Visite sous escorte [pv pirates et Lucrécia]

Armée de Gekido et de son sombre jumeau Seigi, Arwen s'était empressée de fuir le forgeron sitôt son travail accompli pour s'enfoncer dans les marais. Mary lui avait désigné un petit groupe de pirates pour l'accompagner, et elle était désormais en tête de marche, au devant des hommes. Elle avançait rapidement sans se soucier de l'allure des pirates, pressée de retrouver Lucrécia et de lui prouver ses progrès. La promenade lui paraissait agréable, pourtant les lieux n'avaient rien de véritablement plaisant à arborer. Mais les marais étaient devenus depuis longtemps un endroit familier pour Arwen, et si la sorcière n'avait pas eu le caractère instable et lunatique qui le rendait si dangereux, elle aurait même surement pu le considérer comme un refuge.

Malgré les risques, la jeune femme avançait donc en souriant, l'air ravi. Les obstacles que les lieux pourraient leur opposer seraient peut-être, certes, difficiles à affronter pour elle... mais ils le seraient bien plus pour les pirates, qui eux n'avaient aucune connaissance du terrain et de ses habitants ! Or, parmi le petit groupe se trouvait Brisban. Brisban, le pirate à qui Arwen était bien décider à ne jamais pardonner son attitude lors de sa capture. Oh, il était son compagnon d'armes maintenant, elle ne le laisserait pas mourir si l'occasion se présentait. Mais elle pourrait bien profiter un moment du spectacle avant d'intervenir...

Arwen avançait sans se soucier du débat qui semblait torturer les esprits des hommes derrière elle. Après avoir côtoyé de longs mois le chevalier noir au sérieux impassible et un vampire fou aux fourberies malicieuses, la logique masculine des membres de l'équipage lui apparaissait comme un véritable repos spirituel... Repos auquel elle tentait d'échapper, ignorant royalement les bruits de voix qui lui parvenaient. Elle était parfois garçon manqué, comprenait mieux les activités viriles associées aux hommes que les occupations délicates habituellement réservées aux femmes et enviait les hommes des quelques avantages dont ils étaient parés. Mais depuis qu'elle était mêlée aux pirates, ses regrets quant à sa féminité ne la complexaient plus. Ses camarades lui rappelaient souvent les graves lacunes intellectuelles que payent la plupart des hommes pour leurs atouts physiques, et elle se félicitait finalement de n'en pas faire partie.

Une voix sortit la jeune femme de son indifférence aux babillages des pirates. Olgin, le mateloup qu'elle considérait déjà comme un ami pour n'avoir jamais refusé aucun de ses défis, s'était adressé à elle. Elle se retourna et s'apprêta à le provoquer pour l'encourager à avancer malgré les difficultés du terrain avant que l'un des deux idiots du groupe ne crie à l'aide. Garetti s'enfonçait dans la vase, sous le regard appréciateur de la kendoka. La demoiselle s'empressa de prendre un air inquiet et répondit à son appel :

- Ne bouge plus, je vais essayer d'utiliser mon sort pour te sortir de là !

La lévitation sanguine tira alors doucement, laborieusement le pirate hors de la vase.... avant de l'y relâcher soudain. La mage de sang feignit la concentration, et cibla de nouveau son compère pour l'élever lentement. Mais une fois de plus, le sort sembla ne pas résister à la force boueuse des marais et céda. Arwen lança un regard désespéré à Brisban, le plus proche de Garetti, et surtout le plus physiquement apte à le secourir.

La mage de sang, contrairement aux apparences, n'était pas inquiète. Pas le moins du monde. D'une part, la perte éventuelle de son camarade de bordée serait probablement plus avantageuse qu'accablante, autant pour elle-même que pour tout l'équipage étant donné le camarade dont il était question. D'autre part, elle savait son sort suffisamment puissant pour l'extirper au cas où le pirate se faisait complètement engloutir. Mais quel intérêt y aurait-il à le sauver si rapidement ? Certes, elle était relativement pressée... toutefois, elle pouvait bien s'accorder une légère pause.

