Si tu ne peux vivre en samurai, meurs au moins en samurai

Une épée manqua de peu la kendoka pour atteindre la poitrine du vampire fou, l'arrachant à sa colère dans un sursaut de surprise. Mary la rappela à l'ordre, l'air furieux. Ce brusque retour à la réalité choqua la jeune femme, qui se figea d'horreur au milieu de l'affrontement sanglant qui opposait ses nouveaux camarades de bordée à l'armée venue la secourir sur ordres de l'homme qu'elle aimait. Et ce sang, cette violence, au nom des besoins de divertissements de son propre Maitre ? Son traitre, son déloyal de Maître, sadique et impitoyable. Et maintenant, son capitaine exigeait d'elle qu'elle prenne part à la capture de celui qui avait été envoyé pour la sauver justement de Mary ? Le désespoir, la colère et la tristesse l'envahir, elle eut l'impression que le temps s'était arrêté autour d'elle pour mieux lui imposer la scène de combat entre deux camps auxquels elle appartenait et se déchiraient -la déchirait.

Elle retira violemment la lame empalée dans le corps d'Alucard et partit en quête d'Alec, comme le lui avait demandé Mary. Pas pour le capturer, non. Mais peut-être parviendrait-elle à faire cesser toutes hostilités en expliquant la situation aux deux chefs. Bien sûr, elle n'appréciait pas vraiment le jeune homme et se serait habituellement réjouie de l'affronter, comme elle l'espérait un peu plus tôt. Mais la raison de son assaut contre le Ruby Read n'avait plus rien à voir avec ce qu'elle avait pu supposer, et son aide importait à Arwen bien plus que les considérations puériles qu'elle lui portait.

Tout en éloignant de son passage les soldats sous les coups de la lévitation sanguine, la jeune femme évitait autant que possible de se mêler aux combats, parant les frappes sans y répondre lorsqu'elle pouvait encore avancer. Au bout d'un moment, cernée par plusieurs adversaires, elle sentit que la défense ne suffirait pas à l'extirper de ces derniers et préféra fuir en s'élevant quelques bons mètres au-dessus d'eux. Finalement, ce n'était pas plus mal ainsi : de l'intérieur de la masse, il lui était difficile de repérer le jeune stratège. Depuis sa position dans les airs, elle dominait l'ensemble des opposants. Faisant mine de chercher Alec du regard pour ne pas s'attirer les foudres de Mary, elle profita de ce répit pour appeler le Mage de Sang.

- Comment avez-vous pu provoquer pareil désastre ? Vous savez mon attachement au chevalier noir, comme vous savez la fidélité que je voue maintenant à mon capitaine ! Pensiez-vous que j'accepterais cette trahison comme je supportais vos petits amusements à mon encontre ? Seriez-vous mort depuis trop longtemps pour comprendre la différence de portée entre le sacrifice inutile de mes alliés et quelques araignées lancées au visage ?! Arrêtez-les, faite cesser les combats immédiatement !

Mais Alucard n'obéit pas à ses supplications. Et bien qu'elle ait prévu de parler au stratège et à la pirate pour tenter de mettre un terme à cet affrontement insensé, la peur de n'être pas écoutée et de causer la perte du jeune homme la fit s'adressa à la seule personne capable de l'aider. Mais celle-ci le voudrait-elle ? Les pensées tourmentées d'Arwen appelèrent en échos désespérés son Maître en Mana, lui criant de lui venir en aide :

- Mea Culpa, Lucrecia... Je vous en prie, Maître, aidez-moi !

Alucard retira l'épée de son corps en ricanant, hilare. N'ayant aucune intention de répliquer aux coups de la furie blanche, qu'il évitait sans difficulté, il la laissa tranquillement empoigner la lame pirate, prêt à la provoquer de nouvelles parades horriblement passives. Mais la jeune femme fut rappelée à l'ordre par son capitaine, et l'ignora finalement pour rejoindre ses camarades dans la masse de soldats. Il cria joyeusement à son adresse :

- Comment, en as-tu déjà terminé ?!!

