Retour au port

Les jeux d’épées, fréquents, auxquels s’adonnèrent la nouvelle recrue et le loup outremerien durant ces 4 jours en mer devinrent rapidement des moments de divertissement appréciés par le reste de l’équipage. La première fois, les hommes se montrèrent stupéfait, n’arrivant pas a croire ce qu’ils voyaient : Une blonde frisquette en train de tenir tête a l’une de leurs meilleurs lames. Et c’est qu'la mignote était pas manchote ! La joute se termina sur une égalité et Olgin fut ravi d’avoir trouvé une adversaire a sa mesure.

Le voyage ne fut cependant pas tout rose, et voyager avec pour bagage le Mage du Sang ne fut pas de tout repos. Ce dernier étant interdit de se nourrir sur l’équipage avait vu son humeur s’assombrir, et n’avait rien trouvé de mieux, pour la remonter, que de venir agacer Mary. La rouquine lui avait alors acerbement proposé de se jeter a la mer et de mordre les poissons qu'il trouverait. Arwen Blaksoul fut tenue responsable lorsque le vampire fut retrouvé dans la cale d’eau, ivre-mort, ayant apparemment préféré mordre les tonneaux de rhum pour étancher sa soif, les asséchant tous.

Mary épargna le fouet et les punitions corporelles a Arwen, mais lui fit briquer le pont de proue en poupe sous la surveillance du Quartier Maître, qui ne la laissa pas prendre de pose ni de repas avant que le pont ne brille comme un sou neuf.

Au quatrième jour, les voiles rouges du Ruby Read arrivèrent enfin en vue de Port Plaisance. Un membre de l’équipage, Fleeg Kosni, les coloria alors en blanc. Les navires a voiles rouges étaient peu nombreux dans le royaume, et le Ruby Read ne passait pas inaperçu. Fleeg avait un pouvoir calyptien, chose commune pour un arrivant, et son pouvoir a lui était de cacher les choses. Il venait donc de cacher la couleur rouge de tout ce qui se trouvait sur le pont.

Brisban distribua leur solde à tout ceux autorisés a descendre a terre, les appelant par leurs noms. Pas fâchée de voir le vampire partir, Mary lui souhaita bon vent et alla voir Arwen.

Je t’emmènerait voir le forgeron dont je t’ais parlé, tu n’en trouvera pas de meilleur.
Tu pourras allez voir les reines ensuite, tu comprendra que je ne t’accompagne pas.
Tant que nous serons ici ne m’appelle plus capitaine, je serais juste Etta.

Dit-elle d’un air complice.

Y a-t-il d’autres endroits où tu devais te rendre ?

A l’évocation des marais Mary refusa d’y aller. Patauger dans vase et se battre avec les moustiques ? Non merci ! Mais elle désigna Brisban pour accompagner Arwen, ainsi qu’une poignée d’hommes pour les escorter.

Mais avant d'aller où que ce soit, faisons d'abord escale à la taverne du coin !

Soulagée de quitter enfin son Maître vampire, Arwen le salua d'un dernier regard assassin avant de tourner la tête vers Mary, qui venait vers elle. Elle lui adressa un sourire crispé au nom de "Etta", qui évoquait chez elle encore celui d'une traitresse qui l'avait soumise lâchement par la magie.

- Très bien... Etta.

Le mot lui était laborieusement sorti de la bouche.

- J'irais bien faire un tour dans les marais, saluer une vieille amie...

Quant à s'en aller voir les reines, après la petite "plaisanterie" d'Alucard avec les soldats du Sahoc, c'était désormais inenvisageable. Heureusement que le mage avait juré de l'aider à récupérer son ombre... Le capitaine ne parut pas tenté par sa balade dans les marais, et préféra la faire accompagner par d'autres pirates de l'équipage. Arwen sourit d'un air mauvais lorsqu'elle vit Brisban parmi ces derniers.

Elle s'étonna un peu de l'escale prévue en taverne : ne pouvaient-ils tous vaquer chacun à leurs occupations désormais ? Enfin, elle ne refusait jamais un verre, et de toutes les directives qu'aurait pu lui donner Mary, c'était bien la moindre, aussi ne se plaignit-elle pas, malgré son impatience à accroitre sa magie.

