A never ending night... [PV Arwen]

L'affaire s'annonçait relativement simple. La parchemin se trouvait dans l'une des calèches, il lui avait suffi d'attendre la nuit-ou plutôt l'heure du coucher, puisque le jour ne se levait jamais sur ces terres- pour surprendre en silence les gardes en nombre diminué et ne lui restait plus désormais qu'à fouiller les trois véhicules qui l'attendaient bien sagement. Mary ne serait pas déçue de l'avoir désignée pour remplir cette mission. Arwen se faufila dans la première calèche et commença à chercher à tâtons, passant méticuleusement les mains sur toute la surface. Rien. Il en fut de même pour la seconde calèche. La kendoka sourit. Il fallait toujours que la chance joue contre elle : évidemment, que le parchemin se trouvait dans la troisième calèche ! Aurait-elle fouillé cette dernière avant les autres, le parchemin se serait naturellement trouvé dans la première !

Un bruit la tira de ses pensées. Elle sortit précipitamment de la calèche, la tête tournée vers le cheval qui s'enfuyait au loin avec le parchemin !!! Furieuse que sa patience et sa discrétion aient été renversées en un instant alors qu'elle approchait si près de son but, elle hésita à punir l'importun qui osait lui faire obstacle. Mais sa priorité était de remplir sa mission, elle n'avait pas le temps de corriger son trouble-fête. Elle esquissa un mouvement vers l'attelage de la seconde calèche, s'apprêtant à en défaire le cheval pour se mettre à la poursuite du troisième, mais s'arrêta soudain. L'air grave, elle se retourna lentement. Avait-elle bien discerné le visage de la silhouette sombre qui se tenait derrière elle ?

Elle retint une exclamation de surprise, s'efforçant de prendre une expression impassible. Impossible, que faisait-il ici ?!! Elle s'était depuis longtemps fait une raison : elle ne le reverrait plus. De vieux sentiments firent ressurgir les émotions qu'elle croyait avoir surmontées avec le temps. La peine, la rancœur, la déception et la colère changèrent ses priorités. Tant pis, elle poursuivrait la calèche plus tard, et qu'importe que les chances de la retrouver avec son parchemin s'amenuisent avec le temps qu'elle préférait consacré à un ancien proche. Mary serait furieuse.

Le jeune homme, lui, ne montra aucun signe de reconnaissance, ignorant froidement leur familiarité passée. Lui qui lui devait tant d'explications osait agir en inconnu avec elle ! Blessée, elle entreprit d'afficher la même indifférence et lui adressa un regard glacial. Sa voix s'éleva dans un calme murmure, d'où perçait toutefois une légère pointe de colère :

- J'avais pris un soin infini à dissimuler ma présence, et voila les fruits de ma patience envolés... Et cela pour l'insolence d'un gêneur imprudent ?

Elle soupira, libérant des volutes de fumées blanches dans l'air froid de la nuit.

- J'aurais toléré que tu retardes mon "emprunt" à la pointe d'une épée, mais un tour aussi déloyal m'est inacceptable.

Elle n'avait jamais tutoyé son maître, à qui elle s'était toujours appliquée à témoigner le plus profond respect, malgré quelques crises de colère regrettées. Au contraire, elle avait l'habitude de s'adresser de façon familière à ses ennemis.

- En garde, l'importun.

Le bruit du départ de la calèche avait retenti suffisamment fort pour qu'elle ait à craindre l'arrivée de renforts, elle n'avait pas le temps de combattre pareil adversaire. Sans même considérer la supériorité technique du jeune homme, l'avantage numérique des gardes qui pouvaient surgir bientôt était un risque trop grand. Consciente du danger, Arwen décida de le prendre sans même la sagesse d'une courte hésitation. La main sur Gekido, elle attendit en position défensive que le "gêneur" ne l'attaque. Le sabre blanc, prisonnier d'une promesse qu'elle avait faite à la prêtresse de Gaia, ne pouvait combattre sans avoir été d'abord attaqué. Le sabre noir que la kendoka portait également sur elle lui aurait permis une approche offensive, certes, mais la lame n'était pas bénie comme l'était celle de Gekido. Et bien qu'en apparence Arwen feignit de ne pas connaitre le jeune homme, elle gardait à l'esprit les rares faiblesses qu'elle lui savait.

