Une soirée particulière [Arwen]

Arwen reprit doucement conscience, mais se redressa vivement dès qu'elle réalisa la situation. Elle était encore en vie. Et dans le palais du seigneur lycan. Un reste de sang la fit tousser à nouveau, mais elle constata bien vite qu'elle avait été guérie du poison respiré. La présence de Doushi à ses côtés la fit pâlir. Elle ne s'était pas attendu à le revoir, et elle se sentait embarrassée qu'il se présente à elle à un moment où elle était si désespérée. Elle répondit tout de même, un peu déconcertée par son ton si serein :

- Bonsoir Doushi...

Elle hésita quelques secondes, puis demanda à brule-pourpoint :

- Qu'est-ce que je fais ici ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi Proda m'a-t-il protégée ? Il va bien ?

Elle devait savoir ce dont Doushi avait été mis au courant. Et surtout, le Lapin Blanc avait intérêt à être en vie, car elle tenait à le tuer elle-même.

Refusant d'un signe de main le verre que lui tendait Doushi et qui ne contenait pas d'alcool, Arwen affirma d'un ton forcé :

- Bien, je suis heureuse que Proda soit sain et...

La kendoka s'interrompit tout à coup, l'air pensive.

- ... Des crayons ? Pourquoi t'aurait-il donné des...

Une fois de plus, la jeune femme ne finit pas sa phrase, prise d'un horrible soupçon. Sans rien ajouter, elle bondit du lit et se précipita vers l'unique miroir de la chambre. Les yeux écarquillés et l'air horrifié, Arwen lâcha une plainte désespérée à la vue de son reflet cauchemardesque.

- Mes cheveux !!! Mon visage !!!

La peau blafarde et les cheveux aussi blancs que la soie qui l'avait enveloppée, la jeune femme semblait avoir perdu le peu de couleurs que son profil arborait encore au matin. Les seules couleurs qui égayaient sa figure étaient celles laissées par des dessins soigneusement faits au crayon. Arwen fronça les sourcils et plissa les yeux.

- Des...

Elle se tourna vers Doushi, l'air incrédule.

- Des chats ? Tu as dessiné des chats sur mon visage ???!!

Soudain, ébahie par l'audace et l'humour déplacé du jeune homme, Arwen éclata de rire. Elle eut besoin d'un moment pour se calmer, puis elle souffla tout en allant chercher de quoi s'essuyer le visage :

- Quand je vois ça, je me rends compte à quel point il est risqué de dormir à tes côtés...

Tout en essuyant méticuleusement les oeuvres de Doushi face au miroir, Arwen sourit :

- Hmm, j'aime beaucoup les lapins... Mais ne t'en prends plus à mon visage avant d'avoir appris à les dessiner, veux-tu ?

La dernière remarque du jeune homme lui rappela leur éloignement, et son sourire amusé disparut aussitôt. Elle avait l'impression que tous les ennuis qui avaient accablé son esprit lui revenaient d'un seul coup, encore plus douloureux à présent qu'elle était près de lui. Elle murmura :

- "Habituellement", oui...

Elle termina d'enlever les dernières traces de crayon qui lui barbouillaient le visage et s'efforça de ne pas trahir sa tristesse :

- Alors je regrette d'autant moins de t'avoir autant réclamé. Si j'avais su tes élans artistiques, je t'aurais encore moins laissé d'occasions de dormir. J'ai été téméraire.

Arwen détailla son reflet blanchâtre dans le miroir et hocha la tête d’un air contrarié à la supposition du dessinateur :

- Oui, mes cheveux en sont morts…

Elle délaissa enfin le miroir et rejoignit calmement Doushi, auquel elle vint faire face.

- Mais je suis déjà remise, rien ne m’empêche dès maintenant de me montrer plus téméraire…

Passant doucement un bras derrière la nuque du jeune homme, elle l’enlaça étroitement tandis qu’elle approchait son visage du sien. S’il se laissait embrasser, elle en profiterait pour le fouiller discrètement et lui subtiliser les crayons dont il s’était servi sur elle pour lui rendre la pareille. S’il la repoussait, eh bien, cela engagerait un peu plus tôt la discussion plus sérieuse qu’elle avait projeté d’avoir. Mais pour l’instant, elle était heureuse de l’avoir auprès d’elle et espérait que cette entente complice durerait encore avant d’avoir à lui réclamer des explications dont elle redoutait l’issue.