Oh la taverne n’était certes pas une escale obligatoire, mais c’était le chemin d’Etta. Et si Arwen voulait que la rouquine la conduise a un forgeron mieux valait la suivre. D’autant que l’intention d’Etta était de fêter dignement l’arrivée d’Arwen au sein de l’équipage, et quelle meilleur façon pour ça qu’en se noyant dans des flots d’alcool ? Les hommes étaient cependant bel et bien libre de vaquer où bon leurs sembles, et certains se choisirent d’autres priorités, cédant auprès des catins du bourg à l’appel d’un tout autre, mais tout aussi pressant, besoin naturel.

La boisson et les femmes étant les deux choses pour lesquelles un marin dépensait le plus son or, ceux qui n’étaient pas partis aux ribaudes se retrouvèrent avec Arwen. Bien que les tavernes soient légions a Port Plaisance -tout comme les maisons de passe- mais La Queue du Diable était vraiment l’adresse de prédilection de l’équipage du Ruby Read.

Ceux-ci occupèrent presque toutes les tables et, pastissant qui-ci qui-là les serveuses qui leurs portaient a boire, chacun leva son verre en l’honneur d’Arwen Blaksoul. Leurs éloges dérivèrent cependent vite en vantardises sur leur glorieux combat contre l’armée royale. Bizarrement, l’épisode des grenouilles avait été occulté de leurs versions. Des chants montèrent alors et furent repris en cœurs, dont certains, sans aucun doute, étaient bien des chants pirates.

♪♫ We're bearing fivescore Christian dogs ♫♪
To serve the cruel drivers:
Some are fair beauties gently born,
And some rough coral-divers.
We hardy skimmers of the sea
Are lucky in each sally,
And, eighty strong, we send along
The dreaded Pirate Galley.
♪
A nunnery was spied ashore,
We lowered away the cutter,
And, landing, seized the youngest nun
Ere she a cry could utter;
Beside the creek, deaf to our oars,
She slumbered in green alley,
As, eighty strong, we sent along
The dreaded Pirate Galley.
♫
"Be silent, darling, you must come--
The wind is off shore blowing;
You only change your prison dull
For one that's splendid, glowing!
His Highness doats on milky cheeks,
So do not make us dally"--
We, eighty strong, who send along
The dreaded Pirate Galley.
♪
She sought to flee back to her cell,
And called us each a devil!
We dare do aught becomes Old Scratch,
But like a treatment civil,
So, spite of buffet, prayers, and calls--
Too late her friends to rally--
We, eighty strong, bore her along
Unto the Pirate Galley.
♫
The fairer for her tears profuse,
As dews refresh the flower,
She is well worth three purses full,
And will adorn the bower--
For vain her vow to pine and die
Thus torn from her dear valley:
She reigns, and we still row along
The dreaded Pirate Galley.
♪♫

Spoiler:

Arwen s'était laissée séduire par l'alcool de la taverne où une partie de l'équipage fêtait avec elle son arrivée. Un bon nombre de verres vides était renversé sur le coin de table face à elle, et la demoiselle avait à présent le rire facile, s'esclaffant joyeusement auprès d'Olgin. Mais la liqueur qui lui réchauffait le corps n'accentuait pas seulement sa jovialité : elle influençait la moindre émotion prédominant son humeur. Aussi, lorsqu'elle entendit les pirates se vanter d'une bataille qu'elle déplorait encore, Arwen serra des dents de colère, se retenant à grand peine de leur exposer sa vision du combat relaté, la main fermement crispée sur son verre.

Les chants atténuèrent petit à petit sa fureur, elle commençait presque à se détendre, quand ils narrèrent en choeur l'histoire d'une belle dévote arrachée de force à sa foi et vendue pour son corps. Le verre que tenait la kendoka éclata en morceaux dans sa main. Elle se leva, bouscula des clients qui gênaient le passage qu'elle se frayait, et bondit sur la table la plus exposée aux regards, en plein milieu de la salle. L'air glacial qui tirait ses traits s'estompa alors sous le sourire mauvais dont elle se para, tandis qu'elle s'exclamait :

- Mes frères, que d'enthousiasme dans vos chants ! Et que de belles histoires, n'est-ce pas ? Ah, la musique m'a destinée à votre rencontre, et je vois aujourd'hui qu'elle continuera à nouer plus étroitement nos liens avec le temps ! Vos chants m'ont partagés les aspirations de vos coeurs, permettez à mon tour de faire parler le mien... Car chaque air vante ses rêves : les vôtres sont distinctement parvenus à mon oreille. Il semblerait que nos ambitions diffèrent, au moins sur un point... Mais entendez-les tout de même, vous y retrouver au moins la passion de la mer, comme il se doit !

