Visite sous escorte [pv pirates et Lucrécia]

Le début de réponse de la sorcière rassura un peu trop tôt la kendoka, mais la fin lui rappela bien vite à qui elle avait affaire. Arwen s'empressa alors d'expliquer, avant que Lucrécia ne trouve davantage prétexte à s'énerver :

-Alors en fait tout ça c'est la faute de Cyril qui -

- Il se peut que je manque en effet de mérites, je m'en remets à vous pour juger de cela. Mais je suis bien certaine de vous être très reconnaissante de vos enseignements, je vous prie de n'en pas douter, Maitre Lucrécia. Et si j'ai tardé à venir, ce n'était pas par désintérêt ou mésestime, mais en raison de mes difficultés à utiliser le don que vous m'avez généreusement accordé... Il m'a fallu un temps excessivement long pour parvenir à l'adapter à mes besoins, je ne le comprenais pas et ne devinais pas les occasions pour l'employer. Je suis donc restée bloquée au niveau de base, et si longtemps qu'une fois que j'ai pu enfin comprendre mon don, j'ai progressé d'un seul coup, en quelques jours seulement. Il me suffisait en fait d'un simple déclic pour avancer. Ainsi, ma maitrise a beaucoup tardé, mais une fois acquise, elle m'est venue à un niveau de progrès plus élevé. Je voulais me diriger vers les marais dès mes premiers progrès, mais j'ai été enlevée à ce moment.

La pirate avait parlé rapidement, afin d'apaiser son maitre au plus vite. Elle reprit ensuite son souffle avant de reprendre, un peu hésitante :

- Quoi qu'il en soit... Me voici à présent, désolée de mon retard et prête à mieux employer les enseignements dont vous voudrez bien m'instruire, Maitre.

Arwen retint un soupir de soulagement lorsque la sorcière renonça à persister dans ses accusations. Elle avait pourtant côtoyé Lucrécia suffisamment longtemps pour savoir qu'il n'était jamais sensé de se sentir soulagé en sa présence. Mais la mage le lui rappela bien vite, et la pirate sentit son cœur s'arrêter à l'épreuve qu'elle lui opposa. Elle se fichait bien, naturellement, du sort de Brisban et des deux abrutis. Mais quant aux autres... Or, le sort des uns était lié au sort des autres. Elle n'avait pas droit à l'erreur.

La jeune femme n'essaya pas d'argumenter contre le choix d'épreuve de la sorcière, elle savait d'avance qu'elle ne changerait pas d'avis -ou alors seulement pour un choix plus cruel encore-. Elle se concentra donc et commença par se cibler elle-même. Elle connaissait déjà ses deux éléments, et pouvait donc vérifier la justesse de ses pressentiments. Un mélange de sens lui fit alors ressentir l'imprégnation du sang : elle voyait son pouvoir sans le percevoir par la vue, le sentait sans contact et en discernait les particularités, le "gout" sans qu'aucune saveur ne lui parvienne pourtant. C'était une perception comparable à celle qu'elle avait lorsqu'elle devinait une présence derrière elle sans qu'aucun des cinq sens premiers ne l'aient avertie... Et derrière la puissance sanguine... Un pouvoir indéfinissable. Neutre et unique. Différent...

La jeune mage avait reconnu immédiatement le pouvoir du sang, comme par instinct. Le mana était plus subtile, inqualifiable. Elle n'aurait pas identifié cet élément si elle ne s'en était pas su imprégnée. Mais à présent, elle le reconnaitrait. Quant aux autres éléments... Elle supposait qu'ils lui paraitraient aussi évidents que l'avait été celui du sang, mais elle n'avait plus d'autres solutions pour le savoir que de l'essayer maintenant sur ses camarades.

Arwen vint faire face au premier pirate de la rangée d'hommes et se concentra sur son être, fermant les yeux pour mieux éveiller les sens de sa magie du mana. Pour Brisban, c'était un élément solide, dur, stable...

- Terre...

La kendoka avança d'un pas pour dévisager le pirate suivant, Filinger, espérant que le rire de la sorcière n'éclaterait pas pour fêter une erreur de sa part... Elle ferma de nouveau les yeux. Cet élément était tout le contraire du précédent : immatériel, instable, fluide, léger...

