Une visite désagréable [PV Alucard]

Alucard tournait en rond dans le manoir récemment reconstruit, encore étranger à son possesseur. Ses salles étaient spacieuses, son architecture élégante et d'un style ancien, mais son ameublement était très pauvre, le Maitre du manoir n'ayant besoin de rien ou presque pour son confort. Une impression de vide oppressant s'imposait partout dans la demeure. Partout, à l'exception d'une unique pièce, qui n'avait pourtant que très peu servie. Alucard s'y dirigea et poussa la porte entrouverte de la chambre, dont la propriétaire était constamment absente. Arwen n'y était que très peu venue, sa colère l'ayant beaucoup éloignée de lui au moment de la reconstruction du manoir. Elle n'y avait même jamais dormi.

Le vampire sourit. La kendoka n'était passée que rarement, et plutôt brièvement, et pourtant, la chambre était dans un état de désordre tel qu'il était difficile de croire qu'elle ne s'y était pas cloitrée plusieurs mois pour organiser ce chaos infernal. Des bouteilles d'alcool tenaient sur les quelques meubles de la pièce, des vestes trainaient dans tous les coins, les cartes d'un jeu s'étaient répandues au sol, des parchemins barbouillés d'un alphabet qu'il ne comprenait pas et à l'écriture maladroite couvraient le lit et des bandages ensanglantés habillaient le dossier d'une chaise. Parmi ce fouillis incommensurable, un détail retint l'attention du No Life King.

Les sourcils froncés, il s'avança vers l'échiquier qui trônait sur le bureau, seul meuble relativement épargné par la pagaille Arwenesque. Un combat engagé des mois auparavant et poursuivi par intermittences lors de passages rapides agitait les pièces d'un rouge sang et d'un blanc de nacre. Les rouges dominaient largement le territoire, mais les blancs étaient encore constitués d'un nombre respectable de pièces maitresses. La guerre n'était pas gagnée. Un pion blanc, rare survivant de sa race inférieure parmi l'équipe au teint blafard, avait été avancé depuis le dernier coup d’œil d'Alucard. Il se dirigeait vers une partie dégagée du camp rouge, où il espérait sûrement évoluer en reine blanche, petit soldat faible et quelconque désireux de se distinguer parmi les plus puissants.

- Idiote impulsive...

Ricana le Maitre Rouge. En se précipitant trop vite vers la source de pouvoir face à lui, le pion avait délaissé la protection d'un cavalier blanc derrière lui. Le vampire tendit la main et saisit le cavalier de nacre pour laisser place à son ennemi triomphant, le cavalier rouge. Alors qu'il souriait d'un air narquois devant le cavalier blanc tenu à hauteur de ses yeux, Alucard fut distrait par le bruit de frappes à sa porte. Surpris par la voix inconnue qui l'interpella, il posa du côté des blancs vaincus le cavalier blanc et descendit jusqu'à la porte d'entrée, qu'il traversa sans l'ouvrir.

- Qu'est-ce que...

Commença-t-il à siffler d'un air dégouté à la vue du chien, qui l'interrompit en bondissant joyeusement sur lui. Un pas sur le côté, trop rapide pour être perçu, dégagea le vampire à temps pour éviter l'animal, qui se cogna le museau contre la porte dans un jappement surpris. La main gantée du vampire agrippa alors fermement Socrate par la peau du cou et le souleva pour le tendre vers l'inconnue blonde.

- Merci, mais j'ai déjà pris mon repas...

Alucard, qui souriait en dévisageant la jeune femme, ne semblait pas parler du chien, en refusant un supplément de sang...

L'inconnue sortit un bout de papier avant de se présenter, et Alucard la crut d'abord ridiculement formaliste au point d'avoir besoin d'un écrit précis pour tenir le moindre discours. En réalité le bout de papier attestait que le dragon était véritablement assez sot pour lui confier son imbécile de cabot... Le vampire réfléchit rapidement aux nouvelles que la demoiselle lui avait donné de Mythril. Ainsi, le crétin du Nieb avait osé mentir sur sa destination et fuir ses chères responsabilités pour se volatiliser ? Mais à quelle fin ? Une aide quelconque bien sûr, il n'était capable que de niaises compassion et dévotion. Mais pour qui, et surtout, pour quoi ?

Quelques jours plus tôt, une idiote blonde avait surmonté sa rancune à son encontre pour lui demander de l'aider à rejoindre son amnésique de chevalier... Alucard n'eut pas de mal à établir un lien entre le désengagement imprévu de la demoiselle en piraterie et la disparition soudaine du dragon, à si peu de temps d'intervalle.

- Oh, certainement, "Elene Graham, chevalier blanc au service de la reine Celeste". Mais dites-moi... Quelles raisons m'investiraient à vous renseigner alors qu'il m'apparait déjà distrayant de vous savoir surchargée de travail par la faute de l'un de vos propres collègues ?

Le vampire avait accompagné son ton doucereux d'un rictus narquois.