Traces remontées [PV Arwen]

Bien qu'elle ne lui adressa pas un seul regard, Arwen écoutait Doushi avec attention. Elle était toujours aussi froide envers lui que depuis son retour au palais du seigneur lycan, et ne lui parlait que lorsque cela était vraiment nécessaire, par phrases brèves. En l'instant, sa rancune n'était gênante ni pour lui ni pour elle, toutefois. Le jeune homme se souciait peu de son antipathie et quant à elle, la mission dans laquelle ils s'étaient engagés l'enthousiasmait suffisamment pour qu'elle ait le temps de se préoccuper de sa présence.

-"Pas de plans particuliers, nous devons juste couper la tête de ce groupuscule en profitant de l'effet de surprise..."

Elle sourit pour elle-même. C'était le genre de plan fait pour lui plaire ! Elle n'avait complètement récupéré de sa blessure que trois jours plus tôt, et n'avait depuis toujours pas rattrapé ses besoins de combats au sabre cumulés entre temps. Leur devoir consistait l'occasion idéale pour assouvir ses envies de duel réprimées depuis trop longtemps.

Doushi nuança alors leur massacre imminent : l'une de leurs cibles, un certain "Proda", serait peut-être à épargner, selon ses capacités et sa volonté à s'allier à eux. Arwen était un peu déçue, mais elle retînt cet ordre qu'elle respecterait docilement, acquiesçant brièvement de la tête en ignorant royalement le regard de son collègue. Prévenue de la magie éventuelle de Proda, elle faillit, par réflexe, partager sa protection de méta-magie avec Doushi, et se rappela à temps les sorts dont il était victime et qu'elle ne devait pas briser. Elle-même étant déjà continuellement protégée par son don, elle décida de le lancer également sur Gekido, par mesure de précaution. Certaines magies affectaient directement les armes, mieux valait prévenir ce risque.

Arwen se força à rendre au jeune homme son regard tandis qu'il désapprouvait son silence obstiné. Elle savait qu'il avait raison, Doushi n'était pas responsable des torts qu'elle reprochait à Néo. Mais il en était le résultat, et sa déception était encore trop récente pour qu'elle soit capable d'une attitude plus rationnelle. A défaut de répondre, la kendoka prit une expression neutre qui remplaça ses traits agacés. Dissimuler sa rancoeur était le mieux qu'elle pouvait faire, en l'instant. Et ce d'autant plus que les critiques de son collègue lui paraissaient déplacées : lui-même, très peu bavard, répondait le plus souvent en éludant, lorsqu'il répondait, car il lui était déjà arrivé d'ignorer ses questions.

Le signal de Doushi rompit la tension entre les deux jeunes gens. Ravie de s'éloigner de lui pour s'en aller combattre, Arwen glissa dans une direction différente, soulevée par la lévitation sanguine qui l'emportait aussi rapidement que silencieusement, comme si elle eut été poussée par un vent puissant et discret. Atterrissant avec légèreté d'une ruine à l'autre, elle avança derrière les pierres dégradées au même rythme que son collègue. Le don du sang lui permettait de ressentir aveuglément la présence des corps sanguins, elle s'en servit pour éviter d'être surprise par un importun qu'elle n'aurait pas entendu. A un moment, elle devina deux silhouettes en avant du chemin que prenait Doushi. Elle s'apprêta à lui faire signe, mais celui-ci les tua aussitôt. Elle sourit et continua sa route par la voie des airs.

Séparée du camp par un dernier mur, Arwen le survola tandis que son collègue l'escaladait, et ils retombèrent chacun de leur coté sur le territoire ennemi. Seigi, le sabre serpent noir, surgit alors de son fourreau et fondit sur les premières cibles à sa portée. Pris de court, trois hommes s'affalèrent sous les morsures de la lame reptilienne avant d'avoir pu complètement sortir leurs épées. Un peu déçue de ce début trop aisé, la jeune femme attaqua ensuite avec plus d'enthousiasme les mercenaires qui vinrent à elle, lames brandies. Tandis qu'elle abattait impitoyablement Seigi vers les gorges adverses, elle faisait s'envoler chacun leur tour des mercenaires contre le mur derrière elle : éjectés brutalement sur une dizaine de mètres, les hommes heurtaient la pierre têtes la première dans un bruit sourd.