- Air.

Sa réponse lui vint avec un peu plus d'assurance. L'air était l'élément opposé à la terre, si parallèlement différent qu'il ne pouvait être que son élément complémentaire. Arwen passa devant Olgin, et elle essaya d'ignorer l'inquiétude qui faisait s'affoler son coeur pour rester concentrée. Cette fois, la réponse fusa, comme soudainement happée hors de sa bouche :

- Sang !

Elle s'apprêta à s'éloigner mais s'arrêta net. Comme pour elle, cet élément seul n'imprégnait pas le loup, c'était la surface dominante de l'un des deux pouvoirs qui l'imprégnaient. L'autre ressemblait un peu au sang : vital, fluide mais sans la légèreté de l'air, imprévisible. Mais il en émanait une sensation de pureté qui contrastait beaucoup avec la "saveur" agressive du sang...

- Et... L'eau...

Ses battements de coeur se précipitèrent encore alors qu'elle craignait entendre la voix ricanante de son Maitre annoncer le sommeil infini du loup. Elle attendit quelques secondes... et avança timidement, méfiante. Mais la mage ne la contredit pas et elle se concentra alors sur Patel. L'élément était comme informe, changeant, méconnaissable. Arwen commença à paniquer. Tout à coup, elle se calma et soupira :

- Ah... Mana.

Elle n'avait pas reconnu le mana tout de suite, comme elle l'avait supposé. Le mana ne semblait pas imprégner les individus de la même façon, il se distinguait en chacun. Mais un critère le trahirait immanquablement à la kendoka. Il était indéfinissable. Il ne correspondait et ne se comparait à aucun autre. Arwen parvint jusqu'au pirate suivant, Garetti. Une fois de plus, la réponse fusa :

- Mana !

Enfin, elle arriva jusqu'au dernier de la bande, le perroquet. Il était imprégné d'un élément qu'elle avait déjà ressenti parmi les pirates...

- Air...

La jeune femme leva alors un regard craintif vers la sorcière, attendant silencieusement et le coeur battant son verdict. La mage aurait bien été capable d'avoir tu une erreur juste pour le plaisir sadique de lui donner de l'espoir afin de mieux l'accabler ensuite.

Arwen se retint de tout signe de joie triomphante, craignant que Lucrécia ne l'en punisse. Elle sauterait de joie une fois éloignée des marais. En l'instant, elle décida, plutôt que de réveiller ses camarades endormis, d'aller rejoindre discrètement la mage. Un peu en retrait, à quelques pas derrière elle, Arwen hésita quelques secondes avant de souffler d'une voix douce :

- Maitre... J'espère que vous ne me trouverez pas trop indiscrète, je me demandais... Vous êtes parmi les plus puissants de l'empire, vos dons n'ont pas de réelles limites. Comment... Comment avez-vous acquis des pouvoirs aussi étendus ? Je sais que les éléments choisissent leur digne représentant et les pare en conséquence, mais il ne s'agit pas que d'une force due à votre rang d'Esper, n'est-ce pas ? Vous êtes également infiniment puissante en dehors de votre territoire. Comment êtes-vous parvenue à concentrer de tels pouvoirs ?

La pirate observait son Maitre d'un air admiratif, et surtout, d'un air envieux, trahissant le désir qu'elle avait de suivre les pas de la mage.

Arwen observa les souvenirs à l'intérieur du chaudron tout en écoutant la sorcière avec une curiosité non dissimulée. Le peu qu'elle en apprit la passionna : après avoir vécu tout un mois auprès de Lucrécia, elle n'avait rien connu de son histoire jusqu'à maintenant. Les bribes de celle-ci ne suffirent pas à la kendoka, elle aurait voulu en savoir plus, à présent. Mais elle redoutait l'humeur changeante de la mage, avec qui une simple conversation pouvait tourner en horrible dilemme. Elle n'essaya donc pas de l'interroger plus, décidant qu'elle avait déjà bien assez poussé sa chance aujourd'hui. En revanche, Lucrécia la questionna à son tour, la prenant de court. Ne sachant trop si la mage s'agacerait plus d'un manque d'ambition ou d'une volonté à tenter de l'égaler, Arwen préféra se risquer à dire la vérité :

- De l'ambition, j'en ai Maitre. J'aime la magie, sous toutes ses formes...