Arwen dût effectivement en avoir terminé, car elle ne répondit pas et disparut au milieu des combats. Le vampire en profita pour retrouver Mary, qu'il accompagna avec enthousiasme. Autour de lui, les armes s'affrontaient dans des entrechocs furieux, devant lesquels il reculait parfois calmement pour ne pas être lui-même touché. Mais c'est sur le capitaine qu'il reportait son véritablement son attention, critiquant d'un ton moqueur les défauts qu'il trouvait à ses attaques. Après un long moment à s'amuser de commentaires désobligeants, il fut toutefois distrait par son apprentie, qui le somma d'interrompre la querelle. Il répondit d'un ton ferme et accusateur :

- Je ne te dois aucune faveur, nécrophile insolente ! Ta bêtise seule a provoqué cette situation, et je ne reviendrai pas sur la nouvelle preuve d'irresponsabilité de mon élève idiote ! Après tout l'entrainement que tu as reçu, de Lightfellow autant que de moi, te laisser enlever si facilement en plein Nieb ! Qu'as-tu retenu, qu'as-tu écouté des moyens de défense que nous t'avons enseigné ? Mais plus grave encore : n'as-tu pas assez promis fidélité à des factions éparses pour ajouter à celles-ci ta loyauté en piraterie ? Combien de fois t'ai-je reproché ton dévouement contradictoire avec la mangeuse d'herbes du Nieb, alors que tu suivais déjà deux Maîtres du Sahoc et un mage du Neutre ? Tes allégeances trop nombreuses et incompatibles ne pouvaient qu'aboutir à une implosion, puisque tu es incapable de décider toi-même ! Ce "désastre" n'est pas mien, nécrophile : c'est le résultat de ton irrésolution. Assume seule tes promesses dispersées à des vents contraires !

Inflexible, Alucard se détourna de la jeune femme qui le foudroyait du regard depuis les airs, et repris ses taquineries auprès du capitaine, applaudissant bruyamment à un coup qu'elle était parvenue à porter à un adversaire. Mais peu de temps après, trois mots dissipèrent soudainement tout son amusement à railler la demoiselle. "Mea culpa, Lucrécia".

Le mage de sang leva la tête dans un sursaut et, l'air affolé, regarda la kendoka raconter à voix haute ses aventures depuis sa capture. Il ne perdit pas un instant de plus et fit aussitôt se retourner le capitaine d'une main sur l'épaule. Furieux, il siffla en pointant Arwen du doigt :

- Qu'attendez-vous pour la ramener parmi l'équipage, au lieu de la laisser voleter à rien faire pendant que vos hommes la défendent à l'épée, sombre ahurie ???!

Les aboiements de son capitaine angoissèrent la kendoka. Elle devait descendre, les pirates la regardaient étrangement, et elle réalisait à présent l'impression qu'elle avait du donner d'elle, à converser à voix haute à l'adresse d'une personne qu'elle était la seule à pouvoir entendre... Résignée, elle rejoignit ses camarades sur le bateau et levait déjà Gekido pour se protéger lorsqu'un rire strident tortura ses oreilles. Elle sourit, ravie. Bien que douloureux, elle accueillait le rire de la sorcière avec soulagement, car il annonçait son intervention. Et effectivement, quelques secondes après, une brume s'éleva, aveuglant les pirates autant que les soldats. Arwen profita alors de la cécité de son capitaine pour lui fausser compagnie et courir en direction d'Alec. Elle ne voyait pas mieux que les autres, mais le don du sang lui faisait ressentir la présence de tous corps sanguins autour d'elle, et elle n'eut aucun mal à se frayer un chemin jusqu'à lui. Elle posa alors la main sur son épaule et murmura tandis que la brume s'éclipsait :

- Alec, c'est moi. Alucard t'a menti, je ne suis plus en danger maintenant que j'ai accepté de me joindre aux pirates. Rentre vi...