Amusée d'abattre simultanément par la magie et par le sabre, Arwen souriait d'un air enjoué. Se rappelant soudain la magie potentielle de l'un de leurs ennemis, elle fit un effort pour calmer son enthousiasme et se concentra plus sérieusement. Elle avait beau prendre plaisir à combattre, elle ne voulait pas risquer d'erreurs idiotes alors qu'elle était en mission auprès de Doushi.

Malgré sa méfiance instinctive, Arwen ne put s'empêcher d'apprécier l'hôte de la fête. Vêtu d'un élégant costume aussi blanc que ses cheveux et muni d'une montre à gousset et d'un monocle, il lui rappelait le lapin du Pays des Merveilles. A la différence près que lui n'avait rien de maladroit, et affichait au contraire une décontraction inquiétante. Sans aucun doute, il avait bien plus de charme...

Le spectacle débuta sur un tour de magie dont la kendoka, bon public, contempla le résultat d'un air admiratif, tandis que Doushi s'élançait vers le prestidigitateur. Arwen, qui ne voulait pas voir la participation de son collègue gâchée par le mercenaire ressuscité, fit s'envoler ce dernier une dizaine de mètres au dessus du sol et l'y laissa négligemment. Elle craignait que l'homme ne revienne sans cesse à la vie si elle perdait son temps à le tuer, et pensait plus simple de l'éloigner de la scène. Elle n'avait pas le temps de jouer avec lui, elle voulait observer la prestation de Proda et rester prête à intervenir dans le cas ou celle-ci mettait Doushi en danger.

Au bout d'un petit moment, l'ombre du jeune homme parvint à blesser son adversaire, et Arwen crut le combat terminé. Mais la balafre disparut aussi vite qu'elle était apparue, annonçant la fin de l'entre-acte. La jeune femme décida qu'il était temps d'entrer en scène et passa devant son collège, gênant son chemin pour le remplacer face au magicien. La magie régénératrice qui leur faisait obstacle ne pouvait provenir que de deux sources potentielles : le magicien, ou sa baguette... Arwen imposa la méta-magie sur le sceptre.

Seigi, le sabre noir, s'abattit alors à plusieurs reprises vers sa proie, la manquant à chaque fois. Mais son maître était calme et confiant, il ne s'énerva pas et continua ses attaques répétées. Enserré étroitement dans la paume gantée de la kendoka, il fendait l'air avec rapidité, ratant sa cible d'une distance infime. Et soudain, le sort de lévitation relâcha le mercenaire envolé et écarta brusquement Proda, le plaçant face à la lame reptilienne qu'il allait éviter. Seigi frappa alors sa proie d'un coup latéral au buste, puis recula, prêt à revenir à l'attaque. Le magicien tomba au sol, mais Arwen ne quitta pas la balafre sanguinolente des yeux, prudente. Sa méta-magie n'agissait pas sur les sorts d'un niveau particulièrement puissant, son stratagème pouvait avoir failli. Mais après quelques secondes de répit, le sang s'écoulait toujours de la blessure de Proda.

La kendoka tenta alors d'attendrir Doushi du regard, l'appelant silencieusement à lui permettre de proposer au mourant une alternative à son triste sort. Proda lui plaisait, elle ne voulait pas le voir mourir. Elle appréciait trop rarement un inconnu au premier regard -et même aux regards suivants d'ailleurs...- pour accepter de laisser partir l'un de ces rares cas ayant pu susciter sa sympathie immédiate. Doushi ne répondit pas. Pressée par la gravité de la blessure du magicien, Arwen décida par elle-même : appliquant le sort de lévitation sanguine pour calmer l'hémorragie, elle s'agenouilla près de lui et lui sourit. Elle souffla d'une voix doucereuse, tout en le dévisageant calmement :

- La fête est finie, mon cher hôte, et je crains que le temps ne te soit compté. C'est regrettable, ta prestation fut divertissante... Pourquoi ne pas la poursuivre ? Pourquoi attendre ton heure dans la douleur et accepter que le rideau de fin ne s'abaisse quand tu pourrais te joindre à nous et continuer ?