D'ailleurs, elle ne tarderait pas à sortir le pirate de la vase à l'aide de l'élévation sanguine. Simplement, elle attendrait que Brisban ne tire leur camarade de toutes ses forces avant de le projeter elle aussi, par magie. Sûrement, si le Turc y mettait assez de puissance, le poids de Garetti, soudain allégé par le sort de sang qui le tirerait vers lui, renverserait les deux hommes en arrière, dans la boue des marais.

**

Arwen eut à peine le temps de glousser de son petit tour que trois crabes des marais surgirent soudain tout autour de leur groupe. Agacée d'être ainsi dérangée alors qu'elle se moquait tranquillement de Brisban, la pirate posa une main sur la tsuka de Seigi dans l'intention de punir cet affront, avant qu'un accès de sagesse ne la prenne inopinément. Elle recula doucement, assez loin pour ne pas risquer d'être touchée par leurs pinces, avant d'ouvrir les paumes en signe d'apaisement. Ce n'était pas la première fois qu'elle était confrontée à ces habitants des marais, et bien qu'elle ait du en exterminer quelques-uns de la race, certains avaient appris de sa colère et préféré consentir à sa présence. Elle ignorait toutefois si ces crabes-ci faisaient partie des plus malins...

Ignorant l'appel pacifique de la kendoka, le crabe le plus proche avança vers elle et tenta de l'atteindre d'un coup de pinces. Arwen émit un juron. Puisqu'il en était ainsi... Gekido se libéra tout à coup de son fourreau à peau de serpent et fondit sur son attaquant, que la mage de sang avait fait s'immobiliser à deux mètres au dessus du sol. La lame reptilienne trancha net le ventre sans protection du crabe, et fit de même avec les deux autres crustacés que l'élévation sanguine souleva devant Arwen chacun leur tour alors qu'elle avançait vers le chemin de pierres, qu'elle venait seulement de remarquer. Elle commença alors à sauter prudemment de pierres en pierres, s'exclamant sans se retourner :

- Alors mesdemoiselles, toujours dubitatives ? Quoi qu'il en soit évitez de tomber des pierres, je ne pense pas que la sorcière apprécierait que j'intervienne par magie pour repêcher l'un d'entre vous, le chemin est une épreuve que l'on doit passer sans subterfuge aucun.

Parvenue à une pierre humide sur laquelle elle retrouva son équilibre malgré la force de son élan, elle se retourna vers Brisban et lui adressa un regard entendu. Il devrait surveiller avec attention les deux imbéciles. Elle-même ne ferait rien pour eux, sur le chemin de pierres.

Arwen sourit d'un air amusé à la vue du mateloup qui la dépassait. Elle accéléra aussitôt et entreprit de tenter de le dépasser sans glisser. Mais ses bottes et la prudence dont elle préférait faire preuve lui firent conserver malgré elle une légère distance derrière son camarade. Alors qu'elle persévérait dans sa course, celui-ci s'arrêta soudain pour s'étonner de la lueur qui scintillait au loin. Arwen, qui ne s'était pas attendue à cette pause inopinée, ralentit au dernier moment et le bouscula de plein fouet, l'agrippant de justesse pour lui éviter de passer par dessus le chemin de pierres.

- Peut-être une forme d'apparition de la demeure de la sorcière... Le passage qu'elle ouvre ne se présente pas toujours de la même façon à ses hôtes. Je ne sais pas. Mais qu'importe, avançons : qu'il s'agisse d'un danger ou non, je suis déterminée à me rendre à destination. Nous sommes sur nos gardes, il n'y a rien de plus que nous puissions tirer à rester planter ici, Olgin. A moins que tu n'aies peur au point de songer à faire demi-tour ?