Une fois sûre d'avoir capté l'attention de l'équipage, Arwen se mit à chanter un air entrainant d'une voix aux accents agréables et enjoués :

Nous avons navigué joyeusement,
Bien que les vagues furent assez puissantes,
Au bas du fleuve sinueux du Rhin
Suivant une chanson...

L'intrigue disparue d'une légende
A tenté de nous prévenir
Oh, ils l'appellent "Loreley",
Attention, ou vous sombrerez

Oh, les histoires qu'on nous a racontées,
Quelle image à soutenir,
Les mystères des mers dans ses yeux d'or
Allongée sur une pierre d'argent, quelle vision solitaire
Barnacles devient un trône, ma pauvre Loreley

Et alors qu'elle entamait le refrain, la pirate dansa sur des pas aguicheurs, se déhanchant sensuellement tout en fredonnant avec joie la tuerie de la sirène :

Et les vents pleureraient !
Et beaucoup d'hommes périraient !
Et toutes les vagues s'échoueraient sous Loreley !

Le ton de son histoire était donné, Arwen chantait sans retenue et sans pudeur la mort des marins que la sensualité de Loreley avait soumis. Elle narrait le personnage de la nixe avec un sourire malicieux et des mouvements tentateurs, à l'image de la nature impudique de Loreley, et reprenait le refrain du massacre des marins avec bonne humeur, délibérément provocante. Agenouillée devant un pirate, elle soutint son menton pour lever son visage près du sien tandis qu'elle racontait :

Vous n'en croiriez pas vos yeux, comme une voix peut hypnotiser
Les promesses ne sont que mensonges, venant de Loreley
Dans une nuance de vert mousse, un coquillage à la main
Elle est née reine de la rivière, non pour honorer la terre

Rejetant soudain son interlocuteur, elle se releva et lévita d'un bond jusqu'au comptoir, où elle reprit avec entrain ses pas libertins au refrain des marins tués, avant de s'allonger confortablement pour narrer la fin de son histoire :

Spoiler:

Oh, le chant de Loreley
Charme la lune depuis le ciel
Elle s'insinuera dans votre esprit, adorable Loreley

Les hommes devant elles furent uns à uns projetés par lévitation sanguine contre le bas du comptoir, agenouillés de force aux pieds de la chanteuse qui imitait violemment les pouvoirs de soumission de Loreley.

Lorsqu'elle implorera "Reste avec moi jusqu'à la fin des temps"
Vous savez que vous resterez toujours avec votre Loreley...

Et les vents pleureraient !
Et beaucoup d'hommes périraient !
Et toutes les vagues s'échoueraient sous Loreley !

Ses lèvres avaient retrouvé leur sourire malsain, et son regard menaçait les pirates les plus proches. Enfin, elle se releva et, debout sur le comptoir, conclut d'un air de défi :

- Gardez bien à l'esprit, mes frères, que s'ils existent de pauvres sottes que vous saurez assujettir à vos vices, l'équilibre des choses veut que vivent également de jolies demoiselles qui vous rendront vos pêchés par la force de leurs charmes, et avec une cruauté bien plus redoutable que celle que vous mettez pour parvenir à vos fins méprisables, car la cruauté féminine surpasse de loin la votre, messieurs.

Sa réponse au chant précédent des pirates avait-elle été suffisamment explicite ? Sautant à terre, elle dirigea son regard vers Mary, qu'elle mettait au défi de trouver à redire à sa prestation. Elle était furieuse que le capitaine lui-même, pourtant représentant de la gente féminine, ne s'insurge pas des chants insultants de ses hommes.