La kendoka approcha un peu le visage du mourant et se départit de son expression malicieuse pour un air grave et compatissant.

- Quelles raisons t'ont poussé à servir ton actuel employeur, dis-moi ? L'argent ? Le plaisir des combats ? Rien que tu ne retrouverais au service du seigneur Mirastrasa, mon ami. Je peux toutefois te citer un bénéfice que tu gagnerais à le servir lui, et que tu ne retrouverais certainement pas auprès de ton employeur... : la vie. Accepte de travailler pour le seigneur Mirastrasa à nos côtés, et je te permettrai de remettre les pendules à l'heure...

Elle lui désigna d'un bref regard le sceptre gêné par la méta-magie.Puis, elle souleva doucement la montre à gousset de Proda pour faire mine d'en constater l'avancée des aiguilles, et ôta soudainement la pression de la lévitation sanguine sur sa blessure, permettant de nouveau l'écoulement de sang massif...

- Décide-toi vite, le temps joue contre toi...

Lâchant la montre à gousset sans même s'en apercevoir, Arwen observa avec ahurissement les flèches du sceptre tourner à nouveau. La méta-magie avait comme disparue tout à coup, comment était-ce possible ???!! Elle lévita brusquement en arrière pour rejoindre Doushi, son regard incrédule fixé sur Proda. Alors que son collègue se mettait en position de combat, elle leva Seigi et souffla, un sourire amusé aux lèvres :

- Au temps pour moi. Il semblerait que notre hôte ait des talents d'horloger que je ne lui avais pas soupçonnés...

Bien qu'elle se fut adressée à Doushi, ses yeux n'avaient pas quitté le magicien blanc. Ce dernier poursuivit alors le combat contre eux, utilisant son sceptre pour les attaquer. Cette fois, et pour la première fois depuis qu'elle avait appris à manier le sabre, Arwen ne fit qu'esquiver et contrer, sans tenter d'attaque. Elle était concentrée sur ses réflexions et cherchait à comprendre le point faible du jeune homme, présumant que les frappes seraient inutiles tant qu'elle n'aurait pas compris et détourné sa magie temporelle.

Elle pensa à déplacer sa méta-magie sur la montre à gousset de Proda, dont l'utilité liée au temps avait attisé ses soupçons, et sentit que son sort faisait effet, confirmant l'influence de la magie sur l'instrument. Malgré cela, pourtant, le jeune homme parvint encore à guérir d'un nouveau coup porté par Doushi. De plus en plus perplexe et passionnée par son adversaire, Arwen sourit d'un air admiratif. La disparition soudaine de son sort sur les effets de Proda lui étaient incompréhensible, le don Calyptien reposait justement sur la protection magique ! Comment pouvait-il donc contourner son efficacité ?

L'affrontement s'interrompit sur une remarque de Doushi, à laquelle le magicien décida de répondre.

- ... Je peux peut-être vous raconter mon histoire pour vous laisser le temps de récupérer.

Arwen voulut punir sa présomption d'un coup de Gekido, qui ne demandait qu'à remplacer Seigi, la Justice, pour une émotion moins noble, mais plus fidèle au sentiment de la kendoka vexée. Elle se retint toutefois. La réponse du magicien l’intéressait sincèrement, et surtout, Doushi avait insisté pour qu'il réponde, ce qui ne lui était pas habituel. La jeune femme avait eu raison de contenir son indignation, car Proda les informa ensuite d'une présence qu'elle n'avait pas remarquée jusque là. La présence d'une personne dont elle avait entendu le nom dès son arrivée sur Calypta. Relyk Gaerty.