Elle émit un éclat de rire moqueur et repartit en courant, dépassant son compère. Leur court arrêt lui avait permis de réaliser l'absence des pirates, qu'ils avaient sûrement trop devancés. Mais elle ne les attendrait pas. Elle les avait prévenus, elle ne leur viendrait pas en aide et ils devraient se débrouiller seuls. Brisban avait silencieusement accepté cette condition et s'était chargé de surveiller les matelots, et par ailleurs, elle ne les avait pas entendus les appeler pour les retenir de poursuivre leur chemin. Elle continuerait comme elle l'avait escompté.

***

- Olgin !

Discernant la nature de la lumière qui leur barrait le chemin, Arwen tendit la main et agrippa le haut d'Olgin pour l'empêcher d'aller plus loin, glissant dangereusement sur la pierre. Elle souffla alors au mateloup :

- N'approche pas plus, c'est un feu follet ! Tu perdrais tout à sa proximité : ton âme, ta force vitale...

Elle continua sur un ton moqueur :

- Bon, tu ne perdrais pas l'esprit car tu en es dénué... Mais ce que tu risques est déjà bien suffisant pour que tu le craignes, Olgin. Et je ne saurais pas t'en défendre, le feu follet est une force immatérielle, ni ma lame ni ma magie ne pourraient l'atteindre. Je pense qu'il est assez habitué à moi pour me laisser passer, mais il faut trouver une autre solution pour toi.

Elle réfléchit en silence, les yeux rivés sur la sphère lumineuse.

- ... Peut-être... Peut-être serait-il plus prudent que tu passes par les eaux. Ces dernières cachent bien des créatures redoutables, mais crois-moi, elles le sont beaucoup moins que le feu follet.

Elle désigna du regard l'un des énormes nénuphars qui couvraient la surface sombre des eaux marécageuses.

- Que dirais-tu d'embarquer à bord, matelot ? Je préférerais ne pas te faire passer par les airs car je pense que c'est une forme de subterfuge contre lequel se rebellerait le passage. Mais les eaux sont le domaine que permet d'éviter le chemin de pierres, un piège dans lequel il faut éviter de tomber. Donc si tu...

Elle sourit malicieusement.

- ... te jettes dans la gueule du loup, je crois que ce serait une forme de détour plutôt qu'une tricherie et que le passage le permettrait, étant donné le danger que représente ce chemin. Je peux utiliser mon sort d'élévation de façon à ce que les plantes supportent ton poids sans ployer et ainsi tu avancerais de plantes en plantes comme nous avancions de pierre en pierre. Plutôt que de plonger dans les eaux où tu serais directement repéré et attaqué, j'immobiliserai parfaitement les plantes à chacun de tes pas afin que tes mouvements passent inaperçus pour les êtres de l'eau.

La kendoka grimaça et hocha négativement la tête.

- Mais c'est une très mauvaise idée, trop risquée... Pour être franche, et bien que cela te déplaira très sûrement, je préférerais que tu rejoignes le reste de la bande et restes en arrière.

Elle ancra son regard d'azur dans les yeux lupins de son camarade et attendit sa décision. Peut-être se montrerait-il plus malin et trouverait-il un meilleur compromis que les deux solutions qu'elle lui avait exposées.

Arwen observa le feu follet au loin d'un air songeur. Elle ne savait absolument pas si la sphère se laisserait tenter par un leurre, mais c'était probablement un projet bien moins risqué que de faire passer Olgin par les eaux ou le laisser seul sur le chemin. Le soucis, et l'une des raisons pour lesquelles Arwen n'avait pas même songé à cette possibilité... c'était qu'elle signifiait un sacrifice. Respectueuse de la vie et passionnée d'animaux, la kendoka grimaça à l'idée d'aguicher le feu follet aux dépens d'une pauvre créature... Bon, certes, la plupart des créatures qui vivaient dans les eaux du marais n'avaient pas grand chose d'innocent, si ce n'était parfois l'apparence (pour attirer leurs proies)... Mais tout de même... Arwen était vouée au culte de la terre Mère...

Elle soupira, résignée :

- Oui, je suppose que je peux faire ça...