Arwen s'interrompit. Un soldat venait de vomir des grenouilles sur ses bottes. Plus furieuse qu'étonnée, elle se retourna pour le gifler, et arrêta son geste lorsqu'elle vit vomir à leur tour tous les hommes autour d'elle. En fait, elle semblait la seule épargnée par cette étrange maladie. Elle haussa finalement les épaules, acceptant cette intervention créative de la sorcière, et poursuivit à l'oreille du stratège :

- Rentre vite, je te suis sincèrement reconnaissante de ton aide, mais tu arrives trop tard : j'ai juré fidélité et ne peux plus revenir en arrière. Au revoir !

Les pirates remontaient sur le Ruby Read, elle courut dans leur direction et s'immobilisa juste devant le bord à franchir, pour s'exclamer à l'écart de ses alliés :

- Merci Maître ! Il me tarde de vous revoir !

Puis, elle vola jusqu'au bateau pirate. Là, une silhouette carmin affalée sur le bord du navire vomissait des grenouilles dans la mer. Ricanant d'un air malveillant, Arwen s'en approcha et lui tapota "amicalement" le dos avec force, faisant sortir un peu plus d'amphibiens à chaque frappe.

- Le mal de mer, Maître Alucard ? Ha, quand on a pas le pied marin, c'est terrible, les voyages en navire...

N'y tenant plus, la kendoka éclata de rire, ravie d'avoir été vengée. Non seulement les combats avaient cessé, mais en plus, le vampire avait été puni pour sa trahison ! Recouvrant son sérieux et voyant que les pirates régurgitaient de moins en moins de grenouilles, elle s'éloigna discrètement et tenta de se dissimuler dans la masse de pirates les plus distants du capitaine. Elle espérait naïvement pouvoir échapper à ses interrogations, de même qu'elle ne tenait pas particulièrement à parler davantage à Alucard, maintenant que le sort s'était totalement dissipé.

La kendoka finit par descendre des airs où elle était restée perchée. Alucard s'avança vers elle les poings serrés, prêt à lui faire regretter son appel à l'aide, lorsqu'une brume s'éleva tout à coup. Il se figea aussitôt. Il n'avait pas besoin de sa vue pour retrouver Arwen, mais l'effroi le paralysait sur place. Qu'allait donc encore inventer la vieille mégère ? Le vampire observait craintivement son entourage, attendant que l'un des combattants montre les premiers symptômes de ce qu'il devrait sûrement lui aussi subir. Mais il n'y eut pas de signes avant-coureurs : un hoquet le secoua, et il se retrouva tout à coup au sol, vomissant des grenouilles en chœur avec tous les autres hommes.

Fou de rage de cette nouvelle humiliation, il tenta de se relever et de rattraper l'élève de la sorcière, mais il en fut incapable. Des grenouilles fraichement sorties de la bouche des pirates et soldats bondissaient joyeusement autour de lui tandis que lui régurgitait des cadavres de petits amphibiens rouges. Il ne parvint toutefois pas à s'émouvoir de cette particularité personnelle, et suivit comme il put les pirates jusqu'à leur navire. Il s'accouda alors au bord du bateau et vida le contenu de son estomac par dessus mer. Il sentit alors de brusques frappes dans son dos qui firent surgir de sa bouche un peu plus de grenouilles à la fois. Bouillant de rage, il jura intérieurement, et supporta ses hoquets et crises de vomissement sous les pensées vengeresses des tortures qu'il s'imaginait réserver à la kendoka une fois que le sort serait passé.

Petit à petit, à mesure que le navire s'éloignait des soldats du Sahoc, les grenouilles se faisaient moins nombreuses, et finalement semblèrent avoir toutes quitté les estomacs des victimes de la sorcière. A peine relevé, Alucard fila à la recherche d'Arwen, le regard menaçant. Il parvint ainsi jusqu'à un regroupement de pirates d'où il reconnut son parfum. Il bouscula sans ménagement les hommes dans son chemin, les envoyant d'un geste de la main tomber quelques mètres plus loin sur leurs frères d'arme, et retrouva la demoiselle. Il lui laissa tout juste le temps de blêmir à la vue de son expression furieuse avant de l'envoyer au sol d'une claque magistrale. Le chapeau protecteur de la demoiselle tomba de sa tête à sa chute, mais alors qu'elle tendait la main pour le récupérer, Alucard la souleva par le col et l'éleva ainsi jusqu'à hauteur de son propre visage.