Surprise, Arwen daigna enfin détourner son regard du magicien blanc, pour dévisager la silhouette encapuchonnée. Mais la voix du jeune homme ramena presque aussitôt son attention sur lui. Elle retrouva le sourire, ravie de ses motivations de mercenaire. Ce garçon était vraiment... passionnant, c'était le mot que se répétait intérieurement la demoiselle. Sa personnalité, ses dons, son ambition... Passionnants !

"Et le temps reprends son cours..."

- A la bonne heure !

Proda s'élança sur Doushi lorsque celui-ci disparut, pour réapparaitre soudain dans son dos et le frapper de coups successifs. Alors que des balafres ensanglantées s'étendaient sur le corps du jeune homme, de longues fêlures atteignirent le sceptre, l'arme semblant souffrir pareillement à son propriétaire des attaques de Doushi. Et tout comme lui, elle s'en rétablît presque aussitôt !

Arwen rejoignit son collègue et lui indiqua sans plus d'explication :

- A tes pieds.

Puis elle envoya sur Proda sa lévitation sanguine, l'expulsant quelques bons mètres plus loin, avant de fondre sur lui, Seigi levé. Au sol, le sang des mercenaires massacrés se déplaçait en lignes minces pour s'avancer devant Doushi et former un message carmin :

L'un de mes dons consiste à protéger la cible de toute magie, directe ou indirecte. Seules les magies d'un niveau véritablement puissant peuvent la contrer. Le sceptre de Proda en a été affecté, il n'en fait donc pas partie, d'où mon incompréhension à la disparition de la protection que je lui avais imposée. Sa montre à gousset l'a également détournée. Les deux objets sont bien porteurs de magie, peut-être a-t-il donc pu se servir des dons de l'un pour réparer l'autre, et réciproquement ? J'attendrai que l'un de nous parvienne à détruire son sceptre ou sa montre pour envoyer ma protection sur le deuxième objet, afin qu'ils soient simultanément atteints, et donc (hypothétiquement) incapables de se réparer. La prochaine blessure me donnera raison ou tort... A moins que ces dernières informations ne t'aient inspiré meilleure théorie ? Rejoins-moi, maintenant.

Arwen aurait préféré ne pas avoir à divulguer ses capacités de protection magique, mais Proda était un adversaire de taille, dont la magie la laissait perplexe. Elle avait besoin des intuitions de Doushi, souvent bien plus réfléchies que les siennes. Une fois qu'elle sentit le jeune homme dépasser les mots de sang pour venir dans leur direction, à Proda et elle, elle effaça le message, n'en laissant pour dernière trace que le dessin d'une pendule.

Surprise par l'abandon impromptu du magicien, Arwen arrêta Seigi, qui s''était élancé vers lui. Puis, déçue, elle lui adressa une moue de mécontentement et soupira :

- Je n'applaudirai pas spectacle ainsi bâclé, mon ami. Vous soignez bien mieux vos entrées que les fins de vos prestations... Il faudra que nous prolongions celle-ci à l'occasion, je ne peux en rester là.

Un sourire de défi remplaça la mine déconfite de la kendoka... et disparut à la remarque de Proda. Troublée, elle balbutia :

- Comment... ?!

Comment avait-il deviné sa stratégie alors qu'elle l'avait tenu à l'écart du message de sang ? Comment savait-il son nom, qu'elle n'avait pas mentionné ? Arwen ne termina pas sa phrase, décontenancée. Doushi en profita pour interroger le jeune homme quant à ses intentions, le faisant confirmer leur alliance temporaire. La kendoka se reprit alors et railla d'un air arrogant à leur nouveau partenaire :

- Bien ! De toute façon, vous ne perdez rien pour attendre, n'est-ce pas Proda ? Allons-y maintenant, ne perdons pas de temps...

Contenant Seigi dans son fourreau, elle rejoignit Doushi et marcha calmement à ses côtés en direction de la plaine du domaine neutre. La joie des combats précédents, en particulier celui contre le magicien blanc, avaient rendu sa bonne humeur à la kendoka, qui souriait d'un air impatient auprès de son collègue, sa rancune oubliée.