Elle songea à Milly, le nez plongé dans ses livres de théorie magique. Une moue de mépris apparut sur son visage.

- Quoique je me passionne davantage à l'expérience magique qu'aux études théoriques. C'est en la vivant que je l'apprécie pleinement.

Elle désigna les pirates du regard et s'en distingua, expliquant :

- Peu m'importent l'or, les biens matériels, le confort... La vraie richesse, c'est la puissance, et la magie en est une forme tout particulièrement fascinante

Elle leva les yeux vers ceux de l'Esper.

- Mais je ne me fais pas d'illusions. Je n'ai pu commencer mon apprentissage que trop tard, et il me faudrait de toute façon bien plus d'une vie pour parvenir à égaler ne serait-ce que la moitié de vos dons, Lucrécia.

Des souvenirs remontèrent à la mémoire de la jeune femme, l'interrompant un instant. Néo, l'épée pointée vers elle, toujours vainqueur. Alucard, ses bras serrés autour d'elle en protection mais rigolant joyeusement dans une galerie souterraine pour attirer sur eux les créatures ennemies sans qu'elle ne puisse rien y faire. Ryu, ripostant avec génie aux attaques du vampire dans le cimetière alors qu'elle restait simple témoin, en dehors du combat... Arwen ressentit avec fureur un besoin oppressant à progresser. Un jour, elle serait assez forte pour leur venir en aide... ou les gêner, selon la situation. Mais elle ne se satisferait pas de son niveau actuel, elle ferait tout son possible pour s'élever. Ses yeux bleus fixant le vide avec une expression de farouche détermination, et l'air presque énervé, elle ajouta :

- Ce n'est pas assez, je suis loin, tellement loin de mes ambitions ! Je ne pourrai pas atteindre l'excellence en magie à laquelle vous êtes parvenue, Maitre, mais je ne me contenterai pas de mon actuel niveau, je travaillerai à m'améliorer autant que possible. Et je sais que je peux progresser encore bien au delà de mes capacités présentes, j'en suis sûre.

Évitant de songer aux tortures qui l'attendaient en cas d'échec, Arwen se laissa gagner par l'exaltation de sa mission et lévita vers Brisban, près de qui elle s'accroupit. Elle leva haut la main, et gifla le visage du marin du plus fort qu'elle put. Lorsqu'il commença à se réveiller, elle claqua son autre joue de la même façon. Elle se para d'une mine faussement étonnée :

- Oh, vous étiez déjà réveillé ? Désolée !

La jeune femme ne paraissait pas désolée le moins du monde. Elle s'empressa de réveiller tous les autres endormis, giflant Patel et Garetti mais se contentant de secouer Olgin et Filinger. Elle expliqua une fois qu'ils eurent chacun ouvert les yeux -Mr Tuck y compris :

- Debout, les belles endormies, la sieste est finie ! J'ai dix heures pour retrouver une bague perdue dans les marais, et puisque vous avez pour tâche de m'escorter, je pense que vous m'aideriez mieux à chercher également plutôt qu'à ronfler...

Son regard croisa les pupilles reptiliennes de Crok. La jeune femme aurait aimé son aide pour les recherches : l'animal connaissait les marais et la sorcière mieux qu'elle-même, il aurait certainement pu l'avancer grandement dans sa quête. Mais il était auprès de sa maitresse, et Arwen craignait que celle-ci ne se fâche qu'elle ose lui emprunter le crocodile alors qu'elle s'occupait à le caresser. Elle sortit de la bicoque après s'être inclinée devant Lucrécia, incitant d'un regard sévère les pirates à faire de même. L'escorte au dehors, elle se tourna vers Brisban :

- Si vous acceptez de m'aider, le mieux serait que vous restiez groupés ensemble afin d'être mieux parés aux dangers des marais. Quant à moi, je chercherai seule car je risque peu. La terre de l'île est peut-être le coin que vous aurez le moins à craindre, et donc celui par lequel commencer.