Surprise par le choix d'armes de son adversaire, Arwen n'évita les couteaux à temps que grâce aux réflexes instinctifs de l'hématomancie. La lévitation sanguine l'écarta brusquement sur le côté, elle retrouva maladroitement l'équilibre, mais cette fois pour prendre une position offensive.

Encore ahurie par la réaction du jeune homme, un éclair de fureur passa sur le visage de la kendoka. L'attaque aux couteaux lui apparaissait comme une insulte inqualifiable. Il avait été son maître d'arme, il était celui qui lui avait permis les compétences de duelliste qu'elle maitrisait aujourd'hui. En tant qu'ancien professeur, et surtout en tant qu'ancien proche, elle s'était attendu à ce qu'il l'honore au moins d'un combat à l'épée, l'arme qui les avait liés par le passé et à laquelle elle ambitionnait de le surpasser !!! L'affronter sur un autre terrain n'avait aucun sens ni intérêt.

La kendoka voulut fondre sur l'ennemi lame tendue vers sa gorge, mais abaissa Gekido à la vue de sa position nonchalante. Il n'avait toujours pas dégainé son épée. Elle lâcha un soupir d'agacement, les yeux chargés de reproches. D'un mouvement bref, elle saisit une lame courte d'une poche intérieure de son manteau qu'elle jeta aux pieds du jeune homme.

- Je suis pirate, je combats constamment des adversaires dont l'avantage des armes repose sur l'effet de surprise. L'objet de ma mission s'éloigne tandis que je reste à te faire face. Crois-tu que je l'aie délaissé pour un affrontement que j'aurais pu satisfaire au sein même de l'équipage auquel j'appartiens ? Je te le demande une dernière fois : affronte-moi à la loyale comme un homme !

La voix sereine de son maître d'arme ressurgit d'un vieux souvenir dans son esprit tandis qu'elle défiait ce dernier du même regard provocateur qu'à ses premiers entrainements :

"Quand bien même on arriverait à devoir se faire face en pleine bataille, je ne suis pas déloyal, Arwen."

Consciente de l'importance qu'il attachait aux principes de loyauté, elle attendit obstinément qu'il ne dégaine enfin, refusant un autre affrontement qu'un duel à l'épée.

La question du jeune homme décontenança Arwen, et le regard qui accentua ses dernières paroles la mit soudain mal à l'aise. A moins que ce ne furent les mots qu'il avait employés ? "Assassin". Incapable de relier ce qualificatif à son Maître, elle l'interpréta naturellement comme un reproche qui lui était adressé. Était-ce donc cela qui lui avait valu un silence aussi froid pendant tout ce temps ? Pensait-il que son enrôlement dans la piraterie avait signifié le reniement de ses principes et valeurs ? Calmée par la légitimité de ces considérations, elle répondit d'une voix douce qui contrastait étonnamment avec son ton précédemment furieux :

- Je ne nie pas les méfaits que j'ai commis pour mon capitaine, cependant je n'en ai pas pour autant perdu toute morale. J'ai eu un bon maître d'arme, ma maîtrise au sabre me suffit à vaincre mes ennemis sans avoir à leur ôter la vie. Alors... c'est un combat loyal pour un chevalier et son ancienne élève dont je parlais, bien sûr.

Sa colère atténuée, la kendoka s'adressait au jeune homme avec la même admiration chaleureuse qu'elle lui avait portée habituellement, lui reconnaissant de nouveau son statut de Maître. Elle se rendit alors compte des armes qu'il présentait et se figea un court instant, choquée par l'absence de l'épée maudite. La seule justification qu'elle put supposer à cette anomalie lui fit lever des yeux écarquillés. Elle souffla, pleine d'espoir :

- Votre épée... Seriez-vous parvenu à lever votre malédiction ?

Sa rancœur, son envie de combattre, le temps qui s'écoulait en sa défaveur, elle oublia l'ensemble de la situation. Si le jeune homme avait effectivement réussi à effacer la marque mortelle sur son dos, peu lui importait qu'il ait voulu se débarrasser de l'arme qui en trahissait le souvenir douloureux. Rien d'autre n'importait, en fait. Elle lui avait tant souhaité de conjurer ce mauvais sort -plus qu'elle ne l'avait espéré pour sa propre malédiction-. S'il l'avait vaincu, elle serait bien trop soulagée et ravie pour se soucier de quoi que ce soit d'autre.