Nous Emmenions En Esclavage n’était pas la première chanson qu’entendait Mary où de pauvres pucelles se faisaient enlevées pour leurs vertus. Elle put pardonner cet écart a ses hommes qui, dans leur liesse, avaient oubliés qu’ils étaient accompagnés. L’intervention d’Arwen, cependant, la surprit agréablement.. Du moins jusqu’a ce qu’elle se mette a se déhancher de façon vulgaire, aguichant les hommes comme une vulgaire trainée ! Dardant Arwen d’un regard noir, la rouquine claqua son verre sur la table avec force, manquant de le briser, et fit mine de se lever pour faire cesser ce manège. Arwen pouvait se comporter comme elle voulait a terre, quitte a décevoir Mary, mais pas avec ses frères de bord, et surtout pas devant elle ! Mais les paroles qui suivirent retinrent la capitaine dans son siège, lui arrachant un large sourire.

Appréciant l’histoire de Loreley jusqu’au bout, Mary se dressa elle aussi sur sa table, répondant au regard furieux d’Arwen. Le sourire de la rouquine se fit cruel alors qu’elle s’exclama a vive voix.

Et bien messieurs ? Où sont vos langues ? Une sirène vous les auraient-elle
mangées ? Deux jeunes femmes attendent avec impatience d'en connaître plus
de ces aspirations de vos cœurs !

Tout en parlant, Mary se déplaçait sur sa table en renversant les verres. Elle sortie finalement son épée, la plantant devant elle en se penchant pour fixer un de ses hommes dans les yeux. Son ton se faisant plus enjôleur.

Tenez, pourquoi ne pas faire prochainement escale auprès d’un couvent ?
La piété semble tant vous tenir a cœur ! J’ignorais que tant d’entre vous se
sentaient l’âme si dévote.

Se redressant lentement, elle délogea son arme de la table tout et balaya les mâles du regard.

Allons matelots, chantez ! Ordonna-t-elle d'une voix brusque.

Rangeant son arme, elle afficha un visage dur et fit un signe de tête a Brisban. Elle descendit alors d’un bond de sa table et alla rejoindre Arwen.

Allons te trouver une arme. Dit-elle avec un ton enjoué.
Je crois qu’ils ne chanterons plus celle-là devant toi.

Brisban sortit derrière les filles, accompagné d’Olgin, Patel, Garetti, et Filinger. Tous 5 suivant, mines basses, la capitaine et la ménestrel.

La prestation d’Arwen amena un silence tendu. Malgré les pauses provocantes, qui ne laissèrent pas de chauffer les hommes, ces histoires de sirènes et de marins perdus jeta vite un froid, mettant les compagnons de la jeune femme mal a l’aise.

L’intervention de Mary, ensuite, acheva de les inquiéter. Leur faisant craindre le courroux qu’ils risquaient d’avoir. Des regards se baissèrent et aucun n’osa piper mot. La rouquine ordonna alors de chanter. La voix d’Olgin fut la première à obéir timidement, suivit de Garetti, Patel, et de quelques autres qui l’accompagnèrent d’une note forcée. Le reste des voix se joignirent à eux, et la capitaine descendit de sa table. Au grand soulagement des chanteurs. Brisban alla alors chercher les hommes désignés et suivit les deux femmes dehors.

Finalement, Mary intervint non pas pour la punir, mais pour soutenir ses arguments. Arwen lui adressa un regard surpris, puis sourit largement. Elle s'était tellement habituée aux corrections de son capitaine, principalement à cause du vampire et de ses nombreuses incartades, qu'elle ne l'avait pas imaginée prendre son parti.

La situation, malgré l'ambiance tendue, fut assez comique, car personne n'osa défier le capitaine. Arwen parcourut la salle entière de son regard triomphant, comme pour narguer l'équipage. Puis, Mary ordonna à ses hommes de chanter, ce qu'ils finirent pas faire timidement, à la grande satisfaction de la kendoka.

Cinq hommes furent désignés pour suivre les deux jeunes femmes, et la petite équipe quitta la taverne. Impatiente, Arwen marchait d'un bon pas tout en couvant Gekido du regard, complètement indifférente à l'embarras des matelots derrière elle. Elle savait exactement quelle arme accompagnerait le serpent béni, et n'attendait plus que de rencontrer le forgeron. Elle espérait qu'il s'agirait d'un elfe : elle avait toujours admiré la beauté et la finesse puissante de leurs lames.

- Suite -

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