La kendoka ne s'assura pas de la réponse de Brisban : qu'il l'aide ou non, elle devait absolument se dépêcher. De retour sur ses pas, elle frappa à la porte de la bicoque. Elle avait quitté l'endroit au plus vite pour éviter aux pirates l'occasion de s'attirer le courroux de la mage, mais c'était, dans l'esprit de la jeune femme, l'une des places les plus propices à cacher la bague. D'une part, en raison de la présence constante ou presque de la sorcière en ces lieux et d'autre part, parce qu'après avoir fouillé tous les marais, il aurait été bien cruellement ironique de découvrir trop tard la bague dans le lieux mêmes où la quête avait été lancée. Or, la cruauté et l'ironie étaient deux concepts qui accompagnaient très souvent les enseignements de la mage. Par ailleurs, Arwen espérait que Crok serait désormais assez éloigné de sa Maitresse pour qu'il ne soit pas indélicat de lui demander son aide pour les recherches.

Arwen psalmodia un nouveau "mea culpa" avant de répondre à la sorcière tout en caressant affectueusement le reptile :

- Pas encore, Maitre. En fait, je...

Croisant le regard menaçant de Lucrécia, Arwen se tût. Elle perdit une ou deux secondes à hésiter, puis se reprit :

-... Vous avez raison, je suis bien idiote de ne pas m'empresser davantage, je vais retourner immédiatement à mes recherches. Veuillez pardonner ma sottise.

La kendoka plongea avec insistance son regard dans celui du crocodile, lui promettant en silence l'élévation de ses proies préférées directement vers sa gueule s'il la suivait. Elle se retira ensuite en s'inclinant une fois de plus face à la mage et s'éloigna de la bicoque, le crocodile à ses talons. L'air revêche de Lucrécia l'avait dissuadée de fouiller la cabane en sa présence. Après quelques pas, la jeune femme s'arrêta soudain pour s'agenouiller devant le reptile. Elle retira la bague de Claddagh qui ornait son annulaire gauche et le lui montra pour expliquer :

- La bague de Lucrécia, Crok. La bague de Lucrécia !

Insistant sur le nom de sa maitresse, Arwen avait espéré que l'animal comprendrait ainsi plus aisément leur mission. Elle remit sa bague et se releva après une caresse d'encouragement sur le dos du reptile. Puis, elle fit léviter jusqu'à lui un gros rat qui jaillit des roseaux. Un maigre acompte, promesse d'une plus grande récompense selon les efforts de son camarade vert. En réponse, une étrange lueur brilla dans les yeux de l'animal. Arwen fronça les sourcils et secoua la tête d'un air de reproche. Elle lui avait certes promis ses proies préférées, mais elle n'avait pas compté parmi celles-ci les pirates et n'en avait pas l'intention. Le crocodile parut déçu, et Arwen hésita un court instant à la pensée de Patel, qui représenterait un repas généreux à lui seul, et servirait au crocodile bien plus qu'il ne servait à l'équipage, de toute évidence... Elle secoua de nouveau négativement la tête vers Crok, plus frénétiquement, comme pour se convaincre elle-même.

La kendoka commença ensuite à s'enfoncer dans les roseaux, avançant à grands pas pour se diriger vers le lac qui encerclait l'île. Par précaution, elle écartait sur son passage les longues plantes afin d'inspecter rapidement le sol, bien qu'elle ait laissé ce terrain aux pirates. En chemin, elle rencontra Olgin et Filinger, qui fouillaient minutieusement les environs. Elle se contenta pour salut d'un pari lancé prestement :

- Le premier de nos deux groupes qui trouve la bague devra un verre à l'autre !

La partie de l'île qu'elle traversa fut également inspectée, et elle espérait que le petit duo qu'elle venait de croiser le comprendrait et n'y repasserait pas inutilement : derrière elle, son passage était marqué de quelques trous béants dans les roseaux, la demoiselle ayant usé de son don de mana pour faire léviter les plantes gênant ses recherches alors que le crocodile avait écrasé sous son poids les tiges lui faisant obstacle.

