha son regard de son visage blafard pour observer d'un air de pitié le prince niais, dont la bêtise était telle qu'elle en constituait un argument consolateur pour un mort. Heureux sont les ignorants, disait-on. A le regarder, on ne pouvait que partager cette pensée... La kendoka tapota gentiment la tête de l'idiot, qui lui lança un regard étonné. Le sombre défunt éleva de nouveau la voix pour la remercier, lui attribuant un surnom qui la toucha plus qu'elle ne l'aurait pensé. Elle acquiesça en souriant avec chaleur :

- Vous me remerciez trop pour le peu que j'ai fait. Votre agréable compagnie vous acquitte bien assez de mon aide. Ce n'est pas le cas de tous ceux à qui je porte secours...

Son regard dériva de nouveau avec insistance sur le petit blond. Puis elle revint au jeune homme sans passé, qui lui demanda des renseignements sur le dragon d'or. Elle répondit, l'air songeur :

- Je crois que vous vous entendrez bien avec Mythril. Il est de nature douce et généreuse, quoiqu'un peu taquin. Il vous aidera avec plaisir, tant que vous ne vous méprendrez pas sur son apparence...

Elle voulut dire "féminine", mais se retint à temps. Depuis qu'ils avaient bu avec Alucard dans ses appartements, la kendoka désirait améliorer ses rapports avec Mythril, qui avaient débutés sur une mauvaise première impression. Préférant donc éviter de s'habituer à employer un vocabulaire trop connoté qu'elle risquerait de laisser échapper en présence du dragon, elle poursuivit :

-... subtile. Il est natif de l'empire depuis de très longues années, et fréquente aussi régulièrement la bibliothèque que la cour, ce qui l'avantage d'un savoir relativement étendu. Je pense que vous ne trouverez pas meilleur guide sur Calypta. Sa bibliothèque se trouve sur le même domaine que l'hôpital, nous y serons donc rapidement et pourrons nous y diriger aussitôt que vous serez soigné.

La rencontre du jeune homme avec le dragon d'or signifierait-elle leur séparation ? C'était dommage, Arwen avait peu d'amis sur Calypta, en raison de son caractère difficile, et le défunt était l'une des rares personnes qu'elle ait appréciée aussi vite. Elle se demanda ensuite, dans un élan de compassion pour lui, si le prince désirerait le suivre à la bibliothèque. Elle interrogea alors le défunt à son sujet, comme s'il s'agissait d'un enfant dont elle ne savait à qui confier la garde :

- Escomptez-vous vous occuper de votre souverain, ou bien le laisserons-nous seul passées les portes de l'hôpital ? Pensez-vous qu'il sera à même de se débrouiller de façon indépendante ?

Il y avait peu de chance que le prince soit d'une quelconque utilité au pauvre défunt, elle ne voyait pas vraiment ce qui pourrait motiver ce dernier à trainer ainsi un tel fardeau alors que lui-même était confronté à de nombreux problèmes personnels... Il n'était pas impossible que le petit blond énonce quelques souvenirs au sujet du mort, mais enfin, les détails de son passé valaient-ils réellement de s'embarrasser de lui ? La kendoka le rassura sur ce point :

- Si vous souhaitez plus que tout retrouver la mémoire, vous pourrez partir en quête d'une magie suffisamment puissante pour vous rappeler le passé... Ici, les possibilités sont très larges, bien qu'elles aient un prix lourd.

Je sentis sur moi les regards de mes deux bons amis, et souris joyeusement, reconnaissant de l'attention qu'ils me portaient tous deux, inquiets de ma blessure pourtant sans trop de gravité. La jeune femme me tapota alors doucement la tête, et je m'étonnai de ce contact familier. Je ne fis toutefois aucune remarque, indulgent. La pauvre avait dû nourrir de grands soucis à mon égard, pour se sentir un tel besoin de proximité avec moi.

La campagnarde revint vite, et s'occupa de panser ma blessure. J'avais été bien naïf de vanter ses dons : la pauvre femme y mettait tout son coeur, je le voyais bien, mais son manque d'habilité rendait ses soins douloureux. Je tentai de le lui expliquer sans trop vexer sa fierté :

- Ha, je vous suis vraiment gré de vos efforts, mademoiselle, mais pourriez-vous agir plus délicatement, je vous prie ?

Malheureusement, il sembla que la dame ne comprit rien à mes propos car elle me fit autant de mal, et peut-être même plus. Je répétai alors ma demande en articulant lentement chaque mot et en faisant des signes de la main. Mais rien n'y fit. Enfin, j'étais tout de même soigné, je la remerciai donc d'un sourire radieux, puisque mes mots lui étaient étrangers.

Mon fidèle compagnon proposa alors que nous restions nous reposer, ce que j'approuvai sagement :

- Il est vrai que le combat et le voyage furent éprouvants, dormons donc quelques instants.

Je partis m'allonger sur l'un des lits de la pièce et fermai les yeux.

Faisant fit du prince déjà presque endormi, Arwen s'exclama d'un sourire enjoué :

- Nous reposer ? Allons, la bibliothèque est juste à côté, n'êtes-vous pas impatient ? Moi je le suis, et un repos m'ennuierait.

Tandis que la lévitation sanguine frappait soudain l'imbécile blond pour l'obliger à les suivre par la voie des airs, elle avança aux côtés du défunt et quitta l'hôpital. Remontée sur sa monture immaculée, elle prit cette fois la peine de vérifier le chemin auprès de passants, qui chaque fois lui indiquèrent la direction inverse de celle qu'elle pensait prendre. Ces précautions lui permirent de trouver la bibliothèque Niebienne sans aucun détour.