- Je te jure que tu me le paieras, maudite idiote, sois-en certaine ! Toi et moi, nous savons bien que tu seras obligée, dans un futur proche, de venir sur mon territoire me demander service, et n'en doute pas une seconde : tu laveras ton affront dans l'humiliation et la douleur !

Ses iris couleur sang étaient emplis de haine et de rage. A la réponse de la jeune femme, il la jeta violemment et se mit devant le chapeau vers lequel elle se pressait, l'empêchant d'attendre sa protection contre les brulures du soleil.

- N'était-ce pas toi qui voulais un combat ? Sors ton sabre, nécrophile arrogante, tu le peux à présent... s'il t'en reste le courage.

Arwen avait souvent vu son Maître furieux, mais la haine meurtrière qui enflammait son regard carmin lorsqu'il vint la rejoindre démontrait une rage qu'il n'avait encore jamais vécue en sa présence. La gifle qu'il lui administra l'envoya directement au sol et, étourdie, elle le laissa passivement la soulever par le col, à peine capable d'assimiler les menaces venimeuses du vampire. Déjà, elle commençait à ressentir la chaleur accrue du soleil sur son visage découvert. Pourtant, elle ne put s'empêcher de répliquer d'un air de défi :

- Vous auriez pu éviter cela simplement en expliquant la situation à Alec comme je vous avais supplié de le faire ! Vous l'avez bien mérité, et devriez vous estimé heureux de cette petite punition car je vous aurais souhaité pire encore ! Toutefois, l'affront n'est pas directement de moi, vous savez qui a lancé ce sort et si vous en aviez moins peur, c'est à elle que vous vous adresseriez plutôt que de menacer votre propre apprentie !

Elle se sentit soulagée lorsqu'il la fit enfin tomber à terre, rassurée d'être enfin libérée pour parvenir jusqu'au chapeau que Mary lui avait donné. Mais alors qu'elle filait vers le couvre-chef, Alucard se mit en travers de son chemin. Angoissée par la douleur lancinante qui commençait à se répandre sur son visage, elle espéra qu'il la laisserait le contourner et ne lui faisait face que par intimidation. La réflexion qui suivit son geste réfuta ses souhaits naïfs. Elle lui rendit son regard assassin... et fondit sur lui, Gekido brandi.

Le mage de sang ne prit même pas la peine de s'armer, et se contenta d'esquiver agilement le sabre serpent, qui s'abaissa pourtant sur lui avec une vivacité surprenante. S'engagea alors un échange inégal : alors que la jeune femme élançait sans cesse sa lame vers lui, le vampire s'écartait simplement en dehors de son passage, ses dons vampiriques lui conférant une vitesse bien trop élevée pour la kendoka affaiblie par la faim et la fatigue. Gekido, emporté par son élan, finissait abaissé sans avoir atteint sa cible, et celle-ci en profitait pour frapper sa propriétaire, l'envoyant au sol de gifles aussi violentes que la première.

Le visage en feu, endolori autant par le soleil que par les coups de son adversaire, Arwen, de nouveau envoyée à terre, hésita à se relever. Elle était à bout, et ne trouvait plus la force de s'opposer à son Maître. Alors que l'abattement la menaçait, son esprit combattif se réveilla, insurgé à l'idée de renoncer. Relevant la tête, la kendoka fixa Alucard d'un regard déterminé, puis se jeta sur lui, Gekido élancé vers son buste. Le vampire disparut pour réapparaitre près d'elle, mais cette-fois, la magie du sang le replaça brusquement au dernier instant face au sabre serpent. Le katana béni frappa, tranchant son ennemi de l'épaule à la taille. Du sang s'étendit rapidement sur le costume victorien du vampire, que la bénédiction du sabre empêchait de se régénérer aussi rapidement que d'ordinaire. Arwen n'attendit pas qu'il se remette de son étonnement et planta Gekido au niveau de son coeur, en pleine poitrine.