Choquée par l'affirmation du jeune homme pour qui elle était apparemment redevenue une étrangère, Arwen songea à l'attitude plus distante que méprisante qu'il avait eue à son égard depuis le début de leur entretien. Néo ne lui reprochait pas ce qu'elle était devenue. Il ignorait qui elle était. Elle n'eut pas le temps de l'interroger sur cette amnésie insensée : déjà, son ancien maître lui tournait le dos... pour la narguer distraitement du parchemin qu'elle avait cru emporté dans la calèche !

Un sourire mauvais dissipa l'expression incrédule de la kendoka. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qui avait pu arriver à son Maître d'arme, mais s'il l'avait oubliée, elle se ferait un plaisir de lui rafraichir la mémoire ! Derrière elle, un peu plus loin, elle entendait des hommes se presser dans sa direction. Elle les ignora, indifférente à leur arrivée. Quand bien même seraient-ils capables de l'arrêter, elle n'avait de toute façon aucune intention de fuir ! Hors de question de s'éloigner d'ici tant qu'elle n'aurait pas obtenu d'explications satisfaisantes.

Alors que le jeune homme marchait tranquillement vers le palais, elle dirigea sur lui son sort de lévitation, tentant de l'attirer violemment en arrière dans une envolée rapide afin de l'obliger à lui faire face. Par le passé, Néo était parvenu à contrer les effets de son don en s'accrochant par avance, averti de son approche. Cette fois, s'il avait réellement tout oublié d'elle, le jeune homme aurait bien du mal à éviter le violent trajet de lévitation qu'elle levait sur lui pour qu'il tombe à ses pieds, sous la lame impatiente du sabre serpent.

Le sabre levé dans l'attente d'une réaction -parce qu'il ne pouvait que réagir, se laisser surprendre n'était pas dans ses habitudes-, Arwen, au lieu de reculer face à la lévitation précipitée du chevalier, plongea dans sa direction. D'une façon très similaire au combat qu'elle s'était remémoré un peu plus tôt, le jeune homme gêna sa vue à l'aide de son ombre, comme elle s'y était attendu. La lame reptilienne écarta les ténèbres aveuglantes, découvrant deux couteaux filants sur elle. Emportée dans son élan, elle n'eut pas le temps de les éviter ni de rediriger sa magie du sang : elle replia ses avants-bras devant elle pour protéger ses points vitaux, trahissant une grimace de douleur alors que les lames se nichaient dans sa chair. Elle n'avait toutefois pas cessé pour autant d'avancer vers le jeune homme, et envoya Gekido vers sa gorge dès qu'il fut suffisamment près. Mais avant même que l'arme bénie n'approche son cou, un violent coup de pied l'éjecta au sol.

-"Je vois que tu as plus d'un tour dans ton sac..."

Allongée au sol, Arwen n'écouta qu'à moitié son Maître d'arme, furieuse. Non pas contre lui, mais contre elle-même. Se prendre un coup pour avoir été pris par surprise était une chose. Se prendre un coup suite à une manoeuvre à laquelle on s'était attendu en était une autre. C'était encore pire !

-"Mais il en faudra bien plus pour me vaincre..."

La kendoka ferma les yeux, les sourcils froncés sous l'affirmation empreinte d'une vérité désagréable. Toujours à terre, elle soupira d'un air las :

- Je le sais. C'est très frustrant, d'ailleurs.

Tandis que Néo ordonnait aux gardes de ne pas intervenir, Arwen analysait la scène précédente et fouillait dans sa mémoire, parmi les multiples critiques de son Maître, les défauts qu'il lui fallait impérativement corriger avant de se relever et d'engager le duel. Elle avait pourtant beaucoup gagné en force, en endurance et en techniques depuis ses premiers entrainements. Elle n'avait plus à revoir ses positions, et son jeu de jambe n'était pas mauvais. Le chevalier l'avait lui-même admis, ses progrès étaient indiscutables, et elle n'avait pas cessé de s'entrainer au sein de son équipage. Au contraire, elle avait passé son temps à provoquer des adversaires au style très différent... et à les terrasser ! Alors pourquoi ne pouvait-elle empêcher d'être envoyée si rapidement au sol par l'homme qu'elle était habituée à affronter depuis plus d'un an ?