Lorsqu'elle parvint au lac, Arwen ôta ses vêtements, qu'elle posa quelques mètres plus loin, et plongea en sous-vêtements dans l'eau froide. Crok la rejoignit et elle utilisa sa lévitation pour se mouvoir aussi facilement que lui, opposant à la force de l'eau celle du sang. Mais sous la surface, tout était sombre, et la jeune femme ne percevait que très peu son environnement. De plus, elle perdait également du temps à remonter à la surface toutes les minutes pour reprendre son souffle... Crok, lui, était parfaitement à l'aise et put fouiller plus vite le lac. Au bout d'une demie heure, toutefois, Arwen se trouva un second allié qui accéléra nettement ses recherches. Une lumière attira son regard et, intriguée par l'éclairage bien pratique, elle s'empressa de la rejoindre. Elle parvint à la sphère lumineuse et lâcha des bulles d'air, surprise face à la tête du monstre d'où pendait la boule éclairante. Un énorme poisson-lanterne aux crocs acérés ouvrait sa machoire sur elle. Précipitée sur son dos par lévitation, la demoiselle s'y accrocha fermement, et le sort cibla par la suite le poisson, qui lui servit de monture éclairante.

Tandis qu'Arwen chevauchait son poisson géant auprès de Crok, à travers les eaux du lac, les autres groupes de pirates s'étaient ainsi départagé l'île : Olgin et Patel au nord, Brisban et Mr Tuck à l'Est et le couple d'imbéciles au Sud. Le sablier avait déjà laissé s'écouler plus d'une heure de son temps.

Arwen parcourut les eaux proches de l'île d'un bout à l'autre, sans succès. La bague restait introuvable. Elle essayait toutefois de chasser ses inquiétudes et de se concentrer sur ses recherches : elle aurait tout le temps de craindre la punition de la sorcière au moment venu si cela devait arriver. En attendant, la jeune femme décida d'élargir ses recherches aux eaux plus profondes et s'éloigna un peu de l'île, à cheval sur sa monture marine et le crocodile à ses côtés.

Sa quête lui parut alors plus oppressante : le temps s'écoulait inlassablement et toujours sans résultat, ses poumons lui brulaient à force de contenir l'oxygène en apnée, et surtout, elle s'était enfoncée à une quinzaine de mètres sous l'eau. La kendoka s'y sentait enfermée, malgré la lévitation sanguine qui lui permettait de remonter à l'air libre en moins de cinq secondes. Si un obstacle la retenait ne serait-ce qu'un peu plus d'une minute... Elle continuait de fouiller les eaux avec acharnement et sans se fatiguer, mais son moral sombrait à mesure qu'elle s'enfonçait plus loin, s'éloignait des parties déjà vérifiées.

Suivant docilement l'appel, Arwen ne tarda pas à en trouver l'origine, devant laquelle elle s'arrêta paisiblement, comme subjuguée. Alors qu'elle fixait passivement la créature, un sursaut la secoua soudain, tortura ses poumons. De l'air. Il lui fallait de l'air. La demoiselle avait filé jusqu'à la créature sans se préoccuper de son apnée prolongée, et son manque d'oxygène était à son comble à présent. Incapable de s'éloigner de la bête, la kendoka, répondant à l'étrange instinct que celle-ci provoquait en elle, fondit sur elle et la fit léviter à toute vitesse vers la surface. Un coffre émergeait à moitié de l'endroit où se tenait la créature avant d'être soulevée, mais Arwen l'ignora, son attention tout entière à sa cible.

Fermement accrochée à une patte inférieure, elle dut libérer victime du sort à mi-chemin, le temps que le sort agisse à nouveau, avant de s'envoler avec elle d'une traite jusque dans les airs, à deux mètres au dessus de l'eau. Sa main relâcha alors malgré elle la patte de l'énorme crevette reptilienne, et la demoiselle retomba à l'eau, haletant bruyamment à la surface tandis que sa cible était toujours maintenue dans les airs. Une fois son souffle retrouvé, elle fixa sans ciller la créature et ordonna au crocodile qui l'avait suivie en désignant le fond des eaux d'où ils revenaient:

- Crok, reste auprès du coffre ! Redescend près du coffre !