Malgré la douleur apparente que le serpent béni parvint à partager à son adversaire, celui-ci réussit à repousser violemment la kendoka et lui envoya son poing dans l'estomac. Le souffle coupé, elle s'affala au sol une fois de plus, tremblante de douleur sous la lumière nocive du jour. Elle sentit Alucard s'approcher vers elle d'un pas menaçant et par réflexe, l'expulsa par lévitation un peu plus loin. Elle se releva maladroitement et courut vers son chapeau, qu'elle enfila de justesse avant que le vampire ne revienne lui faire face, toujours aussi énervé...

Le petit loup et la racaille qui se joignit à lui pour protéger Arwen détournèrent suffisamment son attention pour lui faire oublier sa colère, et son amusement habituel lui revînt aussi soudainement que la sorcière l'avait fait disparaitre. Mary intervint à ce moment là pour réciter leur accord, ce à quoi il confirma d'un hochement de tête :

- Parfaitement, parfaitement, c'est justement pour le respect d'une promesse que j'ai dû embarquer parmi la vermine au lieu de retrouver ma place sur le navire du gamin. Je ne pouvais vous faire respecter votre parole depuis le navire royal, aussi partirai-je dès qu'il m'en sera possible, après votre engagement tenu !

Il observait la jeune femme d'un regard triomphant, un long sourire moqueur égayant son visage blafard. Puis il ajouta, en réponse à l'attaque de l'un des "membres de l'équipage" :

- Quant à votre nouvelle recrue... Je lui trouvais simplement le teint pâle, j'ai pensé qu'un peu de soleil lui redonnerait des couleurs. N'avais-je pas raison ?

Le visage habituellement blanchâtre d'Arwen était désormais effectivement rougi par les brulures du soleil...

- Si j'avais réellement voulu la blesser ou la tuer, ce serait déjà fait. Par ailleurs, laissez-moi émettre quelques doutes quant à son prétendu lien de "fraternité" avec l'équipage... A peine arrivée, n'a-t-elle pas fait preuve d'une indiscipline peu cohérente avec l'esprit de piraterie ? Combattant les mauvais adversaires et fuyant par les airs les combats tandis que les hommes se battaient pour elle contre les soldats du Sahoc... Ou encore provoquant des indigestions de grenouilles à l'ennemi comme à ses propres alliés ? En définitive, je ne vois dans son allégeance que des paroles, et bien peu d'actes faisant d'elle l'une des vôtres...

Il laissa au capitaine le temps de réagir à cette accusation envers Arwen, puis conclut d'un ton enjoué :

- Bien, qu'attendez-vous donc pour respecter votre promesse ? On ne va pas y passer l'après-midi !

A son grand étonnement, Olgin vînt à son secours face au vampire, puis Brisban et le reste de l'équipage. Reconnaissante et touchée par leur solidarité, elle se releva à leurs côtés et affronta le regard carmin d'Alucard. Mais Mary arriva alors, et évoqua ce qui ressemblait à un accord tacite. A quel moment avaient-ils pu conclure un marché ? Le damné répondit, et réclama à la pirate un gage qu'il prétendait qu'elle lui devait. Arwen était de plus en plus perdue. Que signifiait ces propos ? Elle voyait mal Mary tenir la conversation au vampire en plein combat. Un détail ressurgit alors dans son esprit. Alucard était arrivé sur le bateau dans son dos. Etait-il donc parvenu à bord du Ruby Read avant l'attaque des soldats ?

La kendoka se sentit pâlir aux récriminations du vampire, qui remettait en question son appartenance à l'équipage... et les arguments qu'il énumérait n'étaient pas complètement faux. A vrai dire, ils étaient même justes. Elle venait tout juste d'entrer en piraterie que déjà, elle avait indirectement défier les ordres de son capitaine. Elle n'intervint pas dans la conversation, mais observa Mary d'un oeil inquiet, redoutant sa réaction.

La question de son capitaine en les circonstances présentes prit de court la kendoka. Pourquoi la pirate voulait-elle s'enquérir de ses liens avec le vampire avant de respecter sa promesse ? Elle n'aimait pas beaucoup la sensation d'oppression que le regard de Mary lui faisait ressentir, mais tenta de l'ignorer et de se calmer pour réfléchir à la réponse qu'elle allait donner.