"Vous avez de nombreuses qualités en tant que bretteur, miss, mais vous n'avez pas encore un contrôle assez accru sur vos sentiments dans le feu de l'action..."

Arwen rouvrit les yeux. Le tout premier défaut que lui avait indiqué son Maître d'arme, mais également celui qu'elle avait le plus de mal à corriger en sa présence, c'était celui-là même qui la désavantageait. Tant qu'elle se laisserait diriger par ses émotions, elle n'arriverait à rien. La colère la rendait impulsive et la faisait agir sans réfléchir : son assaut vers le chevalier malgré le coup qu'elle l'avait deviné lui réserver en était une parfaite illustration. Le jeune homme qu'elle avait affronté le jour de son arrivée ressurgît dans sa mémoire et confirma calmement :

"Le corps même d'un combattant est son esprit et sa concentration."

La pirate retira de ses avant-bras les couteaux qui avaient punis sa témérité idiote, et se releva lentement. Néo s'était armé de deux épées moins longues que Gekido. Elle hésita un court instant à sortir de son fourreau le deuxième sabre, mais y renonça presque aussitôt. Les frappes d'un katana reposaient sur une utilisation à deux mains. Même si elle était capable de maitriser le sabre à l'aide d'une seule main, comme elle le faisait parfois lorsqu'elle se servait également de son fourreau comme arme, la kendoka perdrait beaucoup de la force de Gekido à le saisir ainsi tout au long d'un combat. Elle devrait prendre avantage de sa rapidité pour compenser des armes doubles de Néo.

Arwen prit une lente inspiration... et engagea soudain le combat. L'affrontement, plutôt qu'en règlement de compte, lui apparaissait désormais comme l'opportunité d'opposer à son Maître d'arme toutes les compétences qu'elle avait acquises depuis leur rencontre. Le jeune homme avait tout oublié d'elle, la kendoka acceptait cette condition comme une seconde chance de faire ses preuves.

Calme et concentrée, quoiqu'un peu tendue, elle appréhendait leur duel différemment pour la première fois, surveillant son adversaire pour mieux éviter ses ruses tout en attaquant prudemment. Alors qu'elle enchainait auparavant les attaques avant de s'en essouffler et de perdre son rythme, elle accordait en cet instant autant d'attention à ses attaques qu'à sa défense, et ce avec d'autant plus de précautions que son adversaire combattait, lui, avec plusieurs armes.

Si son sabre put parer les attaques des lames adverses et son corps reculer à temps pour éviter le coup de pied du jeune homme, son esprit ne devina pas l'intervention de l'ombre qui la frappa soudain, la rejetant en arrière. Tandis qu'elle trébuchait, la jeune femme prévint une attaque éventuelle d'un lever défensif de Gekido, craignant que son adversaire ne profite de son déséquilibre pour l'atteindre. Mais ce dernier fit un bond en arrière et l'invita d'un geste de la main à l'attaquer. Malgré la maîtrise d'elle-même et le sérieux qu'elle s'était imposés, Arwen eut beaucoup de mal à contenir le sourire enjoué qui tentait ses lèvres. Et pourtant...

- ...

Contre toute attente, la jeune femme abaissa doucement le katana reptilien, répondant d'un regard inquiet à l'invitation du duelliste. Elle parut hésiter un moment, poussa un soupire triste et résigné, puis rangea d'un air anxieux Gekido dans son fourreau, faisant mine d'abandonner le combat... avant de fondre tout à coup sur Néo, le sabre envoyé vers son torse sous la vitesse impressionnante de la coupe en Iai.

En dégainant rapidement Gekido depuis son fourreau, la kendoka avait triplé la vitesse de son attaque, aussi appelée technique de Battô. N'importe quel proche d'Arwen aurait pu prévoir ce revirement soudain : de nature particulièrement fière et persévérante, la jeune femme était tout simplement incapable de renoncer à un défi, surtout lorsqu'elle-même l'avait engagé. Mais son adversaire ne connaissait plus rien de son caractère obstiné, désormais, et elle avait compté sur cette ignorance et son jeu de comédienne pour le prendre de court. Alliée à la vitesse foudroyante de son attaque, sa ruse, si elle trompait effectivement Néo, lui permettrait une victoire écrasante.