Passionnée par la sensation merveilleuse des lèvres du jeune homme contre les siennes, Arwen tarda à passer sa main libre sur ses vêtements pour le fouiller. Mais elle eut à peine commencé qu’un contact sur sa joue la fit reculer soudainement, l’air furieux.

- C'est-à-dire que je ne m’attendais pas à ce que tu oses profiter de mes sentiments pour mieux me piéger !

S’exclama-t-elle en prenant une expression révoltée, bien qu’elle-même ait également nourri les mêmes intentions traitresses. Après avoir foudroyé Doushi du regard, elle reprit leur échange là où ils l’avaient interrompu. Tout en continuant à l’embrasser tendrement, elle saisit ses mains dans les siennes et l’enlaça sans les lâcher pour les retenir dans son dos. Elle savoura ainsi pleinement leur baiser, sans risque d’apparition de chat ou lapin sur son autre joue.

Lorsqu’elle eut assez retenu Doushi pour se consoler des précédents jours pendant lesquels elle avait souffert de son absence, elle éloigna lentement son visage, lui sourit et s’en alla s’essuyer à nouveau la joue, effaçant le petit félin (mal) dessiné. Puis, elle retourna s’allonger sur le lit, où elle s’écarta sur un bord tout en fixant le jeune homme, le réclamant auprès d’elle. Après un silence d’appréhension, elle engagea la discussion qu’elle redoutait :

- J’ai confiance en toi. Je ne doute pas de ta fidélité ni de la sincérité de tes affirmations. Mais se méprendre ne signifie pas mentir. Tu as été honnête avec moi, mais tu t’es trompé, tout simplement.

Elle plongea son regard azuré dans les yeux sombres de Doushi, et expliqua :

- Je n’aurais jamais pu supporter qu’Alucard te torture, plutôt ignorer ma fierté et me taire que de risquer le moindre mal à ton encontre. De même, je ne peux m’empêcher de souffrir de ton absence, j’ai besoin de ta présence à mes côtés. Je t’aime, et l’amour ne se vit pas autrement.

Elle lui sourit tristement alors qu’elle poursuivait :

- Tu n’as pas souffert de me voir en peine sous la torture, et pas plus lorsque tu t’es éloigné de moi. Tu tiens à moi, je le sais : mais en tant qu’amie, pas davantage. Tu t’es mépris sur tes sentiments, Doushi.

Arwen avait compris les véritables sentiments du jeune homme quelques jours plus tôt et s’était faite à cette désillusion, mais le dire à voix haute raviva sa peine comme au premier jour et elle ne parvint pas à en dire plus. Retenant ses larmes et se maudissant de se montrer encore si sensible, la jeune femme se leva du lit et se dirigea vers la porte avec empressement. Elle ne voulait pas faiblir devant lui, elle irait noyer son chagrin en taverne et retournerait ensuite à sa chambre en auberge. Alors qu’elle ouvrait la porte, elle fit l’effort d’une dernière remarque, sans toutefois se retourner :

- Ceci dit n’espère pas pour autant que je te rende ton haut.

Surprise que Doushi referme la porte pour la retenir, Arwen l'écouta avec attention. Le jeune homme lui parlait sèchement, et elle fut stupéfaite de l'assurance avec laquelle il la contredit, tant elle avait été persuadée qu'il ne partageait pas ses sentiments. Sa logique était tellement opposée à la sienne, elle aurait été incapable de la comprendre sans cette discussion. Elle restait en désaccord avec certains points qu'il évoqua, mais ces différences d'opinion lui importaient peu. Sans dire un mot, elle l'approcha et, timidement, l'enlaça avec douceur. Elle le retint dans ses bras un long moment en silence avant de souffler d'un ton affectueux :

- Ca veut dire que tu ne me réclameras pas ton haut, alors...