Elle ferma les yeux et se concentra sur la vie sanguine tout autour d'elle. Le sort d'élévation cibla l'une d'entre elles, et se souleva alors dans les airs une étrange créature qui se débattit en tous sens...

Spoiler:

Arwen ouvrit les yeux. Elle eut l'air surpris, mais finalement, un long sourire égaya son visage et elle ne put s'empêcher de s'extasier d'une voix un peu niaise :

- OoOoOoh il-est-miii-gnonnnnnnn !!!!

Le poisson-lapin fut relâché dans l'eau après un dernier regard admiratif de la kendoka. Celle-ci recouvra un air grave lorsqu'elle expliqua d'un ton ferme à Olgin :

- Pas lui.

Elle se concentra à nouveau et fit voler face à elle une créature beaucoup plus massive. Un énorme crocodile dont la mâchoire claqua furieusement à quelques centimètres de son visage.

- Hoooo, adorable !!!

Et une fois encore, le leurre fut relâché. Arwen fouilla ainsi un bon moment les eaux, à la recherche d'une proie qui ne soit pas adorable, la plupart des créatures lui paraissant toutes irrésistiblement attachantes, y compris les plus voraces. Son choix se porta finalement sur une espèce de grande mygale aquatique. L'arachnide lévita malgré elle jusqu'au feu follet, le traversa rapidement, puis s'immobilisa à quelques mètres de lui à peine. La pirate la déplacerait aussitôt que le feu follet lui prêterait attention. Tout du moins s'il lui en prêtait effectivement...

Arwen ricana d'un air mauvais en voyant l'araignée se faire gober par un poisson... avant de se souvenir que son but initial était de s'en servir comme leurre, et non de la tuer comme elle en avait l'habitude et le réflexe. Elle jura et se remit à la pêche jusqu'à trouver une proie qui ne déclenche pas ses élans d'extase suraiguë. Son choix se porta, après plusieurs minutes de recherche, sur une étrange pieuvre verte particulièrement repoussante, qu'elle fit léviter bien haut au dessus des eaux cette fois-ci, tout en surveillant d'éventuels prédateurs aériens. La pirate fit ensuite descendre son leurre pour qu'il traverse le feu follet avant de le diriger dans une autre direction. Si cette tentative échouait également, la demoiselle s'en irait retrouver son Maitre du Mana seule.

Pour votre perdition, vous grands et petits
Pour votre punition, je suis Garetti
J’rêve d’or et de chansons, et de petits poissons
Sur la mer voguons, jusqu’a pamoison

Moi je suis Patel, j’ramasse a la pelle
Quel que soit le cheptel, j’pille même les chapelles
J'ai une obsession : la domination !
Je n'ai qu'une passion : la possession !


Si nous sommes de sacrés pirates
Nous ne sommes pas de ceux qui ratent
Une épave, un ressort, un mégot
Oh oh oh oh ! Oh oh oh oh !

Si nous sommes de sacrés pirates
Sur vos crânes on fait cric ! on fait crac !
Ah oui, la belle vie que voilà !
Ah ah ah ah ! Ah ah ah ah !

Arwen ne fut pas spécialement déçue par l'obstination du feu follet à rester sur place : elle n'avait tenté de le faire déplacer que par égard pour le loup, mais préférait s'entretenir seule avec son maitre. Lorsque la brume disparut, elle rejoignit à grands pas la vieille bicoque familière et frappa à la porte, n'entrant qu'après l'accord de la mage. A peine arrivée, la demoiselle s'inclina et récita son mea culpa habituel, avant de présenter les raisons de son retour dans les marais :

- Maitre, vous m'avez permis de revenir une fois mon sort maitrisé, et il l'est à présent. J'espérais donc que vous accepteriez de m'enseigner le niveau supérieur...

La kendoka attendit la réponse de la sorcière avec appréhension. Elle ignorait si elle exigerait le passage d'une épreuve afin de mériter le renforcement de son sort, et espérait qu'il n'en serait rien, la mage ayant un goût prononcé pour les gages fourbes et particulièrement risqués.