Arwen ne s'en contenta pourtant pas, et tandis que sa lame filait vers son adversaire, sa magie du sang, elle, s'abattait sur l'un des gardes positionnés plusieurs mètres derrière le bretteur et le propulsait violemment vers les jambes de ce dernier. Redoutant que le chevalier n'évite l'homme d'un écart sur le côté et ne retourne ainsi son projectile contre elle-même, la kendoka avait préféré le lancer à basse hauteur, évitant ainsi les risques de se faire bousculer par la victime de son propre sort.

Gekido éclaboussa généreusement sa maîtresse de sang, colorant parfaitement de rouge toute la face gauche tandis que le côté droit de son visage avait conservé son teint pâle. Pourtant, cette frappe ensanglantée ne réjouît pas la kendoka. Le sabre serpent n'avait pas mordu la bonne proie, et celle-ci deviendrait bientôt chasseur, si Arwen ne se retournait pas vite pour lui faire face. Redirigée d'un bond vers son opposant, elle vit son précédent projectile s'éjecter soudain dans sa direction et l'empêcha juste à temps de choir sur elle, l'immobilisant devant elle par la lévitation sanguine. Elle écarquilla les yeux de surprise à la vue des deux lames qui transpercèrent alors le cadavre, manquant de peu de l'embrocher avec ce dernier. Eut-elle arrêté le garde à quelques centimètres plus près d'elle, la jeune femme aurait eu à pleurer la mort de sa chemise préférée... et peut-être bien la sienne aussi, accessoirement. Espérant retourner contre Néo la plongée de ses lames dans le cadavre, Arwen repoussa violemment le mort d'un coup de pied. Mais le jeune homme avait déjà récupéré ses épées, et s'était reculé d'un bond, évitant sans mal le défunt projectile.

-"Je vois, tu veux jouer comme ça..."

Cette fois, la kendoka répondit d'un sourire provocant, confirmant la déduction de son adversaire. Elle haussa alors les sourcils dans une expression d'interrogation, faisant mine de se demander s'il aurait l'audace de "jouer" de la même façon. Elle retrouva son expression amusée lorsqu'elle le vit se recoiffer, mais la perdit presque aussitôt alors qu'il enveloppait ses poings et protégeait son cou de ses ombres. Il n'allait quand même pas l'approcher à mains nues ??!

Mais avant que la kendoka ait pu décider du cran -ou de la folie?- de son adversaire, celui-ci franchit la distance qui les séparait pour l'attaquer... à mains nues, effectivement. Son attaquant désormais trop proche d'elle pour qu'elle puisse donner à Gekido l'élan nécessaire à ses frappes, la kendoka se prit un coup de poing au niveau de la machoire, qui l'étourdit suffisamment pour lui en valoir un second, avant qu'elle réagisse enfin et ne s'écarte de justesse pour éviter le troisième. Elle put ensuite repousser maladroitement le coup de pied du jeune homme d'un mouvement du bras gauche et tenta de reprendre le dessus en l'attaquant d'une coupe en biais. Elle ne fut pas assez rapide pour atteindre sa cible, mais elle avait au moins pu profiter de la distance pour élancer le katana reptilien. Les précédentes attaques au corps à corps du jeune homme l'avait désemparée, l'arme lui fit reprendre confiance et elle part les enchainements de son opposant plus calmement, bien qu'elle ne parvint toujours pas à attaquer.

Finalement, Néo la nargua d'un nouveau geste de la main l’appelant à attaquer. Arwen sourit à nouveau, malgré la douleur que son expression enjouée réveilla au niveau de la belle ecchymose bleutée sur sa joue. En dépit des coups qu'elle n'avait su parer, elle prenait plaisir à affronter l'ancien Maître d'arme. Jusqu'alors, elle avait toujours été vaincue trop tôt par son entraineur pour réellement apprécier leurs enchainements. Lui résister, autant que le fait de partager avec lui une activité qu'elle aimait particulièrement, constituait un amusement nouveau et définitivement plaisant.

Acceptant l'invitation galante de son cavalier, la kendoka fondit devant lui, le genou droit plié tandis que sa jambe gauche était tendue, s’affaissant de telle sorte qu'elle paraissait presque agenouillée face à son adversaire, vers qui elle éleva Gekido de bas en haut d'une seule main. Pourtant, la lame ne pouvait aucunement blesser le jeune homme, positionnée ainsi : d'une part, son tranchant était dirigé vers le sol, d'autre part, elle avait été élancée de telle sorte que sa pointe s'arrête à une vingtaine de centimètres de son visage. Et pour cause : Arwen ne tentait pas de blesser son adversaire, mais de l'aveugler. Dès l'instant où la lame s'était arrêtée devant le visage de son adversaire, le sang qui la recouvrait s'était brusquement projeté vers ses yeux, propulsé par le don de lévitation de la pirate.