Arwen ne pouvait s'éloigner de la crevette reptilienne, et ne l'envisagea même pas. Elle la ramènerait sur l'île pour l'affronter et la suivrait jusqu'à sa mort. Pour autant, elle n'oubliait pas sa quête et ne voulait pas revenir chercher aux mêmes endroits sous l'eau : le coffre serait un bon point de repère à son retour, et un élément de plus à fouiller. La pirate nagea donc sous le monstre qu'elle faisait léviter au dessus d'elle et regagna ainsi l'île. Elle se concentra alors pour repérer le duo de pirates le plus proche d'elle, et suivit les deux silhouettes sanguines que son don lui fit ressentir, l'Iron Crevette toujours en lévitation dans les airs. La carapace solide qui protégeait la bête rappelait à la kendoka un héros de fiction à l'armure de métal, et elle décida de conserver le surnom d'Iron Crevette, puisqu'elle ignorait le nom de cette race...

Arwen regarda les deux crétins d'un air lassé. Tout comme les crabes des marais, son Iron Crevette n'était, à première vue, pas aussi bien protégée au niveau du ventre que sur le reste des membres. La jeune femme voulait donc tenter de déchirer sa chair en la maintenant en lévitation au dessus d'elle, mais les pinces de la créature étaient plus longues que celles des crabes et son attaque présenterait de dangereuses ouvertures pour son ennemi. Elle avait donc espéré pouvoir compter sur l'aide d'Olgin, Filinger ou Brisban pour la couvrir. Et voila qu'elle trouvait pour tout soutien un couple d'arriérés couard et incompétent... La situation aurait-elle pu être plus désagréable encore ?

Arwen rougit en sentant le vent sur sa peau humide, qui lui rappela qu'elle était en sous-vêtements. Par réflexe, elle fit léviter son Iron Crevette devant les deux pirates, cachant sa semi nudité derrière l'énorme corps du monstre, qu'elle garda toutefois assez loin pour ne pas menacer leur vie. Elle s'exclama avant qu'ils ne décident de s'enfuir :

- Eh, les gars ! Vous sauriez maintenir les pinces de mon nouvel ami à distance pendant que je m'occuperais de passer sous son ventre ? A moins que les autres soient pas loin et puissent m'aider, plutôt ?

Elle pouvait toujours tenter de se débrouiller avec Seigi et Gekido : l'un pour attaquer et l'autre pour la défendre simultanément. Mais si elle pouvait éviter d'abimer ses lames...

Arwen découvrit l'arrivée de toute la bande avec ahurissement et son visage s'empourpra davantage. Les deux idiots n'avaient-ils pas précisé qu'ils appelleraient Brisban, tout simplement ??! La jeune femme saisit la veste que lui lança Filinger, et lui adressa en sourire reconnaissant tout en enfilant le vêtement. Le groupe encercla alors l'Iron Crevette en suspension, et Arwen voulut demander au quartier-maître d'essayer une attaque à distance grâce à son pistolet afin d'éviter de trop approcher le monstre et ses pinces, mais elle n'en eut pas le temps : Brisban l'abattit d'une balle avant même qu'elle n'ouvre la bouche.

Un peu étonnée de n'avoir finalement pas eu à fournir d'efforts pour tuer son adversaire, la pirate observa son cadavre en silence, se demandant s'il était prudent de l'amener en offrande au crocodile. L'animal s'était montré peu enthousiaste à la dernière tâche qu'elle lui avait confié et elle aurait voulu l'encourager, mais les tentacules de la crevette reptilienne ne lui inspiraient pas confiance. La jeune femme remercia le groupe pour son intervention, rendit sa veste au pirate en les menaçant tous du regard d'oser se retourner vers elle à son départ et rejoignit les eaux profondes dans la direction d'où elle était partie. Elle se concentra ensuite pour repérer l'énorme masse de sang que constituait le crocodile et corrigea son chemin, s'enfonçant vers le reptile aussi vite que le lui permit l'élévation sanguine

Elle tenta de l'apaiser de quelques caresses qui n'eurent que peu d'effet sur l'animal boudeur, et fut immédiatement pardonnée après la lévitation d'une proie dans sa direction. La quête reprit alors, la jeune femme vérifia que le coffre que lui avait gardé Crok ne contenait pas de masses de sang dont elle aurait eu à se méfier et l'ouvrit, reculant précipitamment tout en observant le contenu, sur ses gardes.