Elle avait pensée évidente son amitié avec Alucard et ne s'en était jamais cachée : les pirates ne l'avaient-ils pas rencontrée en sa compagnie ? Toutefois, bien qu'il soit même venu la secourir auprès d'Alec, elle comprenait que le combat qui venait de suivre pouvait avoir quelque peu étonné l'équipage. Mary déciderait-elle de s'attaquer au mage de sang dans le cas où elle ne le présenterait pas en ami ? Arwen leva les yeux vers le vampire, qui souriait avec un air de prédateur. Espérait-il une provocation du capitaine pour justifier un nouveau massacre ? Elle ne comprenait pas ce que les deux opposants semblaient attendre d'elle, mais l'eut-elle deviné que cela n'aurait pas changé sa réponse, que sa nature franche l'eut faite exprimer de la même manière quelle que fut la situation :

- Alucard... est mon ami autant qu'il est mon ennemi. Il ne sait être l'un sans l'autre.

Les yeux bleus de la jeune recrue passèrent alternativement de son capitaine à son Maitre en Magie, interrogateurs. Sa vision du mage de sang définirait-elle une réaction particulière de l'un des deux ennemis ?

Alucard émit un ricanement narquois à la tentative du capitaine de retourner contre lui sa propre ruse. Naturellement, la petite explication qu'il venait d'avoir avec la kendoka, sa distraction précédente également, pouvait avoir fait espérer à Mary la rupture des liens qui les rapprochaient tous deux. Mais lui connaissait trop bien Arwen pour douter un instant de l'importance qu'elle attachait à leur relation. Oh, elle essaierait sûrement de venger l'affront qu'elle venait de vivre, il pouvait l'imaginer sans trop de difficulté... mais elle le ferait de front, et non par le mensonge, qui lui était méprisable.

La réponse d'Arwen s'avéra plus mitigée que ce à quoi il s'était attendu, quoiqu'il avait eu raison de croire en sa franchise immuable. Hmm, eh bien, il faudrait s'en contenter. Alucard haussa les sourcils, l'air à la fois amusé et impatient tandis qu'il chantonnait gaiement :

- A-ge-noux !

La kendoka avait confirmée leur relation d'alliés, malgré le léger défaut un peu discordant qu'elle lui trouvait. Pour lui, c'était bien assez pour lui donner raison et obliger le capitaine à remplir son gage.

Le sourire d'Alucard, pourtant toujours étonnamment expressif, n'avait jamais paru aussi étiré qu'en l'instant présent, tandis qu'il rendait à la pirate rebelle un regard éperdu de joie. Et la colère contenue des marins autour d'elle comblait davantage encore une satisfaction déjà à son apogée, au point qu'Alucard grava cette scène dans son esprit, décidant que c'était décidément l'un des moments les plus jouissifs de sa mort. Il ricana alors d'un ton doucereux, avant que Mary ne se relève :

- Eh bien, vous accepterez peut-être mieux mes opinions, à présent que vous en êtes également consciente !

Puis, il lui tourna le dos sans plus d'attention, son long manteau de cuir lui fouettant le visage au passage. Il rejoignit Arwen, sur l'épaule de laquelle il posa sa main en expliquant d'un ton faussement indulgent :

- Pour l'instant je t'autorise à me considérer comme un ami uniquement : je suis d'humeur clémente, je te pardonne tes torts, ma nécrophile adorée !

Il tourna un regard moqueur vers Mary, lâcha un bref gloussement et ajouta :

- Enfin, tu ferais tout de même mieux de suivre mon conseil et de limiter tes allégeances. Quand on voit certains des Maîtres que tu sers...

Satisfait de l'agacement de la kendoka, il put enfin revenir auprès du capitaine pour confirmer :

- Je partirai dès qu'il m'en sera possible, comme promis... Je n'aurais d'ailleurs pas eu à rester si vous aviez respectée votre promesse dès l'instant où j'ai prouvé avoir remporté notre pari, mais puisque vous semblez tenir à prolonger ma visite sur votre rafiot, je devrai attendre en votre compagnie que vous me fassiez regagner la terre ferme.