Espérant être parvenue à gêner la vue de Néo, son ancienne élève resta abaissée au sol et y apposa les mains, prenant appui pour envoyer sa jambe entre ses pieds et tenter de le faire tomber d'un croche-pied.

Une seconde. Une seconde seulement, Arwen s'était figée d'effroi à la vue trop tardive du coup mortel qui lui était envoyé. Cette unique seconde lui avait pourtant paru durer infiniment. La pensée, ignoble et terrifiante, que Néo osa mettre fin à la vie de l'un de ses élèves, avait comme glacé le temps pour laisser la kendoka mortifiée réaliser la portée et toute l'horreur de la situation. Mais la seconde passa, et le Maître d'arme avait immobilisé son mouvement avant qu'il ne t'atteigne. Arwen, blafarde, libéra d'un léger soupire sa respiration jusqu'alors bloquée.

-"Bien, tu passes..."

L'esprit encore focalisé sur la peur, brève mais profonde, qu'elle avait ressentie pour la première fois à l'égard du jeune homme, elle leva lentement les yeux jusqu'à son visage et ne comprit sa proposition qu'après un petit moment de torpeur. Revenue à elle, la pirate se releva doucement, abrita Gekido dans le fourreau blanc et plongea son regard dans celui de son ancien Maître d'armes.

Travailler sous ses ordres ? Elle considéra d'un air soucieux la trahison que ce changement d’allégeance signifierait, et la séparation définitive de sa famille... Car c'était ce qu'était devenu l'équipage du Ruby Read pour elle. Certains de ses membres partageaient avec elle une complicité et une affection fraternelles, tandis qu'elle échangeait avec d'autres des rapports querelleurs aussi violents que réguliers. Mais quel que soit le degré de proximité qui les liait, ses camarades étaient tous solidaires et se protégeaient les uns les autres. Ils combattaient dans une unité soudée et vivaient communément les ennuis et les plaisirs de la piraterie. L'offre de Néo, plus qu'une offense à la loyauté qu'elle avait jurée, représentait le sacrifice d'un groupe auquel appartenait et qu'elle aimait pour ce qu'il était. Le seul groupe auquel elle s'était jamais sentie appartenir en fait. La jalousie l'avait trop éloignée d'Alec et Milly pour lui permettre des rapports autres que cordiaux, et sa relation avec l'élève de son Maître en magie s'était avérée encore plus difficile. Quant aux adeptes du culte de Gaia, aucun elfe parmi eux, à l'exception d'Archess, n'avait réellement accepté son arrivée au temple. Les pirates étaient sa seule famille.

Tandis qu'elle réfléchissait, Arwen n'avait pas détourné le regard des yeux sombres du jeune homme. Acquiesçant alors silencieusement de la tête, elle accepta la proposition de son adversaire victorieux.

Elle devait la vie à Néo, qui l'avait plus d'une fois sauvée sans jamais qu'elle n'ait à réclamer son secours. Protecteur, guide, maître, il avait rempli avec patience et indulgence chacun des rôles déterminants qui avaient permis à la jeune arrivante inconsciente et étourdie qu'elle était d'acquérir les connaissances et la maturité suffisantes pour survivre dans ce monde nouveau. Et ni les colères irrationnelles, ni les bêtises cumulées de la kendoka n'avaient amoindrie son implication dans le soutien qu'il lui avait continuellement apporté. Mais sans même la gratitude qu'elle éprouvait à son encontre, Arwen tenait bien trop à son Maître d'armes pour ne pas tenter de lui venir en aide.

De toute évidence, Néo s'était relevé d'une aventure qui lui avait couté la mémoire. Son incapacité à la reconnaitre, son attitude arrogante en combat et le simple fait de sa présence ici, loin de ses devoirs de chevalier ne pouvaient s'expliquer autrement que par une violente amnésie... Arwen était bien décidée à imposer sa compagnie au jeune homme jusqu'à ce qu'il ait recouvré la mémoire. Or, la piraterie ne le lui aurait jamais permis de se consacrer à cette ambition. La proposition du Maître d'armes était une opportunité qu'elle ne pouvait se permettre de refuser.

La kendoka s'avança calmement vers son supérieur et lui tendit la main, s'efforçant de sourire malgré sa peine :

- Je saurai justifier la considération dont vous m'honorez.

Sa décision de tenter de raviver les souvenirs de Néo tout juste prise, Arwen commençait déjà à essayer de le troubler par l'emploi de stimuli. Elle surveilla attentivement son expression tandis qu'elle répétait les mêmes mots qu'elle avait employés à leur rencontre, ainsi que le même geste qu'ils avaient échangés après leur premier affrontement.

-"Je suis déjà bien honoré que tu acceptes aussi rapidement, mais laisse tomber le vouvoiement, nous serons plus collègues que employeur et employée..."

Sensible au bon accueil que lui faisait le jeune homme, quoique moins qu'à son sourire, Arwen acquiesça d'un signe de tête, malgré sa déception quant à l'inefficacité de son stimulus. Son nouveau collègue lui paraissait moins distant à son égard qu'à leur première rencontre, cette consolation adoucissait un peu son appréhension de tout abandonner pour un homme qui n'était plus vraiment celui qu'elle avait connu. Et puis... Le sourire forcé de la kendoka s'étira plus naturellement sous la satisfaction. Cette fois, elle ne regrettait pas le déroulement de leur combat, sa défaite ne reposant pas sur de sottes erreurs que la concentration, simplement, lui aurait évitées.

Sortant de son sac le parchemin grâce auquel ils s'étaient affrontés, Néo chargea la pirate de s'en aller l'offrir à son capitaine en compensation à sa nouvelle allégeance. Arwen, étonnée, hésita à s'en saisir. Après l'avoir si scrupuleusement défendue, pourquoi céder si facilement la carte de son Maître alors que la kendoka avait accepté son offre sans condition aucune ? Elle le dévisagea un instant... puis soupira, le regard empreint d'une lueur de malice alors qu'elle comprenait les raisons du jeune homme. Au fond, c'était toujours Néo.

Arwen prit la carte, qu'elle enfouit dans une poche intérieure de son manteau, avant de lui répondre :

- Tu fais preuve d'un noble compromis en offrant à mon capitaine ce qu'elle n'aurait pu obtenir de la mission dont j'étais chargée. Cependant, c'est ignorer les bassesses de l'esprit d'un pirate que d'espérer l'apaiser en échange d'une compensation, aussi juste soit-elle. Et cette lacune est tout à ton honneur.

Le ton respectueux de la kendoka avait trahi de son admiration. Son compliment était sincère. Les difficultés de Néo à imaginer les réactions les plus méprisables n'étaient à ses yeux qu'une qualité de plus à son naturel droit et chevaleresque.

- Ceci dit, je te remercie de me laisser m'affranchir de ma tâche... Et de me permettre une dernière entrevue avec l'équipage pour des explications en face-à-face.

Le sourire doux de la jeune Esper se mût en un sourire carnassier. Elle se détourna et entama le chemin que lui avait ouvert le claquement de doigts autoritaire de son collègue. Naturellement, sa séparation avec les pirates lui inspirait tristesse et embarras. Mais l'affrontement auquel elle pensait ne pouvoir échapper faisait prédominer une émotion toute autre : l'excitation. Arwen était consciente de s'enfoncer dans la gueule du loup- dans les gueules d'une meute entière, en l'occurrence!-, elle connaissait ceux qui sûrement deviendraient bientôt ses adversaires et réalisait la grande difficulté que ce serait de réchapper à leur rancune. Et c'était cette appréhension de combats violents et impitoyables qui émoustillait tout son être, la rendait impatiente.

Derrière elle, Néo lui adressa des mises en garde qui l'obligèrent à calmer son empressement pour se retourner vers lui.

-"J'attends ton retours avant le début de la vraie nuit, je t'expliquerais alors quel sera ton rôle Arwen... Ne me fais pas trop patienter..."

Choquée par le nom qu'avait appelé l'ancien Maître d'armes, elle le dévisagea de nouveau d'un air décontenancé... et se remit finalement en marche, décidée à revenir au plus vite pour l'interroger.