- A-ge-noux !

Arwen n'eut pas le temps de s'ahurir de la situation, quoiqu'elle fut aussi incrédule que les autres. Elle ne voyait plus Mary, ni personne d'autre d'ailleurs, à l'exception d'Alucard. Le vampire affichait une expression victorieuse tandis qu'une jeune femme s'agenouillait devant lui, son regard haineux levé vers lui. Elle était vêtue tout de blanc, et portait une couronne qui confirma à la kendoka son rang de reine. Les deux ennemis se trouvaient non pas sur un navire, mais sur ce qui ressemblait à un échiquier géant, et derrière eux, Arwen put même apercevoir Ryu le renard se précipiter vers une entrée et Mythril, l'air furieux, marcher à sa suite. Les catacombes ???!! Mais non, le décor changea de nouveau et le vampire se tenait maintenant à ciel ouvert, devant son meilleur ami, à qui il déclarait d'un ton narquois :

- Agenouille-toi, mon aimé. Je sais ton infériorité, mais je voudrais que tu me la témoignes toi-même...

Mythril s’exécuta d'un air effaré, mais Arwen ne s'en étonna pas, car elle avait reconnut la plaine des duels. Une main se posa tout à coup sur l'épaule de la kendoka, qui sursauta et écarta violemment le bras d'Alucard.

-... uis d'humeur clémente, je te pardonne tes torts, ma nécrophile adorée !

Il dut prendre son geste pour un signe de colère, car il partit ensuite taquiner Mary d'un air satisfait. Arwen, de son côté, était perdue dans ses pensées. Ce n'était pas la première fois qu'elle était sujette à ces étranges visions d'un passé auquel elle n'appartenait pas, mais elle ne les avait pas vécues depuis longtemps, ces dernières s'étant principalement manifestées les premières semaines de son arrivée.

Mary n'avait pas besoin d'élever la voix pour se faire entendre : aussitôt qu'il l'avait entendue hurler le nom de la nécrophile d'une voix furieuse, Alucard était apparu près d'elle, souriant légèrement en retrait. Lorsqu'elle chargea la pauvre blonde de la responsabilité de sa visite, il gloussa :

- Oh, bien ! Très bien ! Je prendrai le lit, mais t'autoriserai à dormir sur le plancher !

Suffisamment repus de la colère de Mary, il resterait à présent aux côtés de son apprentie, qu'il avait hâte de voir pourchasser les grenouilles du navire.

L'aboiement de Mary fut comme un coup de fouet pour l'esprit dérouté de la jeune kendoka, qui releva la tête d'un air de stupeur. Son capitaine paraissait furieux, elle déglutit bruyamment, inquiète, et se redonna courage à la pensée qu'aucune colère ne serait assez redoutable pour lui faire regretter son appel à l'aide. Mieux valait l'insatisfaction de la furie rousse que la terrible bataille entre les pirates et les hommes d'Alec. Les hommes de Néo. Pourtant, Arwen ne put réprimer une grimace horrifiée lorsque Mary la rendit responsable du vampire fou, qui d'emblée se réserva le lit de sa cabine.

- Quoi ??!

Elle foudroya son Maître du regard. Elle avait croupi dans une cale pendant des jours entiers tandis que lui avait eu droit à tout le confort du navire royal ! Aucune chance pour qu'elle lui laisse son lit, ils auraient matière à débattre, au soir !

A son soulagement, son capitaine ne l'interrogea pas au sujet de la sorcière, la kendoka n'eut donc pas à lui mentir. Elle acquiesça docilement :

- Très clair.

Puis, une nouvelle sanction tomba, et elle regarda d'un air atterré la multitude d'amphibiens qui sautaient joyeusement un peu partout sur le navire, comme pour la narguer. Alucard lui sourit, ricanant d'avance du spectacle dont elle allait le distraire. Elle soupira et se mit à la tâche. Les quelques jours qui s'écoulèrent avant que le Ruby Read ne regagne les terres de l'empire lui parurent infiniment longs auprès du vampire fou.